LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Participation et représentation équitable des femmes en politique : Les arguments pour une loi favorable

Publié le mardi 6 juin 2006 à 06h14min

PARTAGER :                          

A l’heure où l’Assemblée nationale organise, pour les 6 et 7 juin prochains un forum national sur les voies et moyens d’une meilleure participation des femmes burkinabè à la vie politique nous avons reçu une contribution au débat, du Docteur Nestorine Sangaré. Nous vous invitons à lire cet article instructif.

Nestorine Sangaré

L’Assemblée nationale organise les 6 et 7 juin 2006 prochains, un Forum national sur la participation et la représentation des femmes en politique au Burkina Faso. Les participants auront à discuter sur les conditions et les instruments nécessaires à une participation et une représentation équitable des femmes en politique et dans les sphères de décision. On ne peut que féliciter les premiers responsables de l’Assemblée et les membres du Caucus genre pour avoir pris cette initiative d’une très haute importance pour les femmes et pour tous les démocrates du Burkina Faso.

Seulement voilà, l’initiative est très louable et nécessaire, mais les opposants à l’amélioration du rôle et de la place des femmes en politique sont peu nombreux mais très actifs. Contre toute attente, c’est parmi les députés hommes au sein de l’Assemblée nationale qu’on trouve les opposants les plus virulents à l’idée de l’adoption d’une loi imposant un quota d’au moins 30% de femmes aux postes nominatifs et électifs au Burkina. A entendre les arguments de ces opposants, il apparaît clairement que beaucoup ne savent pas de quoi ils parlent.

La question des quotas n’est pas seulement cruciale parce qu’elle vise à améliorer la participation politique des femmes. Elle l’est surtout parce qu’elle est une mesure correctrice indispensable à la consolidation de la démocratie burkinabé. Elle vise l’instauration d’une discrimination positive (justifiable légalement) pour lever les contraintes et les entraves à la participation et la représentation équitable des femmes et des hommes dans les instances de décision à tous les niveaux.

C’est une mesure courageuse et volontariste qui traduit la maturité et la volonté politique des premiers responsables du pays. Si elle venait à ce concrétiser, l’application du système de quota donnerait une dimension nouvelle à notre démocratie et pour cause.

La démocratie n’est pas un concept polysémique qui se prête à plusieurs définitions et interprétations selon les circonstances, les positions et les intérêts variables des individus. La vraie démocratie est loin d’être une réalité caricaturale et sexiste qui ne reflète que la vision masculine d’une minorité d’hommes au pouvoir. Une organisation politique, taillée sur mesure et instrumentalisée pour protéger les intérêts égoïstes d’un groupe dominant est loin d’être une démocratie. Tout en affichant les apparences d’une vraie démocratie (existence des institutions, multipartisme, organisation des élections, etc. ), cette organisation peut être perçue comme un totalitarisme par les groupes sociaux exclus du jeu politique et privés de voix.

Le Burkina Faso n’est pas un pays leader pour rien

Il s’agit d’une illusion de démocratie qui ne satisfait qu’à ses promoteurs. Il n’y a pas de démocratie dans un pays quand 50% de la population est exclue du jeu politique par des critères discriminatoires, des préjugés conservateurs et des calculs individualistes. C’est contre l’instauration de ce modèle de démocratie en trompe l’oeil que les leaders burkinabé se battent depuis 1991.

Le Burkina Faso n’est pas un pays leader en Afrique à cause des beaux discours de ces dirigeants sur la scène internationale. Son leadership s’explique par le fait que les premières autorités savent joindre l’acte à la parole et prendre des initiatives difficiles et complexes. A ce titre, ils ont d’une part fait le pari de faire de notre nation un modèle de démocratie au niveau mondial. D’autre part, ils ont pris fait et cause pour la promotion des droits citoyens des femmes pour consolider la démocratie nationale. Leur volonté politique a prévalu lors de la ratification du protocole additionnel à la Charte africaine des droits de l’homme relatif aux droits des femmes et du Plan d’action de la CEDEAO sur l’égalité homme femme. Cette volonté politique existe toujours pour la mise en œuvre réussie des engagements pris.

Il est nécessaire de bien s’informer avant de prendre position

Dans la perspective des prochaines élections législatives, le moment est venu de concrétiser les décisions en faveur d’une plus grande participation et représentation des femmes en politique. L’unanimité évidente entre le législatif et l’exécutif à ce sujet laisse augurer d’une issue heureuse pour les femmes. Toutefois, après concertation avec les leaders d’opinions et les partis politiques, le Caucus genre du Parlement propose un quota de 30% de femmes dans les postes de décision. Pendant que les documents et conventions internationaux parlent de parité ou d’égalité homme femme, le projet de loi en préparation porte sur un quota d’au moins 30% de femmes. C’est un choix raisonnable fait après bonne réflexion pour prendre en compte le niveau actuel de la culture politique et les contraintes éventuelles des femmes pour remplir un quota plus élevé.

Le Forum prochain vise à élargir la réflexion sur le sujet à tous les acteurs de la vie politique nationale. Cependant, dans la perspective de cette grande rencontre, les tendances actuelles au niveau des débats laissent penser que certains députés s’opposeront à l’adoption de la loi. A la faveur de la rencontre à venir, ils risquent d’entraîner d’autres personnes dans cette lancée et réduire ainsi les chances de succès de cette initiative positive. Compte tenu de l’importance du sujet et des enjeux, une mise au point est nécessaire pour permettre aux participants d’éviter les pièges discursifs des opposants à la loi. Pour commencer, je recommande vivement aux députés et aux participants au Forum de rechercher les informations nécessaires qui leur permettront de se faire une opinion claire sur le sujet avant de pouvoir prendre position. Les questions qui suivent peuvent leur servir de guide dans la recherche des bonnes informations. Qu’est-ce qu’un quota et le bien-fondé de son adoption dans un pays ? Combien de types de quotas existent-ils ? Le quota est-il anticonstitutionnel et contraire à la démocratie ? Quels sont les fondements juridiques des quotas ? Est-il possible d’utiliser simultanément plusieurs types de quotas dans un pays ? Quelles sont les conditions et les modalités d’application des quotas ? Combien de pays démocratiques ou non démocratiques appliquent des quotas dans le monde ? Pourquoi les vieilles démocraties libérales européennes ne sont pas des modèles à suivre dans le domaine des quotas ? Quelles sont les limites des différents quotas et les mesures d’accompagnement requises pour leur réussite ? Quelles sont les leçons tirées de l’expérience des autres pays qui justifient aujourd’hui la volonté d’appliquer un système de quotas pour les femmes au Burkina Faso ? Pendant combien de temps un quota doit être appliqué ? Quels sont les acteurs clés du processus d’élaboration, d’adoption et d’application d’une loi sur les quotas ? Le Caucus genre de l’ Assemblée nationale a des documents contenant les réponses à plusieurs de ces questions. Ses dirigeants seront contents de pouvoir apporter leur appui. Des personnes ressources travaillant avec le Caucus et des Organisations de la société civile sont également disponibles pour apporter leur soutien aux individus et partis en quête d’informations ou de formation sur le sujet.

Quand des élus s’opposent à la promotion des droits politiques des citoyennes

Pour ceux des députés tentés de faire de la question des quotas pour les femmes une question politicienne, ou un moyen facile pour s’attirer la sympathie des hommes dans l’opinion publique, je dirai que la maturité politique du peuple burkinabé et sa clairvoyance le met désormais hors d’atteinte. En effet, le peuple est témoin des sacrifices que les femmes consentent pour donner de la visibilité aux petits et aux grands partis politiques, pour rehausser les taux d’affluence les jours des scrutins et donner ainsi à notre démocratie nationale une image crédible sur la scène internationale. Ce n’est pour autant que leurs droits humains fondamentaux sont défendus après les élections. Qu’est-ce qu’elles gagnent en retour pour tant d’abnégation et de motivation constante ? Elles font tout cela sans être payées (contrairement à d’autres acteurs) et en étant mal remerciées après les élections. Plus que nulle autre catégorie sociale, les femmes burkinabé croient fermement à la démocratie, malgré leur analphabétisme et leur supposé manque de culture politique. Il est donc normal que, de plus en plus, elles expriment des demandes légitimes pour une équité de représentation entre les hommes et les femmes dans les instances décisionnelles. Est-ce parce qu’elles ne font plus confiance aux hommes qu’elles élisent ou qui sont nommés ? C’est beaucoup plus parce qu’elles ont le droit d’être élues et d’occuper des postes nominatifs pour défendre elles-mêmes leurs intérêts. Elles ne demandent pas la charité car le quota n’est pas un cadeau. Et si cette entrée dans le champ politique devait être payée, les femmes ont joué depuis toujours le rôle de bétail électoral pour que le prix requis puisse être considéré comme étant largement couvert. Les vrais démocrates et les leaders politiques intelligents et honnêtes comprennent la portée d’une telle revendication et la portée de mon propos.

