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Crise ivoirienne : Des armes contre des pièces d’identité

Publié le vendredi 19 mai 2006 à 08h09min

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Si on prend Charles Konan Banny au mot, la locomotive ivoirienne devrait avoir quitté la gare hier 18 mai et s’ébranler vers une destination : celle de la paix. Une paix qui est suspendue aujourd’hui à deux choses : le désarmement des combattants des Forces nouvelles et l’identification des vrais Ivoiriens. Deux actions supposées débuter aujourd’hui, en même temps, d’où l’emploi du mot "concomitance".

Un vocable qui a fait l’objet d’une polémique sémantique, même au palais de Cocody, où les collaborateurs de Laurent Gbagbo essayent de disséquer le terme. Il n’est pas jusqu’au maître des lieux qui n’ait voulu préciser les sens premier et second de ce mot. Au-delà de ces chicaneries devenues naturelles en Côte d’Ivoire, tant la résolution de la crise est toujours l’objet de discussions, il faut reconnaître que ces deux opérations annoncées par le Premier ministre ivoirien constituent la pierre d’achoppement.

En effet, déjà en 1999 à Tabou, le conflit entre Burkinabè et Krumen, sur fond de litiges fonciers, et de délit de patronyme, était symptomatique de ce que cette crise ivoirienne, est intimement liée à la question des rapports entre les autochtones et les allogènes. Mieux, la guerre des conjonctions de coordination (et, ou) relative à la filiation (né de père et de mère eux-mêmes ivoiriens), suscitée dans la Constitution en 2000, avait, il faut avoir le courage de le dire, un seul but : écarter Alassane Dramane Ouattara (ADO) le Mossi, le Burkinabè, l’étranger, de la présidentielle.

ADO qui, non content d’avoir, selon ses adversaires politiques, été appelé par Houphouët-Boigny pour boire le lait, s’est permis de vouloir compter les veaux, pire de vouloir s’approprier le cheptel entier. La crise ivoirienne a une origine identitaire, et s’il y a la partition de fait du nord du territoire, c’est que les populations de cette région du pays se sentent comme ayant un statut d’habitant de seconde zone. C’est pourquoi, de la réussite de ces deux opérations capitales dépend la sortie de la Côte d’Ivoire du trou dans lequel elle s’est empêtrée.

Voilà donc deux actes "concomitants", censés être la clef du problème, mais deux actes concomitants et "non simultanés" comme le précise Laurent Gbagbo qui, décidément, avec son sens des nuances, a fait la précision suivante : "concomitance signifie venir avec, simultané, ce qui serait techniquement irréalisable, car on ne peut pas recenser sereinement les électeurs en ayant une baillonnette sur la tempe". La Communauté internationale a sans doute pris acte de ce distingo sémantique.

En tout cas, le 16 mai dernier, les deux camps militaires, à savoir les FANCI et les Forces nouvelles, avec à leur tête les généraux Philippe Mangou et Soumaïla Bagayoko, se sont rencontrés à la Primature. A cette rencontre, il a été question du préregroupement des différentes factions des Forces nouvelles et des audiences foraines, autrement dit de l’identification des Ivoiriens. Et rendez-vous a été pris pour un autre dialogue à Yamoussoukro, le 31 mai, entre militaires.

Le préregroupement est un prélude au cantonnement, qui doit déboucher sur le désarmement. Désarmement ! C’est ce qui fait peur du côté des Forces nouvelles, qui y voient une perte de leur pouvoir. C’est connu, la confiance est la chose la moins partagée entre ceux qui ont pris les armes contre Laurent Gbagbo le 19 septembre 2002 et le pouvoir d’Abidjan. A juste raison, car outre les opérations "Assaillants dehors" tentées par le ministre public, le général Blé Goudé, et ses patriotes, on se souvient des événements de novembre qui ont exacerbé davantage cette crise vieille de 3 ans.

Les Forces nouvelles redoutent d’être sans armes face au camp de Gbagbo, et les 16 mois durant lesquels Guillaume Soro n’a pas mis les pieds à Abidjan édifient sur la phobie sécuritaire qui prévaut au "Soroland". Et ce n’est pas la seule raison : y a-t-il une vie après le désarmement ? questionne-t-on du côté du nord ivoirien.

Les Forces nouvelles craignent de connaître le même sort que les ex-combattants de Charles Taylor, qui ont bénéficié, pour les plus chanceux, de 500 dollars, et pour les autres, de rien et qui errent à travers Monrovia, végétant dans leur misère. En ce qui concerne l’identification des Ivoiriens, il s’agira concrètement d’enregistrer les personnes âgées de plus de 13 ans, nationaux comme étrangers, aux fins de leur délivrer un certificat national d’identification et un jugement supplétif.

Un acte majeur, si l’on sait qu’on peut gagner ou perdre une élection selon que le fichier électoral est transparent ou pas. Et en l’espèce, le camp Gbagbo soupçonne les Forces nouvelles de vouloir faire voter des étrangers. Ce qu’un journal, au plus fort de la crise, avait caricaturé en affirmant que Blaise Compaoré a nommé un préfet "balafré dans une localité du Nord". D’autres y voient tout simplement une opération de troc qui ne dit pas son nom, à savoir des armes en échange du précieux document qu’est la pièce d’identité.

Voilà donc le sort de la Côte d’Ivoire tributaire de deux choses. Konan Banny, prolixe en images, avec sa "stratégie du tandem, identifiée par un vélo qu’on pédale", aura-t-il le dernier mot ? Les prochains jours aideront à y répondre.

Zowenmanogo Dieudonné Zoungrana

Observateur Paalga

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