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Commerce de pagnes au Burkina Faso : A qui profite la contrefaçon ?

Publié le vendredi 26 mai 2006 à 07h12min

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Aussi disputé que cela puisse paraître, le commerce des pagnes au Burkina Faso n’échappe pas au phénomène de contrefaçon qui menace de plus en plus le marché local et l’industrie textile naissante.

S’il y a actuellement un commerce florissant au Burkina Faso, c’est bien celui des pagnes. Dans tous les coins de rue, on peut s’en procurer. Plus besoin de se déplacer puisque même à domicile ou au bureau, les vendeurs viennent harceler les clients potentiels. Ces pagnes provenant de tous les horizons, sont déversés sur le marché Burkinabè. Si le pagne est une tradition vestimentaire chez les Burkinabè, le pays n’en fabriquait plus depuis la fermeture de Faso Fani, de 1999 à 2006.

Mais à l’heure actuelle, une autre unité, Fasotex tente de relever le défi. A côté, le Faso Dan Fani (pagne traditionnel tissé de façon artisanale, produit par des artisans locaux) même s’il connaît un engouement de la part des populations, demeure jusque-là hors de portée de la majeure partie. D’où leur attachement aux pagnes industriels relativement moins chers pour la plupart.

A l’origine, les pagnes provenaient de l’Angleterre (Wax anglais) puis de la Hollande qui, depuis 1846, s’est spécialisée dans la fourniture du textile africain. Le groupe Vlisco, qui en avait le monopole, s’est progressivement installé sur certaines côtes africaines, notamment au Ghana (GTP, Woodin) et en Côte d’Ivoire (Uniwax). De là, se fait la distribution dans toute l’Afrique. En plus de ces producteurs traditionnels, les pagnes sont de plus en plus fournis par le continent asiatique, notamment la Chine.

Il s’agit surtout de pagnes Wax, une qualité très prisée des femmes africaines, en particulier, celles de l’Afrique de l’Ouest et du Centre.

C’est donc l’entrée dans la danse du continent asiatique dans la production des pagnes qui explique ce boum ou encore l’inondation de nos marchés par les pagnes, ces dernières années.

Toutefois, la plupart de ces pagnes sont des contrefaçons des pagnes originaux, produits par la Hollande, le Nigeria, la Côte d’Ivoire et le Ghana. Selon le directeur général de Vlisco african company-Burkina (VAC-Burkina), Stéphane Lésueur, le Wax est imité parfaitement aussi bien au niveau des motifs, du coloriage que de l’étiquetage. Madame Nikièma, revendeuse à Nabiyaar, dira quant à elle, que la seule différence entre ces produits de contrefaçon et les originaux est la qualité.

Toutefois, a -t-elle précisé, « il est très difficile pour le consommateur de faire la distinction, sauf bien sûr, à long terme ». « Ce phénomène a commencé il y a de cela cinq ans », précise Stéphane Lésueur. Et d’ajouter que l’incendie de Rood Woko en 2003, est venu aggraver les choses. « La plupart de nos distributrices fidèles se sont dispersées. Nous avons pratiquement perdu le contact avec certaines d’entre elles », a-t-il confié. Toute chose qui a occasionné une baisse considérable du chiffre d’affaires de Vlisco, dans la sous-région. Au Burkina, cette baisse est estimée à 50%. Au Nigeria, nombreuses sont les usines qui sont sur le point de mettre la clé sous le paillasson.

Au grand bonheur des dames

La conséquence logique de l’envahissement du marché par les pagnes, est la baisse vertigineuse des prix. Les prix des pagnes de contrefaçon, au départ entre 4500 et 5000 F, ne cesse de chuter. A la date du premier avril 2006, le prix vacillait entre 3150 F et 3500 F. Même les prix des anciennes marques déposées ont connu une baisse sensible. Et les femmes de s’en réjouir, elles qui ne jurent que par ces pagnes.

Pour Alice Somda, les pagnes chinois sont les bienvenus. « Il y a quelques années, n’importe qui ne pouvait pas s’habiller en Wax. Maintenant avec 3500 F, on peut se procurer 3 pagnes de Real Wax ».

Même les uniformes des mariages, baptêmes et funérailles se font avec du Wax. Ce qui, jadis, était pratiquement inimaginable. En tout état de cause, le mythe du Wax est bel et bien tombé.

Toutes celles qui convoitaient le Wax hollandais de 35 000 F CFA, n’hésitent pas à se procurer la version falsifiée à 8000 F CFA.

Aussi fouillent-elles, chaque jour, les marchés atypiques de Ouagadougou nés après l’incendie de Rood Woko en 2003, à la recherche de nouveautés. Aminata Ouédraogo qui travaille dans une grande société de la place se réjouit également de cette nouvelle donne. « Avec 10 000 F CFA, j’arrive à avoir 3 complets. Je sais bien que ces pagnes ne sont pas aussi résistants que les anciens Wax mais je préfère miser sur la quantité », a t-elle déclaré.

Une situation qui n’arrange pas les commerçants

Par contre, , Madame Nikiéma qui aime le luxe dit ne plus s’habiller en pagne. « Avec l’arrivée de ces pagnes de contrefaçon, on ne peut plus faire la différence. C’est pourquoi depuis un certain temps je m’habille en Bazin », confie-t-elle.

Si les dames se réjouissent de la baisse du prix des pagnes sur le marché par les commerçants-revendeurs par contre, ne savent plus à quel saint se vouer. « L’arrivée des produits chinois a perturbé le marché. On ne s’en sort plus du tout. Lorsqu’on avait à faire aux pagnes GTP, Vlisco, ATL, on se frottait les mains », confie Appolinaire, commerçant à Nabiyaar.

En effet, la plupart des commerçants reconnaissent ne plus pouvoir faire plus de 250 F de bénéfice sur la vente d’un complet Wax chinois.

Le pire, selon Mme Ouédraogo Fatoumata « C’est qu’il nous arrive de vendre à perte à cause de la baisse constante des prix ». Il m’est arrivé d’acheter des pagnes à 7000 F, la pièce et de les revendre au même prix parce que certains commerçants qui ont pu les acheter à 6500 F, sont venus casser le prix.

Cette situation serait selon les revendeurs, le fait d’opérateurs économiques qui se rendent directement en Chine pour proposer la contrefaçon des pagnes prisés sur le marché. Qui sont-ils exactement ? Difficile de le savoir car selon Stéphane Lésueur, ce sont des gens qui travaillent dans l’ombre. Le bénéfice que les importateurs de pagnes de contrefaçon pourraient tirer sur chaque conteneur est estimé à près de 20 millions de F CFA. En effet si un conteneur de pagnes Wax hollandais tourne autour de 300 millions, le conteneur de pagnes contrefaits est estimé à 60 millions de F CFA. Pour cela, Madame Alizèta Taonssa pense que les revendeurs doivent faire une coalition pour refuser la vente de ces pagnes, sinon, a-t-elle précisé : « ils vont continuer à se sucrer sur notre dos ». Toute chose qui semble bien illusoire, et madame Taonssa le sait mieux que quiconque.

L’appétit vient en mangeant, dit-on. Il est certain que les femmes qui ont pris goût à ces pagnes contrefaits, ne pourront plus s’en défaire aussi facilement. Il en est de même pour ceux qui en tirent de grands profits. L’arrivée de ces pagnes de contrefaçon a multiplié par dix, le nombre des vendeurs. Dans le temps, précise Appolinaire Bilgo, « n’était pas commerçant de pagnes qui veut. Cela demandait de gros moyens ».

Et c’est dans ce contexte fortement marqué par la fraude et la contrefaçon que Fasotex est née des cendres de Faso Fani. Les repreneurs de cette unité ont-ils pris la mesure de la situation avant de se lancer dans la fabrication de pagnes ? Fasotex saura t-elle répondre aux attentes des femmes burkinabè ? Quel est son secret pour faire face à la concurrence ? Autant de questions sans réponses pour l’instant et sur lesquelles l’avenir nous éclairera.

Fatouma Sophie OUATTARA

Sidwaya

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