Analyse genre des formes de résistance

Malheureusement, chez certains députés farouchement opposés (une minorité heureusement) à l’adoption d’une loi sur les quotas favorable à l’équité en politique, il arrive que l’opposition affichée de façon ouverte ou cachée soit dictée par un sentiment d’insécurité et de peur de perdre son poste. A travers cette opposition farouche, ces acteurs de la scène politique nationale qui ont bénéficié jusque-là de l’exclusion des autres catégories sociales, dont les femmes, jettent enfin les masques et se manifestent. Une analyse genre de leurs motivations, leurs réactions, leurs arguments et leurs stratégies d’action s’impose à cause de l’éclairage nouveau qui en découle. En plus de traduire une insuffisance de maturité politique et une remise en cause de plusieurs principes démocratiques (alternance, pluralisme d’opinion, participation citoyenne, liberté de vote), leur attitude illustre une discrimination basée sur l’appartenance sexuelle. A cause des enjeux et des intérêts individuels que révèlent les quotas, le faux conservatisme de ces personnes, privilégiées de longue date par le système actuel, devient manifeste. La cordialité hypocrite qui a souvent prévalu dans les rapports entre les hommes et les femmes dans le milieu politique fait place à la violence verbale et au mépris non dissimulé. Plusieurs des opposants font une levée de boucliers pour inviter tous les hommes à une fausse et imaginaire guerre des sexes. Ils n’hésitent pas à se servir des pouvoirs et attributs liés aux rôles qui leur sont confiés par la nation pour défendre des visées individualistes en simulant l’intérêt général. Face à l’imminence d’une remise en cause généralisée de l’ordre établi qui les protège, la subjectivité individuelle de ces politiciens insécures prend le pas sur leur raison et leur objectivité et cela avec raison. Ils sont tellement habitués à leurs privilèges et acquis innés d’homme qu’ils en viennent à considérer cela comme étant normal et naturel. Tout en se revendiquant quotidiennement des valeurs libérales et modernes qui prônent la saine compétition, le mérite individuel, la rationalité et l’objectivité, ils ne tiennent pas moins mordicus à continuer de jouir tranquillement des privilèges et autres avantages monumentaux liés au seul fait pour eux d’être né avec un sexe masculin.

Déconstruction des stratégies de résistance et d’opposition

Au niveau individuel, certains de ces opposants usent de réactions instinctives et émotionnelles contre l’éventualité d’un accroissement du nombre de femmes, se repliant de manière défensive dans leur identité masculine qui semble leur dernier rempart. Ses opposants d’un autre genre manifestent maladroitement un complexe de supériorité fondé sur leur appartenance sexuelle. Au lieu de la force de l’argument, ils n’hésitent pas à utiliser l’agressivité sous toutes ses formes pour intimider, faire taire et contraindre les femmes membres des partis à abandonner leurs ambitions politiques. Le recours réflexe à la solidarité mécanique du groupe d’appartenance et la manipulation de l’opinion par des propos mensongers propres à créer la psychose font partie de leurs tactiques déloyales. La tradition leur sert d’abri sûr, même si, en temps ordinaire, ils en dénigrent les normes et règles les plus élémentaires. Pour préserver les privilèges concédés par la société, tout en sauvant les apparences de justice sociale et de normalité des choses, ils emploient plusieurs stratégies discursives déloyales. Parfois, la stratégie consiste à s’allier avec la presse pour construire rapidement un consensus sociopolitique négatif sur la question des quotas. Pour ce faire, les opposants sèment la confusion, exploitent la sous-information des citoyens pour créer la peur chez le citoyen ordinaire. En prétextant une volonté de prise de pouvoir par les femmes, ils génèrent la panique chez les hommes les moins éclairés qui s’allient automatiquement au mouvement de repli identitaire pour contrer l’hypothétique envahisseur. Ils encouragent à serrer les rangs pour livrer bataille et barrer la route à un ennemi imaginaire. Par des prises de positions éditorialistes et l’attribution inéquitable des espaces de prise de parole, certains hommes de médias participent inconsciemment à une campagne de désinformation contre le système des quotas. Ils contribuent ainsi à créer la confusion en diffusant des idées fausses véhiculées sous le couvert de discours aux allures scientifiques et expertes. Grâce aux médias, les opposants à l’adoption d’un loi sur les quotas finissent par transposer leurs propres sentiments négatifs à un large public non averti. En l’absence d’une interaction directe entre les protagonistes pendant cette campagne de désinformation, l’opinion risque de prendre position contre l’adoption de la loi sans avoir compris le bien-fondé de l’idée promue. A l’endroit des femmes, ils tiennent de beaux discours vains et trompeurs pendant les campagnes électorales. Ces discours endorment la conscience de la majorité qui cesse de faire pression et donne du repi à ces élus non démocrates.

Elles leur permettent ainsi de gagner du temps dans la résistance, tout en retardant l’avènement du changement inévitable. Les débats qui auront lieu en fin de semaine sur l’adoption d’un système de quotas au Burkina Faso mettront à nu les contradictions et les incohérences de certains politiciens tout en permettant de découvrir les vrais démocrates en fonction de la rigueur intellectuelle et l’objectivité de leurs arguments.

L’entrée massive des femmes dans l’arène politique est un phénomène inéluctable

Il convient de prendre conscience que l’entrée massive des femmes dans l’arène politique est un phénomène inéluctable qui se produira tôt ou tard et avec lequel il va falloir composer.

C’est pourquoi, les réactions négatives et toutes les stratégies de sabotage ne font que renforcer leur volonté et leurs efforts pour la reconnaissance et la jouissance de leurs droits de citoyennes à part entière. En démocratie, il n’y a aucun monopole historique qui tienne pour une catégorie sociale. Chaque citoyen et citoyenne doit avoir les mêmes chances et opportunités de faire ses preuves dans l’action publique.

Les propos qui suivent servent d’illustration.

Dans une compétition, tous les concurrents doivent être soumis aux mêmes contraintes et règles pour que la victoire ne souffre d’aucune contestation ou suspicion. Quand dans une course de vitesse tous les athlètes ne partent pas de la même ligne de départ et que certains courent chargés tandis les autres sont transportés, cette course n’a pas de raison d’être car les vainqueurs sont connus d’avance. Or, du fait des contraintes et entraves socioculturelles existantes, la bataille politique est souvent perdue d’avance pour les femmes à cause des rapports de forces très inégalitaires entre les concurrents.

Il n’est pas étonnant que les femmes ne soient pas intéressées par la politique car le jeu n’en vaut pas la chandelle. Rien ne sert d’engager une bataille qu’on est sûr de perdre tout en perdant temps, énergie et maigres ressources.

Le but des quotas est d’aider à accélérer la suppression des barrières et des entraves pour permettre à tous les concurrents politiques (hommes et femmes) d’entreprendre la compétition en ayant au départ les mêmes chances de succès.

La suppression du monopole qui prévaut actuellement profitera certainement à d’autres groupes sociaux exclus de l’arène politique comme les jeunes et les pauvres. Cela est indispensable à l’instauration future d’une démocratie participative.

Le vœu le plus cher des femmes est que l’initiative en cours au sein du Parlement ne soit pas une occasion manquée et un faux départ. Avec la volonté politique manifeste des plus hautes autorités de ce pays, espérerons que le bébé ne sera pas jeté avec l’eau du bain. Espérons surtout que le courage politique qui a prévalu au niveau de l’Assemblée nationale au début de cette initiative prévaudra jusqu’à son succès malgré les obstacle évidents dont le champ politique a les secrets.

C’est un défi collectif.

Dr Nestorine SANGARE,
Centre de Recherche et d’Interventions
en Genre et en Développement

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Sénégal / Diomaye Faye président ! : La nouvelle espérance
Burkina : De la maîtrise des dépenses énergétiques des Etats
Burkina Faso : Combien y a-t-il de langues ?