LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Municipales à Bobo : L’opposition dénonce un "brigandage électoral"

Publié le jeudi 27 avril 2006 à 07h32min

PARTAGER :                          

Le tohu-bohu préélectoral qui a prévalu à Bobo Dioulasso dans la perspective des élections municipales du 23 avril avait achevé de convaincre plus d’un observateur de la scène politique nationale que la hache de guerre ferait force de loi, comme ce fut le cas lors des municipales de 2000.

Mais, fort heureusement, il n’en fut rien. Du moins, pas pour l’instant. Une discipline relative a accompagné le déroulement du vote dans la deuxième commune du Burkina. Et cela est unanimement salué par les différents acteurs politiques de la ville.

Toutefois, la régularité du scrutin de dimanche dernier n’est pas la chose la mieux partagée entre les protagonistes de ces élections. Du micro-trottoir des leaders politiques qui suit, il ressort que des délégués des partis politiques aux bureaux de vote ont été muselés face aux situations de fraude qui se présentaient à eux.

Ils n’auraient pas eu de droit de regard sur les documents d’identité des électeurs, quoique, selon eux, beaucoup se soient présentés aux bureaux de vote avec des pièces qui étaient fausses ou qui n’étaient pas les leurs. En tout cas, vous le constaterez vous-mêmes, des leaders de partis d’opposition crient à la "fraude organisée du sommet à la base" et certains d’entre eux exigent même l’annulation du scrutin.

Balamine Diané (commissaire politique du bureau exécutif national et secrétaire général provincial du Houet de l’ADF/RDA

"Je n’ai pas d’objections en ce qui concerne les dispositifs organisationnels qui ont entouré les élections municipales du 23 avril. Le matériel électoral était suffisant, les membres des bureaux de vote étaient au complet et la sécurité était au rendez-vous. Donc, pas de défaillance matérielle. Mais il y a eu pas mal de situations décevantes dans l’opération de vote. D’abord, nos délégués aux bureaux de vote n’avaient pas la possibilité de contrôler les documents de vote des électeurs. J’ai entre-temps été saisi de cette situation et j’ai immédiatement porté plainte à la CEPI. Là-bas, on m’a fait savoir que les délégués n’avaient effectivement pas le droit de contrôler ces documents, et que cela répondait au mot d’ordre de la CENI.

De même, dans des départements, j’ai ouï dire que la CEDI avait bloqué certaines cartes, notamment à Koroba. Je me suis de nouveau plaint et on a promis de donner des instructions pour rectifier le tire. Partout, les gens se sont plaint de pas mal de situations frauduleuses. C’est de la mascarade électorale ! C’est du vol ! C’est même plus que du vol parce que le voleur se cache pour opérer. Ceux-ci l’ont fait à visage découvert.

C’est du brigandage électoral. Des membres des différentes commissions électorales aux électeurs faussaires, en passant par les présidents de bureaux de vote, tous sont corrompus. Même des petites filles de 16 ou 12 ans pouvaient voter. Quand on veut parler, on dit "non, non, non ! y a son nom sur la liste". Et les commissaires des partis politiques ne pouvaient pas le contrôler. Des hommes pouvaient voter à la place des femmes et vice versa. Je n’ai jamais vu ça ! Je sais qu’on fraude mais pas comme ça, quand même ! Et lorsqu’on pose le problème aux éléments de la sécurité, ils répondent qu’ils ne sont là que pour intervenir en cas de bagarre.

Nous nous sommes rendu compte que tout le monde était corrompu, de la base au sommet. La fraude était flagrante et incontestable. Nous n’acceptons pas les résultats de ce scrutin. Nous allons écouter notre président national, Me Gilbert. Il a été, lui aussi, témoin d’une situation similaire à Ouahigouya. Nous l’avons joint au téléphone ce matin ( ndlr : 25 avril) et il plaide pour une annulation du scrutin. Et moi, coordonnateur régional des Hauts-Bassins, je m’aligne sur sa position".

Souleymane Sanou, (maire sortant de l’arrondissement de Dafra, candidat ADF/RDA

"Je voudrais d’abord saluer la mobilisation de la population autour de cette consultation électorale qui, du reste, est d’une importance capitale pour la décentralisation, et partant, la démocratie au Burkina. Mais, voyez-vous, ces élections-là étaient entourées de velléités de fraudes : d’abord les membres des bureaux de vote étaient tous, ou presque, d’un seul et même parti, qu’est le CDP. Ensuite, la quasi-totalité des présidents des bureaux de vote ont privé les délégués des partis du droit de vérifier les documents de vote des électeurs. Or, nous le savions très bien, il y avait des cartes qui portaient de petits signes distinctifs qui permettaient aux membres des bureaux de vote, le président notamment, de reconnaître les électeurs faussaires, pour ensuite leur permettre d’aller voter après avoir fait semblant de vérifier lesdits documents.

On a vu des femmes qui ont réussi à voter avec des cartes d’électeur portant des noms masculins ! Il y a eu pas mal de cas comme ça. Et personnellement, j’en ai saisi des responsables de la CECI pour leur dire que les délégués des partis politiques avaient un rôle de contrôleurs à jouer. Certes, ils n’étaient pas tenus de vérifier toutes les cartes, mais qu’on leur permette quand même de contrôler les cas suspects ! Ce n’est qu’après ça qu’on leur a permis de le faire, mais on était déjà à quelques heures de la fermeture des bureaux de vote.

C’est dire donc qu’il y a eu de la fraude organisée dans la plupart des bureaux de vote à Bobo. Les résultats que nous (ADF/RDA, ndlr) avons obtenus ne reflètent donc pas la réalité dans les secteurs. Les gens sont surpris ! Et c’est ce qui amène les révoltes. Lorsqu’une minorité essaie de gouverner la majorité, ça engendre des révoltes. Les gens sont conscients que ces résultats ne sont pas le reflet de la réalité du terrain. Les autres partis de l’opposition crient aussi à la fraude. Par conséquent, nous pensons que la CENI doit prendre ses responsabilités et annuler ces élections et les reprendre".

Député Salia Sanou (secrétaire général provincial du CDP dans le Houet

"Je suis enchanté du caractère serein des élections municipales dans la province du Houet, et particulièrement dans la ville de Bobo Dioulasso. Il est vrai que dans la foulée de ces municipales, tous les regards étaient tournés vers Bobo Dioulasso, où l’on s’attendait, à tort ou à raison, à des crocs-en-jambe au cours du scrutin. Heureusement, et ça il faut le reconnaître, nos militants ont fait violence sur eux-mêmes.

Sinon, ce ne sont pas les provocations qui ont manqué. Mais nous leur avions donné un mot d’ordre de sérénité qu’il fallait respecter à tout prix. Parlant de provocation, nos affiches ont été arrachées dans la ville, notamment celles se trouvant sur les monuments municipaux, par la police municipale, et sur ordre du maire. Or, selon le code électoral, on devrait pouvoir faire des affiches en ces lieux-là.

Dans le fond du scrutin, nous déplorons le fait que beaucoup de nos militants n’aient pas pu voter parce que n’ayant pas trouvé leur nom sur les listes électorales. On nous a parlé de doublons, pendant que ces électeurs n’ont jamais reçu deux cartes. Par rapport aux fraudes, je dois dire que nous, nous sommes loin de cette tendance, et nous n’avions pas l’appareil qui nous aurait permis de frauder. Les cartes d’électeur restantes se trouvaient au niveau des mairies, et ce sont les mêmes mairies qui abritaient les démembrements de la CENI. Ceux qui pouvaient établir les actes de naissance en tant que documents pour voter, c’étaient encore les maires ! (ndlr : 2 des 3 maires d’arrondissement, plus le maire de la commune, étaient des candidats de l’ADF/RDA). C’est dire que le CDP ne pouvait orchestrer la moindre opération de fraude.

Pour ce qui est des résultats obtenus, je dois avouer que nous ne sommes que partiellement satisfaits parce que j’estime que nous méritions mieux que cela. Nous avons abattu un gigantesque travail, notamment dans le cadre de la campagne de proximité. Comme vous le savez, notre parti est connu, même dans le dernier hameau de culture, dans la province. De ce point de vue, les résultats que nous avons obtenus sont certes encourageants, mais ils ne me satisfont pas à 100%".

Le Pays : Qui va être candidat CDP à la mairie centrale de Bobo ?

Vous savez, nous sommes un parti organisé. Et nous respectons strictement les directives qui nous viennent d’en haut. Pour le moment, ce que le parti nous a demandé, c’est de nous organiser pour obtenir le maximum de conseillers afin de remporter les trois mairies d’arrondissements, ainsi que la mairie centrale. C’est ce qui fut fait, et nous remercions Dieu pour la majorité pesante que nous avons acquise et qui nous permettra, sans doute, de capter ces 4 postes de maire, sans avoir recours à quelque parti politique que ce soit.

Et pour la suite, nous attendons le mot d’ordre du parti, qui devrait incessamment donner une consigne de vote. Et tout camarade qui viendrait à être désigné pour assumer ces fonctions serait en mission pour le compte du parti, une mission qu’il devrait accomplir avec loyauté. Parmi les conseillers CDP élus, il y en a beaucoup qui peuvent faire de bons maires de commune".

Amadou Traoré (secrétaire administratif régional du Houet de l’UPR)

"Il n’y a pas de doute : les élections municipales du 23 avril n’ont pas été régulières. Et ça, vous l’avez certainement constaté vous-même. Mais au regard de la manière dont ces élections se sont déroulées, il nous est difficile d’engager des actions pouvant aboutir à une reprise du scrutin pour un changement fondamental. Même si nous obtenions la reprise du scrutin à certains endroits, il nous serait difficile d’aboutir à un changement fondamental des résultats.

J’ai passé toute la journée du 23 avril (jour du vote, ndlr) à régler des situations frauduleuses en compagnie du président de la CECI, M. Zoungrana, juste pour faire entendre aux présidents des bureaux de vote que les représentants des partis politiques devraient pouvoir, au regard de l’article 77 du code électoral, procéder à l’identification de chaque électeur. Nous avons également en notre possession beaucoup de cartes électorales saisies chez des gens qui n’en étaient pas titulaires. Il y a eu le cas de certaines dames qui ont voté avec des cartes électorales d’hommes.

On aurait pu éviter toutes ces fraudes si l’on reconnaissait aux délégués des partis le droit de contrôler les documents d’identification. En dehors de cela, je reconnais quelque part que nous, nous avons fait notre campagne sous le label du changement. Il y a beaucoup de jeunes qui étaient désillusionnés par la politique, qui ont rejoint nos rangs mais qui, malheureusement, n’avaient pas de carte d’électeur.

Au sortir de ces élections, nous allons nous atteler, dans la perspective des prochaines échéances électorales, lorsqu’il y aura un recensement, à faire en sorte que ces jeunes soient sur les listes électorales. C’est à ce prix que nous pourrons obtenir les résultats que nous escomptons. Nous sortons de ces élections avec 9 conseillers dont 5 de la ville de Bobo et 4 dans le département. Un résultat s’analyse sur deux points de vues : il y a d’une part le nombre d’élus, et d’autre part le rang. Il y a trois mois, ici, beaucoup de gens ne connaissaient pas l’UPR.

Aujourd’hui, au regard du classement, nous sommes troisième après le CDP et l’ADF/RDA. C’est un résultat louable, eu égard au nombre de partis (25), et au fait que nous soyons nouveau sur l’arène politique. Nous ne disons pas que nous sommes satisfaits, puisque nous n’avons que 9 conseillers, l’ADF/RDA en a 30, et le CDP une majorité écrasante. Mais les irrégularités constatées sur le terrain y sont pour beaucoup".

Député Stéphane Sanou, président du PCP (Son parti a soutenu l’ADF/RDA lors des municipales)

"Je pense que ces élections municipales avaient une grande portée dans le sens de la mise en œuvre du processus démocratique au Burkina. Notre pays peut être fier de la communalisation intégrale de son territoire qui est ainsi enclenchée. L’enjeu était donc de taille et je crois qu’il était du devoir des différentes formations politiques qui y ont pris part de délivrer de bons messages, histoire d’éveiller la conscience des populations. Et c’est justement ce à quoi mon parti, le PCP ( Parti pour la concorde et le progrès, ndlr) s’est attelé, aux côtés de l’ADF/RDA. Nous nous réjouissons du fait que ces élections ne soient pas assorties d’empoignades, ce qui n’était pas évident, au regard des montées de tensions qui ont prévalu à Bobo Dioulasso pendant la période préélectorale.

Nous relevons toutefois un certain nombre de dysfonctionnements qui ont entaché la crédibilité du scrutin, et dont le plus criard est lié aux doublons de listes. Certains partis ont été surpris de constater que leur électorat a été mis à l’écart du fait de ces listes corrigées. Nous, nous avons été brimés par cette fausse note, puisque nous avons décelé 1067 de nos électeurs virtuels qui se sont vu écarter des listes. Et cela a tiré le parti vers le bas, au secteur 21.

D’autre part, à partir des informations qui nous sont parvenues de nos délégués dans les 282 bureaux de vote de la commune de Bobo Dioulasso, nous en arrivons à la conclusion qu’il y a eu des fraudes dans la manière de voter. Je veux parler des électeurs qui possédaient des cartes sur lesquelles il y avait des marques qui déclinaient leur appartenance politique, et aussi des gens qu’on a autorisés à voter avec des cartes d’électeurs sans documents d’identité, ou bien avec des pièces portant des identités non conformes à celles de la carte d’électeur, etc. Pour ce qui est des résultats, nous (le PCP, ndlr) et l’ADF/RDA, nous nous sommes tirés avec une trentaine de conseillers municipaux. J’avoue que c’est maigre.

Et là encore, dans le lot des 30 conseillers, il faut faire la part des choses entre PCP-ADF/RDA d’une part, et Koussoubé-ADF/RDA de l’autre. Il faut que cela soit clair : nous, PCP-ADF/RDA, nous avons une dizaine dedans et... bon ! Je ne sais pas comment cela va être apprécié, mais vous savez très bien que c’est sur la base de la trahison des responsables locaux de l’ADF/RDA que nous avons connu ce résultat qui n’est pas à la hauteur de notre image. Nous pensons seulement que Koussoubé n’est pas venu à l’ADF/RDA qu’avec du bonheur, en témoigne cette maigre moisson que nous avons engrangée.

Mais on aura certainement l’occasion d’en tirer les conséquences. L’ADF/RDA ancienne formule, je veux parler de PCP-ADF/RDA, était bien partie pour jouer gros dans ces municipales. Mais avec l’arrivée de Koussoubé qui se trouve ne pas être bien aimé dans la ville, les responsables de l’ADF/RDA ont osé nous écarter en sa faveur. Et voilà que le CDP a fait le raz de marée ! Sur 155 conseillers, ils en ont 110. Il n’ont donc plus besoin de quelqu’un pour les appuyer. Mais je pense que l’avenir est toujours prometteur.

Pour ce qui nous concerne, nous restons confiants, et ce que nous proposons au peuple, comme mentionné dans notre programme de développement, c’est l’unité, le développement et la justice sociale. Pour l’élection des maires, nous demandons aux heureux conseillers élus de voter des hommes travailleurs, capables de relever les nombreux défis, plutôt que de voter des partis politiques".


Le maire sortant de la commune de Bobo Dioulasso, transfuge du CDP et candidat à sa propre succession sous la bannière de l’ADF/RDA, n’est pas en bonne position pour acquérir un second mandat à la tête de la commune de Bobo Dioulasso, selon les tendances provisoires. En effet, son nouveau parti s’en est tiré seulement avec une trentaine de conseillers contre 110 pour le CDP dans la commune de Bobo. Approché, il n’a pas souhaité se prononcer publiquement sur ces élections. Mais au cours de la conversation à bâtons rompus que nous avons eue avec lui, il a dénoncé, lui aussi, de "fragrantes situations de fraude". Mais il dit ne pas vouloir publiquement en parler, car l’opinion pourrait vite y voir des propos de perdant.

Célestin Koussoubé qui, faut-il le préciser, est élu conseiller municipal ADF/RDA au secteur 9 de Bobo Dioulasso, pense par ailleurs qu’il n’est pas indéfectiblement rattaché à la mairie de Bobo : "Je sais que je dois un jour ou l’autre partir, mais je souhaite que cela se passe de façon démocratique."

Propos recueillis par Paul-Miki ROAMBA

Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV