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Guinée-Conakry : Fin de règne sanglante à Conakry

Publié le mercredi 14 juin 2006 à 07h49min

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Alors que le pays est paralysé par une grève générale depuis quelques jours, une manifestation d’élèves dépités de n’avoir pu passer leur baccalauréat, a tourné au cauchemar, l’armée ayant tiré à balles réelles sur les manifestants. Un nième avatar d’un régime aux abois qui commande un devoir de salut et de salubrité publics.

Les élèves et étudiants guinéens n’oublieront pas de si tôt la date du 12 juin 2006. Pendant qu’ils manifestaient leur indignation et leur ras-le-bol face à ce qu’ils qualifiaient de "démission" des autorités scolaires et politiques, l’armée guinéenne, envoyée pour mater ces "rebelles," a tiré à balles réelles faisant une dizaine de morts parmi eux. Des "rebelles" qui n’étaient mus que par la juste colère qui les animait pour n’avoir pas pu passer leur "bachôt" alors que toutes les assurances leur avaient été données que le "bac aura bel et bien lieu".

En fait d’assurance, il faut plutôt parler de bravade et de fuite en avant d’un régime coutumier du fait, et qui tire cette outrecuidance vis-à-vis du peuple de la manière dont il a accédé au pouvoir d’une part, et il faut le dire de la peur "ancestrale" qui habite le peuple guinéen, même si celle-ci est en train de s’estomper progressivement. Sur le premier point, il vous souviendra qu’à la mort du "guide suprême de la Révolution guinéenne", Ahmed Sekou Touré, le général Lansana Conté, n’était qu’un obscur anonyme parmi les hauts gradés de la grande muette, même si, officier d’infanterie et commandant de troupes, il pouvait "faire mal".

Conté n’a dû son avènement qu’aux luttes féroces qui ont opposé les héritiers présomptifs et, il faut le dire, présomptueux de Sékou Touré-Lansana Béavogui alors Premier ministre (en avril 1984) et le demi-frère du guide suprême, Ismaël Touré se livreront à une course vaine au pouvoir, sous l’œil désapprobateur de la grande muette. Laquelle armée aura vite fait d’occuper le fauteuil vacant par l’intermédiaire de Lansana Conté. Parvenu au pouvoir dans une atmosphère de suspicion et de trahison, Conté en sera marqué pour toujours, suspectant ses proches et voyant des ennemis partout.

Une paranoïa qui l’amènera à se défaire très tôt du colonel Diarra "tête de pont" d’un complot (?) malinké dont on ne connaît pas jusque-là les tenants et les aboutissants. Il faut dire que Conté avait trouvé là un moyen commode pour se débarrasser de cet officier populaire, qui avait été l’âme du pronuciamento que avait conduit l’équipe Conté au pouvoir. Après avoir balayé l’intérieur de la maison, il restait la cour et l’arrière-cour et là aussi, Conté n’ira pas de main morte.

Purges dans l’armée, exil forcé pour l’intelligentsia "récalcitrante", les bases d’une dictature étaient posées peu à peu à Conakry. Une dictature qui culminera avec le "complot peulh" éventé en 1998 (Conté avait accusé les officiers de cette ethnie d’être à la base de la rébellion militaire qui faillit l’emporter) et qui offrira l’occasion d’envoyer à la retraite tous les compagnons de Conté ainsi que les jeunes officiers qui pouvaient lui faire de l’ombre.

Qui pour arrêter l’hémorragie ?

Si Conté a pu "manœuver" ainsi tout un peuple en toute impunité et sans trop de bobos c’est en raison, il faut le dire, de la "peur" qui habite celui-ci et qui prend sa source dans le régime révolutionnaire "pur et dur" institué par Sékou Touré de 1958 à 1984. Sous le règne de "l’éléphant", la contestation n’était pas de mise a fortiori une opposition structurée au régime. On était soit révolutionnaire, soit ennemi du peuple et traité en conséquence.

Avec l’invasion de mercenaires portugais ratée en 1970, le "durcissement idéologique" atteindra son paroxysme. Les camps Boiro et Alpha Yaya Diallo, de sinistre mémoire (là se trouvaient des geôles dont on ne ressortait que les deux pieds devant, dans la plupart des cas) sont encore bien ancrés dans l’imaginaire populaire guinéen. Et, comme Conté est lui-même un "produit" du système Sékou Touré, les Guinéens se disent qu’en cas de contestation trop virulente, les vieux réflexes pourraient refaire surface.

Une peur justifiée au regard de l’ampleur et de la disproportion de la répression du 12 juin 2006, mais qui ne saurait justifier plus longtemps encore cette torpeur. En effet, la Guinée n’est plus gouvernée, avec un chef en proie à la maladie et qui ne prend ses décisions que sur la base des rapports de courtisans zélés. Ceux qui ont refusé ce rôle de second couteau en manifestant des velléités d’indépendance ont été contraints à la démission.

De Lonsény Fall à Seydou D. Diallo en passant par Sidia Touré, aucun de ces intellectuels de haut vol n’a frayé plus de trois ans avec le maître de l’ombre guinéen. Du reste, on ne comprend pas que des personnes de ce calibre aient accepté de travailler avec un homme qui n’est pas loin d’assimiler la Guinée à une caserne. Dès lors, on comprend la faiblesse structurelle de l’opposition guinéenne, minée par des querelles de préséance et taillable et corvéable à merci.

Alpha Condé que notre rédaction avait reçu n’avait pas à l’occasion manqué de fustiger cette pusillanimité de ses congénères y voyant avec la torpeur dans laquelle baigne l’armée guinéenne, les principales causes des maux qui minent le pays. Rétrospectivement, cette analyse de Condé est toujours d’actualité et la Guinée s’enfonce peu à peu dans le chaos. Le "château d’eau" de l’Afrique est en effet le théâtre récurrent de pannes d’électricité, ce qui est proprement aberrant.

Tout aussi aberrant, le fait que le pays se débat dans le sous-développement malgré ses richesses minières et forestières. Un exemple de malgouvernance inestimable d’autant plus intolérable que Conté adresse de temps à temps des attaques virulentes et gratuites, à l’encontre des pays de la sous-région. C’est ainsi qu’il a vu la main du Libéria et plus invraisemblable du Burkina Faso derrière les rebelles qui ont failli prendre Conakry en début 2000.

Le régime n’a dû son salut qu’à la vaillance d’une armée rompue à l’art militaire sous Sékou Touré et consciente, voire imbue de son rôle patriotique. Et, dans cette symphonie sanglante qui se joue actuellement à Conakry sur fond de fin de règne, elle est la seule capable de mettre un terme à la tragédie. Il lui reste seulement à se départir de cette "peur ancestrale" qui paralyse tout un peuple.

Boubakar SY

Sidwaya

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