LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Justice en Afrique : On extrade ou non ?

Publié le jeudi 1er juin 2006 à 08h06min

PARTAGER :                          

« Quelle justice pour l’Afrique : nationale, régionale ou internationale ? ». Tel a été le menu du débat qui s’est tenu dans la salle « le Petit-Méliès » du Centre culturel français, dans la soirée du 30 mai 2006.

Organisée par l’ambassade de France au Burkina Faso, en collaboration avec Canal 3, cette rencontre a permis aux participants de donner leurs points de vue sur le sujet d’actualité suivant : faut-il extrader ou juger sur place les dirigeants africains qui ont commis des crimes durant leur règne ?

Sans risque de se tromper, l’on peut affirmer que les invités au Petit-Méliès ont assisté à une discussion de haut niveau. Pour s’en convaincre, il suffisait de voir la composition du panel qui entourait le modérateur, Rémi Dandjinou, directeur des programmes de Canal 3. Il s’agissait de : Ibsen Koné, chef du service des Traités et Accords internationaux au ministère des Affaires étrangères et de la Coopération régionale, Hervé Kam, magistrat et président du Syndicat burkinabè des magistrats (SBM), Yarga Larba, professeur de droit et ancien ministre de la Défense et de la Justice, Dé Albert Millogo, magistrat, ancien ministre de la Justice et actuellement président de la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le Pr Augustin Loada et Me Bénéwendé Sankara, qui ne sont plus à présenter.

Les invités, parmi lesquels des étudiants, des professeurs, des chercheurs, des journalistes, des hommes politiques, ont aussi aidé à rendre la causerie plus relevée. Les cas Hissen Habré, Charles Taylor et Thomas Sankara ont servi de base aux discussions. Et comme il fallait s’y attendre dans ce genre de débat, deux camps se sont affichés : les partisans de l’extradition et du jugement en pays neutre et ceux qui sont partants pour un jugement de proximité.

On pouvait ranger dans la première catégorie les panélistes Hervé Kam, Augustin Loada et Me Bénéwendé. Yarga Larba, Dé Millogo et Ibsen Koné ont émis plutôt des réserves sur l’opportunité d’une extradition. Pour Me Bénéwendé Sankara : « Il faudrait intégrer dans le débat la question de la fiabilité des institutions chargées de dire le droit, si aujourd’hui on pose la question des institutions chargées de dire le droit.

Si on pose la question de la compétence universelle, l’Afrique a deux voix : ceux qui sont favorables et ceux qui sont contre. Je suis de ceux qui pensent qu’il aurait fallu la compétence universelle pour traduire les criminels. Si nos pays ont accepté de signer les conventions et ont engrangé du même coups les avantages sociaux et économiques y afférents, il faudrait aller jusqu’au bout de cette logique. La Justice étant le rempart de la démocratie, il n’y a pas lieu de crier au scandale concernant l’extradition de criminels pour être jugés dans des juridictions où l’ensemble des droits sont garantis ».

Le clan des partisans du « non » voit les choses autrement. Pour eux, justice doit être rendue là où se sont déroulés les événements. A défaut, à proximité. Dé Millogo : « Je me pose la question de savoir quelles sont l’opportunité et la légalité de la compétence universelle. Il faudrait plutôt mettre l’accent sur les juridictions nationales. La juridiction internationale ne devrait venir que quand il y a une carence côté national. Je me demande si un Etat souverain doit s’ériger en une juridiction pour aller chercher quelqu’un, quel que soit l’endroit où il se trouve, l’amener chez lui et le juger.

N’est-ce pas une immixtion dans les affaires d’un autre Etat ? ». Mais faute de tribunal national, une partie de ce groupe propose des tribunaux supranationaux, à l’image de la Commission africaine des droits de l’Homme de l’Union africaine (CADH). Cette évocation a provoqué la réplique suivante du magistrat Hervé Kam : « Beaucoup d’avocats et de magistrats qui ont été choisis dans cette commission n’ont même pas la culture des droits humains ».

Pour les partisans de l’extradition, le problème se pose au niveau de la fiabilité des juridictions nationales et du respect des conventions que les pays ont librement signées. Propos d’un intervenant : « Au Burkina, nous avons ratifié tous ces traités. Pourquoi on ne veut pas les appliquer ? Il y a un manque de sérieux. C’est parce qu’on a constaté que nos juridictions fonctionnent mal qu’on est allé chercher ailleurs. »

La question de la ratification des traités a été largement débattue pendant cette conférence. Des intervenants ont en effet trouvé que le Burkina est prompt à signer toutes les conventions qui lui tombent sous la main, alors qu’il ne les respecte pas souvent. « L’Etat s’empresse de le faire pour être considéré par les bailleurs de fonds comme un bon élève international. Un statut qui donne droit aux financements extérieurs », fera remarquer dans la salle un doctorant en droit.

En somme, la rencontre a donné l’occasion à chacun de s’exprimer sur cette question d’extradition. Mais les points de vue sont souvent à prendre à leur juste mesure. En effet, si le débat était hautement juridique, il n’en demeure pas moins que le sujet est surtout politico-juridictionnel, un domaine de passions. Et bien des intervenants n’étaient pas vierges politiquement. Cependant, malgré les petites piques lancées par-ci par-là, le mérite des organisateurs est d’avoir pu cadrer le débat, qui s’est terminé dans une bonne ambiance.

Issa K. Barry

L’Observateur Paalga

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique