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L’Afrique a-t-elle le monopole de la solidarité ?

Publié le lundi 24 avril 2006 à 08h07min

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L’évolution historique des pays développés fournit une preuve éclatante que, lorsque le pouvoir politique ne fait rien pour les citoyens, ceux-ci sont plus enclins à s’entraider entre eux au quotidien. C’est la raison pour laquelle la solidarité est souvent présentée comme une vertu africaine, tandis que l’individualisme est décrit comme un vice occidental. Gardons-nous donc de toute méprise !

Si les pays occidentaux passent aujourd’hui pour être des terres d’élection d’un individualisme forcené, c’est avant tout parce qu’ils ont compris, à un moment donné de leur histoire, la nécessité d’organiser la solidarité à l’échelle nationale pour libérer les individus des soucis matériels de leurs parents et de leurs connaissances afin qu’ils travaillent à leur propre développement et à celui de leur pays.

Ce qu’on appelle l’Etat-providence, c’est la tendance qu’ont les citoyens des pays riches à se tourner vers l’Etat organisateur de la solidarité pour réclamer des aides dès qu’ils rencontrent une difficulté. Mais on commet une lourde erreur à croire que la distension des relations inter-individuelles en Occident est synonyme d’absence de solidarité. Toute personne qui travaille dans ces pays contribue, par ses cotisations sociales, à la prise en charge des exclus et des fragiles de la société (chômeurs, malades, invalides, personnes âgées etc.). Et chaque salarié est soumis de gré ou de force à ce mode de fonctionnement parce que nul ne peut être sûr et certain d’être à l’abri de l’exclusion ou d’une période de fragilité.

Mais en plus de la solidarité organisée à l’échelle nationale, la promptitude des Occidentaux à venir en aide à d’autres peuples dès qu’une catastrophe survient est révélatrice d’une culture de la solidarité qui n’a rien à envier à l’entraide mutuelle telle qu’elle se pratique dans nos pays africains. Les guerres, les famines, les inondations et les tremblements de terre offrent régulièrement l’occasion de prendre la mesure de la solidarité dont ils sont capables. Et le plus impressionnant est que, la plupart du temps, les gens ne se mobilisent pas dans l’espoir secret d’être un jour récompensés par Dieu ; car ils ne croient ni en Dieu ni en diable. S’ils se mobilisent, c’est gratuitement, par simple humanisme.

En Afrique, par contre, l’entraide mutuelle supplée aux carences des Etats en matière de protection sociale, tout comme les Occidentaux d’avant la création de la sécurité sociale* se montraient plus solidaires les uns des autres pour faire face aux problèmes quotidiens. Et plus on continuera d’ignorer cette réalité en Afrique, plus la culture de la parenté-providence ou de l’amitié-providence s’enracinera, empêchant du même coup la libération indispensable des énergies individuelles en vue du développement.

Comment des citoyens pourraient-ils, en effet, investir et maîtriser leur compte financier s’ils doivent sans cesse répondre à des sollicitations diverses ? Il est d’ailleurs significatif de constater que ceux qui s’en sortent en Afrique sont généralement critiqués pour leur supposée pingrerie.

Ce qu’on appelle communément "la solidarité africaine" est, au mieux, une entraide mutuelle qui s’exerce essentiellement dans le cadre de liens parentaux ou amicaux. Au pire, c’est une connivence mortifère ayant pour mot d’ordre latent : "Serrons-nous les coudes entre parents et amis pour prospérer au détriment des autres !".

C’est la raison pour laquelle les pouvoirs publics dans nombre de pays africains sont incapables de résoudre les problèmes d’intérêt général. Aussitôt parvenus aux responsabilités, ils font l’objet de sollicitations diverses de la part de parents proches ou éloignés, vrais ou supposés. Et lorsqu’on ne peut rafistoler quelque lien de parenté pour acquérir ou sauvegarder quelque intérêt, on recourt aux réseaux d’amitié de type mafieux, ces tueurs assermentés qui plantent chaque jour leurs poignards dans le dos de la démocratie et de l’Etat de droit.

Certes, les réseaux démocraticides existent partout, même dans les pays développés. Mais nos pays devraient être d’autant plus vertueux que les conséquences de tels agissements sont fatales pour les franges les plus pauvres de nos populations.

En somme, l’Afrique n’a pas plus le monopole de la solidarité que l’Europe n’a celui de l’individualisme. Brandir la solidarité comme une vertu typiquement africaine dont devraient s’inspirer les autres continents, c’est d’une part perdre de vue les causes de l’individualisme présumé des Occidentaux, d’autre part chanter les louanges de la léthargie de nos Etats en matière de protection sociale.

Car le jour où les Etats africains organiseront la solidarité à l’échelle nationale, leurs citoyens cesseront de se tourner vers leurs parents ou leurs amis en cas de difficulté. Et l’on aura alors l’impression que la solidarité n’existe plus.

Par Denis Dambré

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Vos commentaires

  • Le 24 avril 2006 à 11:50, par D.M. En réponse à : > L’Afrique a-t-elle le monopole de la solidarité ?

    Votre analyse est très pertinente mon frère. On ne fait souvent pas ce genre de recul pour cerner tous les contours des comportements d’ici et d’ailleurs. Merci pour l’analyse profonde et objective.

  • Le 24 avril 2006 à 13:41, par Jamal En réponse à : > L’Afrique a-t-elle le monopole de la solidarité ?

    Article savamment écrit. Je soutiens cette affirmation et j’ajouterais que c’est en ayant un regard nouveau sur nos soi-disantes qualités et défauts que nous trouverons les moyens d’assurer un avenir meilleur pour nos peuples.
    Il y a certaines réalités qui sont difficiles à comprendre mais les faits sont là. Les vrais démons se cachent souvent parmi les meilleurs intentions.

