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Chefferie traditionnelle : "Dépolitiser les bonnets rouges"

Publié le jeudi 11 mai 2006 à 08h03min

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Parler de la chefferie traditionnelle n’est pas chose aisée. Mais ce lecteur a osé franchir le pas parce que ne pouvant plus supporter la politisation excessive des chefs moosé en particulier. Voici son point de vue sur la question.

S’il y a un fait qui paralyse l’implantation de la démocratie au sein des populations en dehors de la pauvreté et de l’analphabétisme, c’est bien l’influence des Nanamsé, c’est-à-dire des chefs coutumiers sur l’électorat burkinabè.

Il ne s’agit pas pour moi ici, jeune citoyen et observateur de la scène politique nationale de dénigrer ces sages aux bonnets rouges, mais d’attirer leur attention sur certaines de leurs attitudes politiques et sociales peu honorables.

Je m’excuse auprès de ces derniers et des anciens car dit - on « yâag nin peelame, la a ka ne yiig ye » : l’enfant a des yeux blancs mais il ne voit pas assez loin.

Jadis, le Naaba (chef) incarnait le « Bon Dieu » sur la terre. Il était la lumière, le chemin et la vérité. Père des aveugles et des lépreux, des riches et des pauvres, de toutes les couches sociales, il était le gardien de l’unité des populations et des valeurs socioéducatives et culturelles. Et pour tout cela, ses sujets lui devaient beaucoup de respect et de considération. Personne n’osait l’appeler par son prénom.

Aujourd’hui, nous sommes en face d’une race de jeunes Nanamsé qui ne sait plus faire la différence entre tradition et modernité, dignité et richesse. Des chefs coutumiers qui ignorent les valeurs moosé et leur rôle dans la société démocratique.

Conséquence, la chefferie traditionnelle n’offre aux citoyens que des spectacles de désolation et de honte, favorisés par une politique mercantile généralisée. Nombreux sont des Nanamsé qui se hissent au podium de la corruption. Des meetings politiques sont organisés dans des palais suivis de démonstrations de pas de danse et quelle danse encore ! Au cours de certains meetings, des Nanmsé ont ôté leurs bonnets en remplacement de képis de partis politiques. Quel sacrilège ! Quelle humiliation !

Alors, le Naaba de toute la communauté est devenu celui des militants de son parti. Les non-alliés sont implicitement marginalisés et ne peuvent bénéficier de son assistance. Comme par exemple lorsqu’en 2005 des travailleurs sont allés voir un des hauts dignitaires de la chefferie moaga à Ouagadougou pour parrainer un événement sportif et culturel en province, celui-ci n’a pas hésité à demander leur bord politique avant d’accorder son avis.

Des rencontres politiques de chefs coutumiers sont organisées à l’approche des élections, rencontres au cours desquelles des moyens de déplacement et autres présents sont distribués avec des menaces de retraits de bonnets aux chefs rebelles. Toutes les cérémonies sont décorées de bonnets rouges et certains Nanamsé ne se gênent pas publiquement d’avaler des morceaux de viande et d’ingurgiter des bouteilles de bière. Pire, des chefs se sont faits frapper le bonnet au vent, pour des banalités politiques.

"Le bonnet est sacré !"

Ce sont là quelques comportements qui font honte à la chefferie moaga, aux Moosé et à leurs ancêtres.

Je sais que le LarIé - Naaba Abga (paix à son âme), s’il vivait, ne dirait pas le contraire.

Honorables Nanamsé, où avez-vous mis le « burkindi », c’est-à-dire le sens de l’intégrité, de l’honneur, de la dignité et de la justice de vos parents et de vos aïeux que tous les griots ne cessent de chanter et qui faisait la fierté du peuple moaga ?

« Burkin ka wend a saamha , a wend a yaaha : l’homme intègre ressemble à son père où son grand-père », dit-on dans la sagesse moaga. Que chaque Naaba se pose la question de savoir à qui il ressemble en matière d’intégrité ?

Ce qui est évident, certains se rendront compte qu’ils doivent aller à l’école du NAAM (chefferie moaga) à Gambaga pour se recycler avant de revenir car à ce rythme, la chefferie coutumière risque de devenir l’ennemi numéro un de la démocratie et un facteur de division sociale.

Je m’excuse de nouveau auprès des anciens et de tous ceux qui se sentent concernés car la vérité rougit les yeux. Mais en digne moaga, je ne peux pas rester indifférent face à cette déviation calamiteuse.

Juger, c’est en même temps trouver des solutions justes et conformes à une situation. A mon humble avis, le Naam n’est pas le pouvoir d’un individu qui se permet de faire ce qu’il veut. Le Naam est un corps de règles, de convenances ou de valeurs morales éducatives, sociales et organisationnelles.

C’est dire donc que le Naaba doit avoir en lui des valeurs de références positives dans la société. Son bonnet est sacré et représente toute la communauté avec ses valeurs. Le vrai chef moaga ne doit pas vendre son peuple pour des intérêts matériels, financiers, politiques et personnels. C’est pourquoi, il serait souhaitable que les Nanamsé en général, les Dimdamba et les Kombèmba en particulier se démarquent de la prostitution politique s’ils veulent réellement sauver l’image du Naam et protéger nos valeurs traditionnelles : plus de grand bonnet rouge à la tête d’un parti politique, ni des communes ni à l’Assemblée nationale. Au nom de la liberté et de la démocratie, chaque chef peut avoir son appartenance et ses opinions politiques sans pour autant s’afficher en véritable moteur de train d’un parti.

Le politicien lui, ne cherche que son bétail électoral par tous les moyens. Mais c’est à

chacun d’éviter d’être le vendeur potentiel ou le complice. .

La dignité dans la pauvreté est aussi une richesse même si cette option n’est plus à la mode au pays des hommes intègres en proie au capitalisme sauvage.

Tout ce qui vient d’être évoqué n’est peut-être que des propos d’un enfant imprudent et insolent. Mais c’est la seule façon pour moi de toucher la conscience de chacun pour la sauvegarde de nos valeurs traditionnelles et de participer à l’édification de la démocratie au Burkina Faso.

Avec votre indulgence, veuillez recevoir honorables Nanamsé, l’expression de ma très haute considération.

Sid Zabda

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 11 mai 2006 à 09:46, par Hermann En réponse à : > Chefferie traditionnelle : "Dépolitiser les bonnets rouges"

    Cela est vrai, surtout que ceux-ci (les chefs) sont sensés rassembler tout le monde. Alors que de nos jours, de la façon dont elle est pratiquée au Burkina, il n’y a rien de plus diviseuse que la politique. Surtout en milieu rural, la population ne fera que suivre « son chef », ce qui d’office biaise les sensibilités individuelles. Je pense que les chefs doivent rester à l’écart et servir de personnes ressources en cas de besoin. Mais cela m’étonnerait qu’ils acceptent ce rôle. Les « feuilles » ont déjà tout gâté.

    • Le 12 mai 2006 à 18:02 En réponse à : > Chefferie traditionnelle : "Dépolitiser les bonnets rouges"

      Merci a Mr Sid-Zabda d’initier le debat et merci pour votre modestie mais je crois que vous mettez le doigt sur une question tres importante de notre devenir commun : Josehp Ki-Zerbo affirme en substance dans son grand livre de reference "L’histoire generale de l’Afrique", qu’au sommum de son orginasation socio-politique, les royaumes mosse n’avaient rien a envier a leurs homologues europeens. Pour avoir parcourru un bon nombre de pays africains, je crois que nous pouvons etre legitimement tres fiers du niveau d’organisation socio-politique et de nos valeurs culturelles.
      Aucun Burkinabe, digne de ce nom ne peut oser douter de la bonne fois du Naaba, que le Naaba ne travaille pas au bien de son village, ce prejuge favorable fait du chef quelqu’un qui est garant de l’interet commun, qui est au-dessus de la masse, une personne ressource. Si donc les Nanamse se mettent a choisir leur parti il faut que le Moogo Naaba lui-meme et les autres principaux Nanamse : Tenkodogo, koudougou, Ouahigouya, Boulsa....rappelent a l’ordre les autres Nanamses, etant entendu bien evidemment que les principaux Nanamse ne se pretent pas eux-memes a ce jeux. Si le Naaba se declare membre du CDP ou de l’UNIR/MS, qu’il ne soit pas etonne que ceux qui ne sont pas membres de son parti lui manque du respect. A cette allure, c’est la decheance programmee d’une institution multiseculaire qui commence, c’est l’identite du peuple moaga qui est menacee et c’est la stabilite socio-politique meme du pays qui est en jeu. Meme si comparaison n’est pas raison, que les Nanamse pensent au role combien noble et digne que joue la REine d’Angleterre. En general un anglais peut ne pas aimer la politique du gouvernement, de Tony Blair par exemple, mais quelque soit son bord politique il respect la Reine. Et la reine est comme garant de l’unite du peuple. Il me sembre qu’il y a eu une reflexion de haut niveau initiee par le CNRS a ce propos. Ce que je pense des chefs moose, je le pense aussi bien sur des autres Naaba des autres societes non acephales. Au Nom de nos ancetres, au Nom du Larle Naaba Abga (qui nous a tous donne l’amour de notre propre culture, Wend na maag tenga b yinga), Nanamse, zoe Wende, zoe ned yaabramba la y maan sugri, ce serait dommage que vous sacrifiiez votre dignite, notre dignite, l’avenir de tout un peuple , notre avenir, notre richesse culturelle sur l’autel de vos interets immediats.

  • Le 11 mai 2006 à 10:45, par Marlène En réponse à : > Chefferie traditionnelle : "Dépolitiser les bonnets rouges"

    Je ne suis pas burkinabé, mais je vis au faso depuis une dizaine d’années et je partage profondément vos sentiments d’indignation et de honte quant au comportement des chefs traditionnels moose.
    Africaine moi même, je pense que nous ne pouvons avancer et faire avancer notre continent que si nous nous insurgeons contre toutes les formes de comportements qui avilissent nos sociétés et laissent peu d’espaces d’espérances pour les générations à venir.
    L’exploitation de l’analphabétisme des populations par les chefs traditionnels ainsi que le détournement qu’ils font de leurs fonctions ne les honorent pas. Mêlés à la masse des courtisans du politique et des ramasseurs de miettes de ce pouvoir, ils finiront à terme par se décrédibiliser totalement et n’inspirer que méfiance et qui sait, mépris à leur peuple.
    Il est sain et plus qu’utile d’avoir le courage d’attirer leur attention dessus. Vous n’avez pas été insolent, vous êtes un enfant qui malheureusement a des "yeux blancs", mais qui voient plus loin que ceux de ses parents. Quel monde !

  • Le 11 mai 2006 à 15:22, par Abraham En réponse à : > Chefferie traditionnelle : "Dépolitiser les bonnets rouges"

    Sid Zabda,

    L’Histoire retiendra sans doute qu’un "insolent" aux yeux blancs a tenté de protéger son peuple (car ce ne sont pas seulement les Moaga qui sont concernés ici) de la compromission, de la corruption en tout genre,... bref... de la déchéance programmée de toute une Culture.

    Combien de personnes pensent comme vous au Faso ? Ceux-là, sont persuadés que vous êtes un vrai Patriote. Un fils bénit des ancêtres et des Mânes, qui à une vision lointaine et profonde des choses. Mais il semble que nous sommes minoritaires au Faso.

    N’ayez crainte : Ces responsables coutumiers qui se prostituent sont en porte-à-faux avec nos valeurs ancestrales. Ils sont coupables et complices du Mal.

    Ceux qui ne pensent pas comme vous sont malheureusement plus nombreux. Ce sont des méchants. Ils croient être puissants. (Les mauvaises herbes sont toujours les plus résistantes dans les champs de cultures ; mais on fini toujours par s’en débarrasser.)

    Vous touchez là du doigt, un des drames de l’Afrique, et plus singulièrement du Burkina.

    Dieu sauve le Burkina. Mais, ne dormons pas non plus...

  • Le 17 mai 2006 à 04:56, par Aboubakar En réponse à : C’est pas seulement chez les moosse (une petite histoire)

    Je vais vous raconter une petite histoire, lors de l’élection présidentielle, nous en sommes au décompte des bulletins dans village de la Kossi. Un Blaise Compaoré, deux Blaise Compaoré, trois Blaise Compaoré, puis un bulletin Emile Paré, et un autre, puis un Bénewendé Sankara ; le chef de village qui était dans la salle dit tout haut, sans honte bien sûr sans peur, « si je retrouvais ces gens qui ont voté pour les candidats de l’opposition, je vais les faire quitter le village ». Quelle honte pour notre pays.

    La bassesse morale de nos roitelets est le reflet de notre démocratie.

    Une équipe dirigeante gloutonne et impudique, arrogante et mensongère.

    Ce qui fait mal ce n’est seulement pour moi que cette histoire était une réalité que nous vivions, c’est surtout que cela a pu se produire dans plus 20 autres localités.

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