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Paramanga Ernest Yonli : <I>Je ne suis l’homme de personne...</I>

Publié le mardi 13 juin 2006 à 08h35min

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P. Ernest Yonli

Rencontre avec Paramanga Ernest Yonli au moment où, si les projections se vérifiaient, il devrait laisser la place à quelqu’un d’autre. Et pourtant, nous n’avons pas senti tout le temps qu’a duré l’interview qu’il semblait s’en préoccuper. Même pas un petit lapsus n’est venu le trahir. C’est un homme résolument engagé sur l’avenir que nous avons rencontré.

Il se sait coincé entre les prérogatives que lui donne la constitution, en tant que chef du gouvernement, et l’impératif qu’il a de ne pas laisser se détériorer la confiance avec le chef de l’Etat, qui est la condition sine qua non pour conserver son poste et pour accomplir sa mission. Il dira à ce propos : " Tant que cette confiance existe, le Premier ministre a les coudées franches pour travailler. C’est mon cas. Je travaille avec beaucoup de liberté dans les limites imposées par les orientations du Président du Faso ".

L’exercice du pouvoir à ce niveau de responsabilité et sur une si longue durée a incontestablement étoffé le personnage. Yonli ne donne pas l’impression d’exercer son magistère par procuration et sur cette idée persistante qu’il serait l’homme du manitou Salif Diallo, il s’insurge et fait remarquer que l’on oublie qu’il a toujours fait partie des instances dirigeantes du parti au pouvoir ; de l’ODP/MT au CDP. Il n’est pas donc ce " parachuté " pour qui l’on tient à le faire passer.

Sur les sujets importants de l’heure, la corruption, la cherté de la vie, la question de l’éducation, les questions environnementales, il explique ce qu’il va faire ou ce qui est déjà fait.

Sur le carburant par exemple, on s’acheminerait vers la révision du fameux mécanisme de fluctuation des prix. Il ne dit pas ce qu’il en sera exactement, mais l’on devrait s’acheminer vers la réduction des marges bénéficiaires pour chacun des intervenants. L’Etat, ne devrait pas être le seul, dit-il, à faire des sacrifices. Et d’ajouter cette réflexion qui ne va pas faire plaisir aux syndicats " il faut que les travailleurs apprennent à s’ajuster... ". Même s’ils le voulaient, les travailleurs en ont-ils seulement encore la possibilité ?

Bref ! C’est une interview qui vaut son pesant d’or. C’est en tout cas la première fois à L’Evénement que nous accordons quatre pages à une interview.

Evé : La hausse du prix des hydrocarbures a conduit les syndicats à observer une grève les 23 et 24 mai dernier.
Pourquoi vous convoquez les syndicats pour des discussions dont l’un des points porte sur les prix des hydrocarbures et au même moment vous augmentez ces prix ?

P.E.Y . Je pense qu’on peut regretter que ce dialogue ait été rompu. Maintenant, je rectifie pour dire que sur les points des revendications des syndicats qui faisaient l’objet des discussions, il n’y avait pas de point sur la hausse des prix des hydrocarbures. Pour être honnête, c’est le taux des taxes prélevées qui y figurait.
Cela pour dire que nous avons un prix à la pompe qui est, en réalité, le résultat ou la résultante d’une structure des prix ; structure qui, comme son nom l’indique, est composée d’un système d’éléments de coût qui composent le prix final aux consommateurs.

C’est donc sur un élément de la structure des prix, à savoir les taxes que nous devions discuter avec les syndicats. Ça, c’est une chose. Deuxième chose : nous avons augmenté les prix du carburant au terme d’un mécanisme mis en place depuis 2001 et qui consiste en un ajustement périodique mais non mécanique. J’ai dit ajustement périodique et non mécanique des prix des hydrocarbures en fonction du prix du baril de pétrole sur le marché mondial.

En général, depuis que le mécanisme est mis en place et sauf cas de force majeure, les ajustements sont faits entre le 1er et le 5 du mois. Ceci pour dire qu’il n’y a pas, selon nous, de corrélation directe entre le fait que nous avons réagi en appliquant le mécanisme et le fait qu’un point relatif à la structure des prix ait été inscrit à l’ordre du jour des négociations.
Pour nous donc, il n’était pas fondé d’invoquer l’augmen-tation des prix du carburant pour rompre les négociations.

Evé : Est-ce que vous n’auriez pas pu différer cette augmentation au moins par respect pour vos partenaires ?

PEY : J’ai entendu et lu de tels propos. Je voudrais dire que c’est un choix. Depuis que je suis là, je gouverne selon les règles de la vérité. On ne gère pas un pays avec des états d’âme. Il faut s’attaquer aux problèmes. On pouvait jouer tactiquement pour différer l’augmentation et attendre que les négociations finissent pour augmenter les prix. Ce serait le même effet. Les gens allaient dire que le gouvernement a repris ce qu’il avait donné.

Je pense qu’il faut être réaliste et ne pas déroger aux principes qui gouvernent le mécanisme des prix. La situation exigeait qu’on augmente les prix, nous l’avons fait et s’il plaît à Dieu, il y aura dans quelques jours une baisse, toujours en fonction du cours du baril du pétrole sur le marché international.

Actuellement, je pense qu’il a baissé de 72 à 65 dollars. Si cette baisse a lieu, certains pourraient penser que cela est lié à l’exigence des syndicats mais non, c’est tout simplement l’application du mécanisme de la structure des prix.

Evé : Ce mécanisme n’est tout de même pas une bible ? N’est-ce pas le gouvernement qui l’a institué ? Il peut donc le revoir ?

PEY : Le mécanisme en lui-même contient ses éléments de flexibilité. Ça, c’est une chose. Le mécanisme en tant qu’instrument de politique du gouvernement Yonli est une autre chose. Pour changer le mécanisme, nous pouvons regarder quels sont les facteurs exogènes et internes qui influent sur le cours des prix et agir là-dessus.
Nous sommes en train de discuter de tous ces éléments avec tous les acteurs du secteur.

Je pense notamment à nos sources d’approvision-nement. Nous pourrions par exemple nous ravitailler à 70% à partir de Lomé qui est plus proche de nous et les 30% restants à partir d’Abidjan. Il s’agit donc d’inverser la tendance actuelle pour réduire le coût des transports. Mais cela demande que l’on renégocie les contrats avec les différents partenaires. Il s’agit ici en l’occurrence des autorités portuaires d’Abidjan et de Lomé.

Evé : Le débat tourne également sur la part de prélèvement de l’Etat. Les syndicats avancent le taux de 40%. A combien au juste faut-il l’évaluer ?

PEY : Je n’ai pas les données exactes en tête, mais je pense que le taux varie entre 30 et 40%. Quand je dis que nous allons revoir le mécanisme de la structure des prix, cela suppose que chaque acteur doit subir une incidence. Ce ne sera pas l’Etat seulement qui doit revoir à la baisse ses taxes, mais tous les acteurs de la scène qui doivent subir des modifications.

Evé : Quel est le taux maximum au-delà duquel la vie économique devient ingérable ?

PEY : Je ne pense pas qu’il faut tomber dans ce genre de considération parce que tout simplement le pétrole, l’essence ou le gaz oïl sont un bien de consommation comme tout autre. Prendre le bus ou aller à mobylette est un moyen de transport comme tout autre. Il appartient à chaque agent économique de faire le choix de son mode de déplacement ou de consommation. Vous voyez, si on rentre dans ce genre de considération, je pourrai dire pourquoi les gens ne déposeraient-ils pas leurs engins pour prendre le bus ? Vous me demanderez si l’Etat serait capable de mettre à la disposition des usagers des bus en nombre suffisant.

Ainsi, on va de conjecture en conjecture. C’est pour ça qu’on ne fixe pas de seuil. Ce qu’on demande à un gouvernement, c’est d’avoir la capacité et l’intelligence d’adapter sa politique aux capacités des agents économiques. Ces capacités ne sont pas statiques mais dynamiques. Ce que je suggère, c’est premièrement : examiner et agir sur la structure des prix, cela me semble fondamental. Si l’on agit sur la structure, on a forcément une modification du prix à la pompe.

Deuxièmement : il faut que nous commencions à envisager des sources alternatives de carburant. Comme par exemple le bio carburant parce qu’on a les matières premières (canne à sucre, coton).

Troisièmement : je pense qu’on a la journée continue qui pourrait également être explorée.
Quatrièmement : il faut sensibiliser les consommateurs pour qu’ils comprennent qu’il est possible d’économiser sur leur propre budget en ayant des attitudes nouvelles. Voilà de vrais chantiers d’une réflexion productive et avantageuse aussi bien pour les citoyens que pour l’Etat. Une véritable nouvelle vision et nouvelle gestion des hydrocarbures dans notre pays.

Evé : Il reste que même si l’individu s’ajuste, le fait que le prix de carburant augmente se répercute forcément sur sa vie. Vous savez que la hausse du prix du carburant renchérit sur les autres produits et services, notamment les transports que vous évoquiez. Est-ce que ce n’est pas le rôle de l’Etat de veiller sur cet élément ?

PEY : Ce n’est pas possible. L’Etat crée les conditions générales et tient compte des particularités et des situations des agents économiques. C’est comme ça, c’est écrit comme une bible. L’Etat travaille à l’harmonie des intérêts.

Evé : Ne faut-il pas qu’au niveau du gouvernement, vous donniez l’exemple ? Parce que pendant que vous demandez aux gens de s’ajuster, vous augmentez vos dotations en carburant. Dites-nous combien un ministre a comme dotation par mois.

PEY : Je ne sais pas. Les dotations en carburant pour un ministre n’existent pas. Ce qui existe, c’est une dotation de carburant par ministère, dans un budget donné. A l’intérieur du ministère, le ministre et son DAF procèdent à la répartition par service.

Je vous dis aussi que les ministères n’ont pas la même dotation. Je peux vous dire par exemple que le ministère de l’Agriculture a une dotation plus importante que le ministère de la Justice. Vous pouvez épiloguer là-dessus, mais c’est la réalité et c’est normal parce que pour moi, un ministre de l’Agriculture doit faire trois semaines sur le terrain et une semaine dans le bureau.

Evé : Il n’y a pas donc de dotation en carburant spécifiquement pour les ministres ?

PEY : Non ! Il n’y en a pas !

Evé : Il n’y a pas longtemps, devant le Parlement, vous avez dit que la pauvreté a chuté de quatre points au Burkina. Le pourcentage serait passé de 46% à 42% de 2003 à 2006. D’où tirez vous ce constat quand on sait qu’il n’ y a pas eu d’enquêtes récentes sur la situation des ménages ?

PEY : Vous n’êtes pas informés. Vous faites bien de venir à la source.
D’abord, j’ai dit qu’on a baissé de 4 points entre 1998 et 2003.
Ensuite, contrairement à ce que vous dites, une enquête a été réalisée en 2004 sur les mêmes variables de base que nous avons l’habitude de faire. C’est sur cette base que nous constatons que de 1998 à 2003, il y a une baisse de la pauvreté de 4 points.

Evé : La baisse de la pauvreté concerne donc la période 1998 à 2003 ?

PEY : Exactement !

Evé : Cette enquête de 2003 révèle justement des résultats extraordinaires. C’est par exemple la grande disparité des régions par rapport à l’accès aux services sociaux de base, surtout la santé. Comment expliquez-vous par exemple que les régions productrices de coton accusent un tel retard par rapport à l’accès aux centres de santé et se classent dans la catégorie des régions où le seuil de pauvreté est le plus élevé ?

PEY : A l’intérieur de votre question, il y a la réponse concernant la question du classement de ces régions par rapport au seuil de pauvreté. En effet, le faible accès aux soins de leurs populations constitue un handicap parce que l’accès aux soins fait partie des indices à considérer.
Par rapport aux disparités, il faut reconnaître que les politiques économiques, dans notre pays, n’ont pas toujours été conduites en fonction des potentialités des différentes régions.

Pour le faire, il aurait fallu une politique de clarification nationale qui intègre une variante planification régionale. Il aurait fallu aussi avoir un schéma d’aménagement du territoire qui fait un diagnostic du potentiel économique de chaque région.
A partir de ce moment, le gouvernement peut prendre des décisions de politique économique pour faire des investissements en fonction du potentiel. Cela n’a jamais été fait au Burkina.

Je pense que c’est une lacune importante qui explique aujourd’hui le développement discriminé des régions. Cela induit forcément que les politiques sectorielles n’ont pas été menées selon les besoins des régions. Conséquence, on se rend compte que les régions qui ont un revenu économique n’ont pas les services minimum ou marchands qu’elles devraient avoir. Elles ont des revenus mais pas de services. C’est la conséquence : des mauvaises politiques. On est parti par exemple développer l’éducation dans les villes et oublier une grande partie du pays, à savoir les zones rurales qui en avaient le plus besoin comme le Sahel et la région de l’Est. Pour la santé, ce sont les régions du Sud-Ouest et toute la zone cotonnière. Il faut corriger cela. Faire en sorte de mettre les moyens de l’Etat sur les politiques sectorielles là où les besoins sont les plus importants.

Evé : Finalement, est-ce que le coton profite aux producteurs ?

PEY : En terme monétaire, un producteur de coton gagne plus que celui qui produit des céréales dans les mêmes conditions. C’est sûr et c’est comme ça. Il faut savoir aussi qu’à l’état actuel de notre économie, nous avons intérêt à ne pas abandonner la culture du coton parce que c’est le meilleur avantage comparatif dont nous disposons par rapport aux autres pays. En économie, vous savez qu’on n’abandonne pas un avantage comparatif par rapport à ses concurrents.

Ceci étant, la question est de savoir comment concilier la culture du coton avec les autres cultures. Parce qu’il est évident que la culture du coton menace la qualité des sols, donc la survie de l’agriculture tout court. Comment nous allons faire pour développer une filière cotonnière qui sauvegarde les qualités agronomiques, l’environnement tout en continuant à enrichir les paysans et donner des recettes supplémentaires à l’Etat ? C’est toute la problématique et nous sommes en train de mener des réflexions.

Evé : Quelle est la réponse que l’Etat va apporter à cette question de la culture du coton ?

PEY : Avant de libéraliser les deux zones cotonnières, de l’Est et du Centre, nous avons décidé qu’il n’y aura plus d’aménagement dans le cadre d’un programme de société cotonnière sans un accompagnement de mesures pratiques environnementales. Désormais, il doit avoir au préalable une étude sur les conditions et les qualités agronomiques des sols ; étudier les possibilités et les capacités des sols à supporter sur la durée la culture du coton ; être sûr que les insecticides ne développent pas des effets négatifs sur l’environnement végétal ou animal.
Dans la région de l’Est, nous avons posé la pierre de l’usine d’égrenage de Kompienga et démarré en même temps un programme de biodiversité de 5 milliards.

Je vous invite à suivre la mise en œuvre simultanée du développement des superficies avec l’exécution du pro gramme de biodiversité à l’Est par la société SOCOMA. Donc, ce sont des mesures de ce genre que nous sommes en train de faire appliquer par les sociétés cotonnières en concertation dynamique avec le ministère de l’Agriculture qui, pendant longtemps, a été mis à l’écart du développement de la culture cotonnière. Ce qui est du reste regrettable.

Evé : L’autre facette de la culture du coton, ce sont les victimes dénombrées chaque année du fait de la mauvaise utilisation des pesticides. Malgré l’adoption d’une loi réglementant l’importation de ces produits, on constate qu’ils entrent en quantité, surtout dans les régions frontalières.

PEY : Cela démontre qu’il ne suffit pas de légiférer pour mettre fin au phénomène. Faut-il encore avoir les capacités pour surveiller tous les actes que les producteurs eux-mêmes posent, notamment l’importation frauduleuse des engrais et des insecticides non autorisés au Burkina Faso. Cela demande un contrôle aux frontières. Ce n’est donc plus le ministère de l’Agriculture et les sociétés cotonnières seulement qui sont interpellés mais aussi d’autres acteurs de l’Etat. Il nous faut une nouvelle politique et c’est pourquoi l’Etat a commencé par allier la politique du développement de la culture du coton à une politique de gestion de l’environnement dans les itinéraires techniques de la production du coton.

Evé : Il n’ y a pas très longtemps, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS) était au devant de l’actualité. La presse, à la suite des syndicats, a révélé un certain nombre d’opérations irrégulières effectuées par la direction de la Caisse. Finalement, qu’est ce qui s’est passé à la CNSS et quel regard portez-vous sur sa gestion ?

PEY : D’abord, j’ai les mêmes informations que vous, à savoir qu’il y a eu des problèmes d’acquisition de terrain, le problème de prêt et celui de sortie de fonds à l’extérieur. Ensuite, en tant que chef du gouvernement, je n’ai pas voulu agir sur le coup de l’émotion ou de l’état d’âme. Comme je l’ai dit précédemment, on ne gère pas un pays avec des états d’âme. J’ai demandé tout simplement de conduire une enquête administrative appropriée par les services compétents de l’Etat.

En l’occurrence, à cette étape, il s’est agi apparemment d’un problème de gestion parce que le premier responsable de la Caisse a posé des actes qui apparemment n’avaient pas été autorisés par toutes les instances de décision de la maison , notamment le Conseil d’administration. J’ai donc commis l’Inspection générale des finances pour diligenter une enquête sur ces actes. J’ai instruit le ministre des Finances de conduire, en collaboration avec son collègue du Travail, cette inspection.

Depuis un mois, j’ai le rapport définitif de l’enquête. A partir de ce moment, nous avons pensé qu’on pouvait agir, tout au moins changer le premier responsable.

Evé : Est ce que c’est un problème de gestion ou de malversation ?

PEY : C’est avant tout un problème de gestion. Dans une société, il y a des organes et des instances qui conduisent le processus de décision, c’est-à-dire qui définissent les orientations de la marche de la société. Il y a aussi l’organe de direction chargé d’appliquer ces orientations. Il y a aussi les droits et les prérogatives de chacun de ces organes.
Quand un des droits ou une des prérogatives est utilisé de trop par un organe, c’est le cas de la CNSS, cela relève d’un problème de gestion.

Evé : Dans le prolongement de cette affaire, il y a eu plusieurs décisions du gouvernement, notamment celle concernant le fonctionnement de la Caisse. Fondamentalement, cela ne résout pas le problème des travailleurs, à savoir la couverture de la sécurité sociale. Dans un pays où l’indigence est très répandue, est- ce que vous menez une réflexion prospective sur cette question ou bien vous vous contentez des mesures déjà prises ?

PEY : Vous êtes sûrs que vous vivez au Burkina ? (rires) Je dis ça parce que nous venons fort heureusement de faire adopter à l’Assemblée nationale, à la grande joie des travailleurs, une nouvelle loi sur la sécurité sociale et la protection des travailleurs. C’est une réponse appropriée saluée par les organisations des travailleurs. On a essayé en tout cas de faire un effort pour donner des réponses appropriées à l’étape actuelle des choses dans notre pays. Maintenant, vous demandez si l’on pourrait généraliser la sécurité sociale. C’est une éventualité. La réflexion continue.

Mais il faut savoir qu’à l’état actuel de nos possibilités, ce serait un leurre de penser que nous avons les ressources pour conduire une protection intégrale. Parce que tout simplement, la proportion des citoyens qui cotisent est très réduite. Vous savez que notre système est celui des cotisations et pour cotiser il faut être un salarié. Au Burkina, ceux qui touchent un salaire par mois ne dépassent pas toute proportion gardée 200 000. C’est très peu par rapport à la population totale qui est de 12 millions. On ne peut pas ajuster les revenus de ces 200 000 salariés qui varient entre 27 500 et 350 000 F CFA pour couvrir tout le monde. C’est impossible parce que les bases n’existent pas.

Evé : Pourtant, les Français l’ont fait en 1958. Quand De Gaulle décidait de la sécurité sociale généralisée, la France n’était pas dans une situation plus reluisante économiquement.

PEY : C’est juste. Mais les Français étaient assis sur des réserves. La France, c’est une accumulation de capitaux de plus de 200 ans. Et dans 200 ans, si nous vivons, revenez me voir (rires), je pourrai prendre la même décision en tant que chef du gouvernement.

Evé : Il faut donc attendre 200 ans pour voir la généralisation de la sécurité sociale ?

PEY : Non, c’est un exemple. C’est pour vous dire que ce n’est pas comparable. La France de 1958 n’est pas comparable au Burkina de 2006. Nous n’avons aucune accumulation au Burkina. Nous sommes au début. C’est de l’accumulation primitive et vous le savez bien.

Evé : Dans le domaine de l’Education, on est un peu perdu avec le Programme décennal de développement de l’éducation de base (PDDEB). Ce programme fait-il seulement dans le quantitatif pour combler un retard et dresser des statistiques ?

PEY : D’abord, je rectifie pour dire que le PDDEB n’est pas que du quantitatif. Mais il faut du quantitatif parce que nous devons combler du retard. Cela veut dire que nous devons accélérer. J’insiste sur le mot accélérer.

D’ailleurs, mon discours, c’est toujours accélérer le développement parce que si nous voulons effectivement être un pays émergeant d’ici 2015, comme je le souhaite, il faut nécessairement que nous accélérions à tous les niveaux. D’abord, combler le retard sur l’éducation parce que tant que nous n’allons pas donner aux populations le minimum d’éducation, c’est un leurre de penser que l’on peut accélérer le développement.
Combler un retard est une question de masse. L’éducation est une question de masse. Il faut donc des programmes massifs en terme d’infrastructures, de personnel et de matériel didactique.

Evé : Est-ce qu’on ne sacrifie pas la qualité en annulant par exemple les redoublements ?

PEY : Pas du tout. La quantité et la qualité sont les deux sœurs jumelles du PDDEB. Nous voulons mettre en application le système des cycles terminaux. Cela vient des Etats généraux de l’éducation. Toutes les analyses ont montré que si nous voulons avoir une éducation de qualité qui s’adapte au contexte de notre pays, il fallait passer par le système des cycles terminaux.

Dans ma déclaration de politique générale, j’annonce que ce système rentrera en vigueur à la rentrée 2007-2008. Son contenu est très simple. Nous disons qu’il faut faire en sorte que l’enfant qui entre à l’école apprenne non seulement à lire et à écrire, mais aussi qu’au bout d’un certain nombre d’années, c’est-à-dire à l’âge de 16 ans, qu’il soit capable de travailler de ses mains si jamais il n’a pas la possibilité de continuer.

Il faut donc mettre ensemble plusieurs modules ; pas seulement les modules classiques de l’enseignement général, mais aussi introduire les modules techniques en fonction des contextes régionaux.

Par exemple au Sahel, peut-être qu’il faudra développer des modules de métier proches des questions d’élevage. A l’Est, ce sera des modules liés à l’agriculture, à la faune parce que cette région a encore de la biodiversité à conserver. Je dis donc qu’avec ce nouveau système, un enfant qui quitte l’école à 16 ans ou avant cet âge sera un actif capable de produire.

Le deuxième niveau est celui de l’université. Nous allons ouvrir des Universités régionales pour corriger la situation actuelle de l’Université de Ouagadougou où l’on forme des juristes, des économistes, des journalistes et que la demande nationale est incapable d’absorber 1/10. Cela n’est pas normal.

Evé : De quels moyens disposez-vous pour mener cette réforme ?

PEY : Avec le PDDEB, nous avons les moyens. Nous avons même des difficultés pour les absorber. Nous avons en tout cas l’appui de nos partenaires qui pensent qu’avec ce système révolutionnaire, nous pourrons adapter notre éducation aux besoins de nos sociétés.

Evé : Même avec les moyens que vous avez, vous savez qu’il sera difficile en un an de reconfigurer les programmes, former les formateurs et même revoir le fonctionnement des Ministères des Enseignements.

PEY : Je suis d’accord avec vous. Vous savez qu’on voulait démarrer en 2005-2006. Nous avons pris la décision en 2003 de mettre une équipe de réflexion au niveau des ministres. Nous avons fait en 2004 deux séminaires gouvernementaux sur la question. On s’est rendu compte qu’il y avait beaucoup de choses à faire en amont, notamment la conception de chemins techniques tels les modules, la mise à disposition du personnel adapté pour les filières et surtout comment faire la transition entre le système en place et le nouveau.

On a vu que ce n’était pas aussi simple que ça. On a reculé et aujourd’hui, il y a un certain nombre de conceptions qui ont été faites. Il reste à avoir l’ensemble du schema global pour démarrer en 2007. Je dis que ce système va nous conduire à une transformation, donc il ne faut pas s’attendre à voir les fruits dans 5 ans. Je pense que les résultats vont se lire dans la durée.

Evé : Ce sera des écoles types ou c’est la généralisation à outrance ?

PEY : Le système a été conçu pour être généralisé. Ce sera un changement.

Evé : Cette réforme de l’éducation coïncide avec la décentralisation, avec ce que cela comporte comme charge pour les collectivités. Ne craignez-vous pas qu’elles ne soient débordées ?

PEY : La réforme du système éducatif est de la responsabilité de l’Etat central. Donc, il n’y a aucun problème. Le transfert des compétences se fait de l’Etat central vers les collectivités. Une fois transférées, ces compétences relèveront exclusivement des collectivités. Il n’ y aura donc pas de chevauchement.

Evé : Est-ce que vous mettez à contribution vos partenaires dans cette réforme ? Vous vous souvenez certainement de la fameuse " école nouvelle " de la Révolution qui a fait long feu parce que d’une part les partenaires n’avaient pas été associés et les parents d’élèves l’avaient assimilé à une école aux rabais d’autre part. Comment éviter ces écueils ?

PEY : Vous avez entièrement raison. On ne peut pas conduire une réforme aussi importante comme celle-là et penser qu’il n’y aura pas de risques. Nous travaillons à réduire au maximum ces risques. Dans le domaine de l’éducation, il n’y a pas meilleure manière de minimiser les risques que de discuter avec tous les acteurs.
En réalité, la question des cycles terminaux est un consensus obtenu à travers les rencontres nationales ayant regroupé l’ensemble des acteurs de l’éducation. Nos partenaires au développement ont été bien sûr associés parce qu’il n’est pas possible de conduire cette réforme sans leur appui.

Evé : Est-ce que le fils de monsieur Yonli ira à cette école nouvelle formule ?

PEY : Mon fils a 6 ans et demi et il est inscrit à l’école primaire de Zogona. Normalement, il doit aller à cette école-là.

