LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Souvenir de l’esclavage : Reconstruire une mémoire collective

Publié le vendredi 12 mai 2006 à 07h49min

PARTAGER :                          

Le 10 mai 2006, une nation, la France, s’est arrêtée un instant pour se souvenir de la traite négrière. 158 ans après l’abolition de l’esclavage, une série de manifestations a été organisée à travers tout le pays contre l’oubli.

Le devoir de mémoire semble avoir eu raison de tous les calculs politiques et de tous les complexes. Comment oublier une tragédie qui a emporté des millions d’Africains sur les lugubres et douloureux chemins du commerce triangulaire, où les survivants ont vu mourir leurs compagnons d’infortune ? Ils racontèrent plus tard leurs misères à leurs enfants et petits-enfants.

De génération en génération, l’histoire de cette tragédie humaine a fait son chemin, non sans avoir marqué au fer rouge la mémoire des "héritiers" d’un commerce dont les bénéfices, mais surtout les préjudices, sont incalculables. Parmi ces "héritiers", une dame : Christiane Taubira, député française d’Outre-Mer. Elle a introduit une loi qui porte désormais son nom : la loi Taubira du 10 mai 2001 qui reconnaît la traite négrière comme crime contre l’Humanité. Cette même loi autorise la commémoration en même temps qu’elle engage le gouvernement français à introduire une requête en reconnaissance de la traite négrière.

A cet instant , une fenêtre venait d’être ouverte dans l’odieux mur du silence, donnant sur un crime dont certains se refusent, jusque là, à reconnaître l’ignominie. La célébration du 10 mai scelle une sorte de réconciliation nationale en France où descendants d’esclaves des territoires d’Outre-Mer et négriers vont reconstituer une mémoire collective, sans haine ni passion, juste pour la vérité historique. Les archives ayant souvent été sélectives et les faits quelquefois tronqués, tout le sens de cette commémoration réside là.

La ville de Nantes, après moult hésitations, se dévoile enfin et semble accepter de faire face à son passé de port négrier. D’autres suivront peut-être. C’est sans doute une question de temps. Chaque maillon du système devra faire son introspection et situer sa responsabilité dans ce commerce honteux.

L’Afrique, quant à elle, en même temps qu’elle observe ce soubresaut de l’histoire revisité en terre française, regarde une France qui ferme ses frontières. Délivrance sélective de visas, immigration choisie plutôt que subie. Telle est la nouvelle politique. Cela dit, a-t-on demandé leur avis à ces millions d’esclaves qui embarquaient pour l’Europe, les Antilles ou les Amériques ? Cette immigration-là, à l’évidence, était imposée à ceux qui étaient déportés dans des conditions humiliantes et inhumaines.

Là, le terme de déportation convenait mieux à la situation. Passive mais concernée par une commémoration dont l’initiative vient de la France, l’Afrique, une fois de plus, laisse les autres aller au charbon et conquérir une victoire sur et contre l’oubli. Les réactions sur le continent, tant de la société civile que des autorités, ont été si rares que l’on se demande si l’Afrique a encore la force et le temps de s’occuper de son passé.

Heureusement, des traces indélébiles sont restées sur les rochers de Gorée au Sénégal et dans les vestiges de Ouidah au Bénin, pour ne citer que ces deux-là. A la décharge du continent peut-être, de nombreux problèmes existentiels : pauvreté, famine , conflits armés, etc. Mais peut-on se construire un avenir si l’on met un voile sur son passé ?

Malgré certaines complicités avérées de la part de certains de ses fils, l’Afrique reste la principale victime de la traite négrière. Reste la fameuse question de l’indemnisation. Très hypothétique, certes. Mais justifiée. Il appartient aux "victimes" d’en faire la démonstration et de montrer leur volonté de faire réparer le préjudice. L’essentiel, c’est que l’humanité garde en mémoire cette période de son histoire.

Le pays des droits de l’homme, comme on aime à le rappeler, vient de donner le ton d’un changement comme en 1794, lorsque la Convention a décidé d’abolir l’esclavage. La requête pour la reconnaissance que la France va introduire auprès du Conseil de l’Europe et des organisations internationales vise à trouver une date commune à la célébration internationale de l’abolition de la traite négrière.

La concrétisation de ce projet sera probablement la fin d’un tabou historique. La France a fait un pas, il appartient aux autres nations dont l’histoire a été balafrée par cette honteuse tragedie, de prendre le relais. Cependant, il ne faudrait pas perdre de vue les nouvelles formes d’assujettissement de l’homme. Il s’agit de l’esclavage des temps modernes, tout aussi pernicieux qu’inacceptable.

Le Pays

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 13 mai 2006 à 12:29, par Ange En réponse à : > Souvenir de l’esclavage : Reconstruire une mémoire collective

    Très bel article, bonne analyse "du pays". Le problème c’est que l’affaire "cleartream" a escamoté et relegué au second plan, ce sujet, aussi brulant que l’ingéniosité des négriers. Il aurait fallu insister lourdement sur la problématique de l’indemnisation en comparaison de la future loi que Sarkozy est en train de faire voter autour de la fameuse notion de "l’immigration choisie". Je ne pense pas que la grande majorité des gens qui viennent en France n’ont pas leur visa.
    En tout état de cause, aux élections présidentielles de 2007, tous les jeunes français black beurs blancs des banlieux doivent aller voter tout, sauf Sarkozy et Le Pen qui sont, actuellement, les patrons de la lutte contre l’étranger en général. Se rendent-ils vraiment compte de l’impact de leurs propos excessifs sur la grande majorité, silencieuse, généreuse des français. Vive la France et, même, ceux qui ne l’aiment pas peuvent y rester. C’est ça, la grandeur de la France. Ange

    • Le 15 mai 2006 à 17:28, par Bakus En réponse à : > Souvenir de l’esclavage : Reconstruire une mémoire collective

      Félicitations au Pays pour cette analyse. Il faut malheureusement regretter comme le relève l’article, l’inactivisme ou le silence des Africains sur ce devoir de mémoire. En effet, la traite négrière est un argument qui peut être utilisé pour balayer du revers de la main toutes les barrières injustes et racistes qui s’érigent contre l’Homme Noir qui pourtant, de par le passé lors de la traite négrière, a été déporté dans des conditions humiliantes et inhumaines pour servir de main d’oeuvre. Cette utilisation de l’Homme Noir comme simple marchandise a servi au développement que les pays occidentaux connaissent aujourd’hui .
      Mais aujourd’hui, les marchandises produites par les pays développés circulent mieux que l’Homme Noir. La dernière illustration est la fouille humiliante et inacceptable que les Canadiens ont fait subir au Président DIOUF, actuellement SG de la Francophonie. Quand on sait que le simple citoyen canadien ordinaire ne veut même pas subir un contrôle du passeport (rien que le passeport sans le visa) lorsqu’il traverse la frontière des USA allez-y comprendre !!!

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique