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Le Burkina Faso s’inquiète des conséquences immédiates et futures du jusqu’au-boutisme des Ivoiriens (2)

Publié le lundi 3 novembre 2003 à 17h26min

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"L’affaire Zongo", un incontestable assassinat politique, a été l’opportunité, pour tous ceux qui rêvaient de régler quelques vieux contentieux politiques ou financiers avec Blaise Compaoré, d’entreprendre une vaste opération de déstabilisation.

Des diplomates soulignaient que c’est un "tueur froid". Des hommes politiques français le considéraient comme "infréquentable". La presse panafricaine stigmatisait "un régime criminel".

C’est dans ce contexte délicat qu’avait été mis en place le ministère délégué à la Sécurité avec à sa tête Djibril Bassolé (cf LDD Burkina Faso 06/Mardi 17 décembre 2002).

Il fallait, effectivement, s’interroger sur la mise en quarantaine internationale du chef de l’Etat burkinabé. Ce n’est qu’en octobre 2001, après trois années de boycott, que Blaise Compaoré effectuera sa première visite officielle en France depuis l’assassinat de Norbert Zongo. Il fallait s’interroger, aussi, sur l’assassinat, il y a près de six mois, de Balla Keïta, ancien ministre ivoirien exécuté en plein coeur de Ouagadougou (cf LDD Côte d’Ivoire 030, 031 et 032/Mercredi 7, vendredi 9 et lundi 12 août 2002). J’avais considéré alors que cet assassinat visait à donner "une ampleur sous-régionale à la crise politique ivoirienne". Les faits m’ont donné raison !

Les tentatives de déstabilisation de Blaise Compaoré ne sauraient étonner. C’est qu’il tient, en matière de relations internationales, un langage de vérité. Déjà, le 30 juin 1996, dans le Journal du Dimanche (JDD), il avait signé un papier remarquable Mondialisation ou perdition ? (mais qui n’avait pas été assez remarqué malgré mes efforts, ceux de Claude Laigle, ancien président du Beptom et président du Groupement pour le développement des télécommunications rurales en Afrique, et de Sanné Topan, alors directeur de cabinet de Compaoré). Il y affirmait notamment : "Si l’Afrique devait rester en marge des préoccupations de l’ordre mondial du troisième millénaire, alors elle sera forcément une bombe et ses radiations se répandraient certainement loin". Il ne pensait pas si bien dire et être au coeur de la première zone irradiée !

Plus récemment, dans Le Figaro Magazine du samedi 16 novembre 2002, il déclarait notamment au sujet de la situation de la Côte d’Ivoire : "Ce conflit est purement politique. Il couve depuis deux ans sur fond de crise économique. En 2000, Laurent Gbagbo a remporté les élections en excluant de la ccompétition ses principaux concurrents, qui représentaient 80 % de la population [...] Pour conserver le pouvoir, Laurent Gbagbo joue la déstabilisation interne et tente d’exporter ses problèmes, quitte à torpiller l’unité ouest-africaine". On ne peut pas être plus clair et plus net ! Ce sont des vérités qui ne peuvent que déplaire à Abidjan.

Les ministres de Compaoré ne sont pas en reste. A commencer par Djibril Bassolé. Le ministre de la Sécurité exprime pleinement son inquiétude. Pour aujourd’hui et pour demain ! "Les uns et les autres, me dit-il, ont été trop loin pour s’arrêter en chemin". Il n’entend pas choisir entre Gbagbo et les "mutins". Il constate que le chef de l’Etat veut se maintenir au pouvoir "sans pour autant tirer les leçons des événements qui viennent de se dérouler". Or, souligne-t-il, la victoire de Gbagbo, dans ces conditions, serait "la victoire de l’ivoirité".

Autant dire que ce serait, pour Ouagadougou, Bamako et quelques autres capitales de la
sous-région, inacceptable. "La Côte d’Ivoire est ce qu’elle est grâce au Burkina Faso. C’est un pays qui s’est formé par le peuplement extérieur et dont la mise en valeur des richesses a été assurée par les Burkinabé. Qui n’est pas burkinabé en Côte d’Ivoire dès lors que l’on visite les plantations de café et de cacaco ?".

Une victoire des "mutins" serait porteuse d’incertitudes. "Qu’en serait-il de la nécessaire
période de transition permettant la réinstauration d’un régime réellement démocratique ?". Soulignant que "maintenant, tout est possible", Djibril Bassolé appelle de ses voeux un "homme nouveau avec des espoirs nouveaux, bannissant l’ivoirité, instaurant un régime de stabilisation du pays, de pacification dans la concorde nationale". Or, souligne-t-il, la Côte d’Ivoire risque fort de sombrer dans le "ni guerre-ni paix", une "situation de méfiance" au cours de laquelle"aucun investissement et aucune action de développement ne pourront être entrepris".

Ayant rappelé que l’intégration Côte d’Ivoire-Burkina Faso est essentielle à la sous-région,
il souligne que c’est dans cette voie qu’il faut avancer. "Il faut arrêter le processus de désintégration de l’axe Abicijan-Ouagadougou. C’est cela qui est, fondamentalement, notre
préoccupation. Ce n’est pas un problème de personne. Le débat qui doit être engagé, c’est celui qui porte sur l’intégration entre la Côte d’Ivoire et le Burkina Faso. Et il se situe bien au-delà de du dossier Alassane Ouattara dont Gbagbo a fait une pomme de discorde".

Djibril Bassolé m’affirme que la migration des Burkinabé de Côte d’Ivoire vers le Burkina Faso est très limitée. "L’intégration des Burkinabé au sein de la communauté ivoirienne est telle que bien peu sont dans un schéma de retour". C’est un point positif même si Ouagadougou a d’ores et déjà réfléchi à ce que devrait être leur réintégration. Il m’affirme également que l’opposition burkinabé, "lucidement, n’exploite pas la question ivoirienne pour mettre en cause la politique gouvernementale. Il y a une quasi unanimité en la matière. La crise ivoirienne consolide la cohésion nationale. Mais si le président Compaoré, qui s’efforce de temporiser, se décidait à être plus agressif, il serait applaudi par les Burkinabé. C’est que la Côte d’Ivoire de Laurent Gbagbo en fait un peu trop contre le Burkina Faso. Mais le chef de l’Etat a choisi d’avoir une gestion rationnelle de la crise ivoirienne et d’agir de façon graduée".

Ce qui préoccupe Djibril Bassolé ce sont les actions de déstabilisation qui pourraient se multiplier dans le sillage de la crise ivoirienne. Certes, en la matière, il ne confie pas totalement le fond de sa pensée. Mais Gbagbo n’ayant plus" aucune autorité", toutes les aventures (y compris les pires) sont possibles. Il craint moins" les Etats" que des "groupes d’intérêt" qui pourraient trouver dans la déstabilisation profonde de l’Afrique de l’Ouest de nouveaux gisements d’enrichissement frauduleux.

Balla Keïta a été assassiné à Ouagadougou. Les autorités burkinabé savent comment le crime a été commis. "Le médecin légiste a fait un excellent travail", souligne Djibril Bassolé. Reste à répondre à deux questions essentielles : par qui ? pourquoi ? "Une commission rogatoire a été mise en place par le juge d’instruction. Il y a, dans l’affaire, des personnalités ivoiriennes dont le comportement est énigmatique. Nous avons des soupçons et des pistes intéressantes. Mais pas encore de preuve matérielle".

Ce crime n’a pas été une opération ponctuelle. Il s’est inscrit dans une démarche structurée. Tout comme l’assassinat, quelques mois plus tard, au matin du 19 septembre 2002, du général Gueï. Le régime Gbagbo n’est pas un régime homogène. Il y a en son sein le pire et le meilleur. Le pire, incontestablement, a choisi (grâce à quelques connexions quasi-mafieuses dans l’univers du mercenariat intra-africain) de mettre la main sur la Côte d’Ivoire. Pour y parvenir, il fallait tout d’abord créer le chaos. L’erreur des promoteurs de cette opération a été de penser que la Côte d’Ivoire pouvait se gouverner par la terreur depuis Abidjan. C’était oublier que ce pays s’est construit par le Nord (et avec les "étrangers") et non pas par le Sud côtier. Houphouët-Boigny, lui, ne l’avait jamais oublié.

Jean-Pierre BEJOT
La Dépêche Diplomatique (18/12/2002)

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