Evé : Le PDDEB, c’est aussi ce scandale médiatico-financier des vacances dernières. L’ancien ministre a-t-il détourné l’argent ?

PEY : J’étais en vacances quand j’ai appris cette nouvelle. Je ne les ai pas écourtées parce que je savais qu’il n’en était rien. On a prétendu qu’il a pris plus d’un milliard pour traverser la frontière. Je pense que ce n’est pas possible, matériellement parlant.

Evé : Alors, si ce n’est pas un milliard, c’est combien il a pris ?

PEY : (rires). Je ne sais pas. Il faudrait peut-être demander à ceux qui l’accusent. Ce qui est sûr, il y avait un problème de respect des règles établies, c’est-à-dire les procédures de gestion financière du projet entre les services techniques traditionnels du ministère et le Bureau des projets éducation.

Je pense que c’était un problème de capacité. Comment intégrer la lourdeur et la technicité imposées par la mise en route du PDDEB avec les capacités réelles du ministère ? Tout tournait autour de cette question. Conséquences, c’est le retard considérable dans l’exécution des travaux sur le terrain et dans les paiements des prestataires. Il y avait des retards dans les décaissements eux-mêmes dus au non respect des procédures.

Pour moi, ce genre de situation est ridicule pour des pays comme les nôtres. Cela s’apparente à quelqu’un à qui on donne à manger et qui est incapable de prendre la nourriture mettre dans sa bouche. C’est notre drame comme ça : le problème de capacité d’absorption. Il est inconcevable aujourd’hui qu’il y ait des gens incapables de déployer au maximum les capacités qu’ils ont déjà pour pousser notre éducation vers un bond qualitatif. Je ne supporte pas cette situation. Cela est valable pour d’autres projets. Concernant le PDDEB, nous essayons de corriger les insuffisances. Pour le moment, nous avons mis les structures transitoires. Nous élaborons également de nouveaux outils de gestion qui nous permettront d’accélérer pour atteindre les objectifs fixés.

Evé : Est-ce que tous les entrepre-neurs ont été payés ?

PEY : Au moment où nous parlons (ndlr 31 mai), tous n’ont pas été payés. Il y a des justificatifs à apporter en corrélation avec le niveau d’exécution des chantiers sur le terrain. Nous sommes en train de faire les rapprochements comme on le dit. Nous décaissons au fur et à mesure de ces rapprochements.

Evé : Un autre projet en vue, c’est la réforme sur la sécurité foncière. Vous vous donnez combien de temps pour la réussir et comment allez-vous procéder ?

PEY : Il faut dire que c’est très courageux d’entreprendre cette réforme. Il faut donc saluer notre audace.

Evé : Quand on gouverne, on doit être audacieux, c’est le minimum ! Non ?

PEY : C’est vrai. Pour revenir à la réforme foncière, on est parti de deux constats. Le premier est que les textes en vigueur sont difficiles à appliquer. Le deuxième est que ces textes ne sont plus à même de résoudre les problèmes actuels. Ils sont donc devenus obsolètes.
L’autre aspect du problème foncier, ce sont les acteurs eux-mêmes qui ont très souvent des intérêts contradictoires, principalement entre les agriculteurs et les éleveurs. C’est donc un processus d’écoute et de dialogue que nous allons instaurer pour pouvoir connaître les vrais problèmes qui se posent et de quelle manière ils se posent d’une région à l’autre.
C’est un processus qui sera long.

Autre aspect, c’est que nous avons fait l’option de légiférer d’abord en faisant une relecture de tous les textes sur le foncier. Ensuite, nous passerons à la phase des critiques des acteurs et viendra enfin la phase d’élaboration de nouveaux textes. Nous nous sommes donné 12 mois.

Evé : Abordons maintenant les questions plus en relation avec les pouvoirs dans notre pays. Est-ce qu’il est facile d’être Premier ministre dans la configuration de notre constitution qui ne confère pas beaucoup de prérogatives au chef du gouvernement ?

PEY : En République, il faut se conformer aux dispositions de la constitution. Selon notre constitution, la nomination au poste de Premier ministre résulte d’une relation de confiance avec le premier magistrat du pays : le président du Faso. Tant que cette confiance existe, le Premier ministre a les coudées franches pour travailler. C’est mon cas. Je travaille avec beaucoup de liberté dans les limites imposées par les orientations du Président du Faso.

Dans un pays où tout est à construire, on a évidement des ambitions en tant que Premier ministre et souvent, il est difficile de voir que les moyens de les réaliser font défaut. C’est notre gestion quotidienne comme ça. Mais, je puis vous dire que c’est exaltant à ce niveau de responsabilité de participer à la construction de son pays. Je fais de mon mieux pour être au rendez-vous de l’histoire de mon pays.

Evé : Qu’est-ce qui vous reste comme initiatives personnelles par rapport à l’exigence de conformité avec les orientations du chef de l’Etat ?

PEY : La marge de liberté est très grande si on se dit qu’on doit construire ce pays pendant des mandats bien déterminés. J’utilise mes potentialités pour décider juste et être efficace.

Evé : Est-ce qu’il est facile d’être Premier ministre quand on n’est pas chef de parti ?

PEY : Sans être chef de parti, je suis l’incarnation de la volonté populaire de façon indirecte parce que la majorité au Parlement résulte du choix du peuple. Le chef de l’Etat qui m’a fait confiance, c’est le choix du peuple également.
Maintenant moi-même, je vais vous rappeler tout simplement que j’étais membre du comité central de l’ODP/MT, l’ancêtre du CDP. Actuellement dans mon parti, je suis membre de l’organe suprême qui est le secrétariat exécutif central. En toute honnêteté, je n’ai pas rencontré un handicap pour conduire mon action du fait que je ne suis pas chef de parti.
Evé : Est-ce que vous vous êtes maintenant émancipé de Salif Diallo ?

PEY : Peut-être qu’il faut préciser votre question.

Evé : A votre nomination en 2000, on a dit que vous étiez l’homme de Salif Diallo. Après 5 ans passés à la primature, est-ce que vous vous êtes maintenant émancipé de Salif Diallo ?

PEY : Ce que vous dites fait partie des rumeurs habituelles de notre pays parce qu’on veut mettre un certain nombre de gens sous la coupe d’autres personnes. Pour ce qui me concerne, je viens de vous rappeler mon cursus politique.
Du reste, si vous me regardez, est-ce que je ressemble à quelqu’un qui peut être l’homme de quelqu’un ?
Ce que je sais, c’est que Salif Diallo et moi sommes de vieux camarades. Nous sommes camarades depuis les mouvements scolaires jusqu’à aujourd’hui. Et à force de camaraderie, nous sommes devenus des amis.

Evé : On vous entend très peu sur des questions brûlantes de l’actualité. Par exemple, la question sur l’insécurité...

PEY : C’est un choix, je ne crois pas que dans les sociétés africaines, burkinabè en particulier, un chef de gouvernement doit être toujours au devant de la scène. Parce que tout simplement, si on regarde notre façon de nous comporter en politique, notre façon de contenir ou de gérer nos émotions, je pense que c’est sûr que ce n’est pas une bonne démarche de gouvernance quotidienne que le chef du gouvernement qui est le premier responsable opérationnel de conduite de l’action gouvernementale soit toujours au devant de la scène. S’il le fait, ça risque de produire moins de résultats positifs.

Evé : Qu’est-ce que vous n’aimez pas dans la presse burkinabè ?

PEY : Je ne vais pas faire de la démagogie parce que je vous connais. Notre presse est une presse professionnelle de manière globale si on la compare avec la presse dans les autres pays de la sous-région. Pour répondre maintenant à votre question, à savoir ce que je n’aime pas ou ce que je déplore, c’est que certains écrivent des choses sans avoir chercher le maximum d’informations. Même intellectuelle-ment, cela n’est pas acceptable, a fortiori si l’on considère le rôle et les missions sociales de la presse.

Par Germain B. Nama, Newton A. Barry et Idrissa Barry

L’Evénement

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Vos commentaires

  • Le 14 juin 2006 à 22:27, par A. H. Y. En réponse à : > Paramanga Ernest Yonli : <I>Je ne suis l’homme de personne...</I>

    Je soutient l’idée qu’il faut une politique d’aménagement du territoire en fonction des potentialités de chaque région. La cohésion de la nation est à ce prix. Aucune region n’est trop démunie pour ne pas pouvoir se spécialiser. L’activité minière et extractive (or, manganèse, pétrole ?) au nord, l’activité industrielle à l’Ouest et à l’Est, l’activité agricole et la production d’énergie hydro-électrique au sud-ouest et dans le bassin du Mouhoun, les services dans le plateau central, le tourisme cynégétique au sud...Et des routes pour permettre la circulation des biens et des personnes sur tout le territoire national. Et le Burkina, de par sa position stratégique au coeur de l’Afrique de l’Ouest, peut participer positivement au dévéloppement de l’Ouest africain. On fermerait ainsi le clapet des chantres de l’immigration choisie.

    Merci camarade

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