    "Comment des citoyens pourraient-ils, en effet, investir et maîtriser leur compte financier s’ils doivent sans cesse répondre à des sollicitations diverses ? " C’est en effet une question très pertinente quand on sait que nombre de dirigeants africains sont arrivés par les armes promettant de remettre le pouvoir au civil et c’est souvent l’entourage qui les incite à rester pour le bonheur des uns et le malheur des autres... l’exemple de Mobutu est saisissant : Mobutu réclame un million à la banque centrale. Son attaché spécial 2, le ministre des finances 3, et le directeur de la Banque 4... au final, quatre millions. Ainsi coule un pays....
    A bon entendeur

  • Le 24 avril 2006 à 17:24, par wendbenedo En réponse à : > L’Afrique a-t-elle le monopole de la solidarité ?

    Châpeau pour l’analyse ! c’est vraiment sage et honnête comme vision des choses ; bonne abstration des apparences et préjugés de ce monde, un vrai recul...
    D’ailleurs de cette analyse je me pose la question à savoir si ce n’est pas notre "fausse solidarité",( la solidarité à intérêt) qui nous maintient dans cette impasse économique et parfois sociale ?!!
    En effet cette solidarité à l’Africaine a souvent pour conséquence une aliénation des consciences, des convoitises de toutes sortes et des incompréhensions. De toute façon, il est difficile dans ce monde ci bas de commettre un acte fortuit, ce n’est ce que pour un soulagement personnel.
    Le monde change et les mentalités évoluent et si nous (nous Africains) ne prenons pas garde, si nous n’adaptons pas nos matières de vivre au contexte du brassage culturel, nous serons culturellement méconnaissables dans l’horizon + 10 ans.
    Alors gardons en nous les valeurs d’honnêteté, de dignité, de sagesse et d’intégrité ces valeurs les mieux partagées ici bas !
    @+
    Martial

  • Le 24 avril 2006 à 23:33 En réponse à : > L’Afrique a-t-elle le monopole de la solidarité ?

    Bonjour,
    votre point de vue est très intéressant, seulement en France c’est l’état qu’on immobilise, il est devenu au fil du temps une vache à lait pour certains citoyens, bien évidemment ce n’est pas pour cette raison que le chomage augmente, que la précarité touche un plus large public...... Je crois que justement le peuple français a besoin de retrouver un esprit communautaire mais pas forcément pour soutenir financièrement son voisisn mais juste s’intéresser à lui pour ouvrir son esprit, découvrir une culture, une façon de vivre.... L’Afrique n’est pas la seule responsable de son malaise, l’Occident doit changer son comportement vis à vis de ce continent.
    Laetitia (France)

    • Le 27 avril 2006 à 22:46 En réponse à : > L’Afrique a-t-elle le monopole de la solidarité ?

      Une petite réponse à votre remarque sur le rôle de l’Occident et ses conséquences sur l’Afrique : dans les relations entre Etats, l’amitié est un mot creux. Seuls comptent les intérêts de chacun. Vous connaissez sans doute la célèbre formule que l’on prête au Général De Gaulle : "La France n’a pas d’amis, elle n’a que des intérêts". Si les Africains espèrent qu’un beau jour les pays riches refuseront d’eux-mêmes pour des raisons morales d’exploiter les richesses de l’Afrique pour lui permettre de se développer, ils se trompent. De même que les indépendances ont été obtenues au terme de nombreuses années de lutte, de même la fin de la spoliation des biens des Africains ne viendra que d’une lutte. Et il me semble que le premier jalon de celle-ci est de regarder déjà d’un oeil critique et sans tabous les sources de dysfonctionnement à l’intérieur même des Etats africains. Or, que constate-t-on ? Que beaucoup d’Africains dénoncent la corruption alors même qu’ils n’hésitent pas à oeuvrer dans le sens du maintien du système actuel en recourant aux réseaux parentaux et amicaux de type mafieux pour sauvegarder leurs propres intérêts. Mon article vise à faire prendre conscience de la vacuité des propos sur la solidarité présumée des Africains. Car, d’une part, cette prétendue solidarité (qui d’ailleurs ne s’exerce que dans le cadre de liens parentaux ou amicaux) est la conséquence de l’absence de protection sociale de la part de l’Etat ; d’autre part, ce type de discours enferme les Africains dans la nostalgie d’un passé imaginaire que personne n’a vécu... A bientôt peut-être.

      Denis Dambré

  • Le 25 avril 2006 à 14:37, par N.S En réponse à : > L’Afrique a-t-elle le monopole de la solidarité ?

    votre analyse est pertinente, mais comparé la solidarité occidental d’avec celle africaine sans tenir compte du contexte socio-économique et politique on risque de mettre en lumière des jugements de valeur. Par exemple, lorsque vous dites que les occidentaux ne croyent ni en Dieu et ni au diable, j’oserais affirmer que cela incertain. "In God we trust", c’est la dévise des USA ; qu’est-ce-que cela pourrais signifier selon vous ?
    Aussi, une chose est certaine : c’est que l’Afrique est en passe de perdre ses vraies valeurs parce que la nouvelle génération a honte de la tradition. Si l’occident est solidaire, pour quoi refuse-t-il acceuillir nos frères noirs qui meurent chaque jour dans les mers qui séparent physiquement l’occident de l’Afrique ?
    Et les aides que les occidentaux apportent aux africains, et aux sinistrés des catastrophes naturelle et humaine, ne penses-tu pas qu’elles voilent en elle des enjeux stratégiques. Si non pour quoi ne pas les apporter sous la coupe de l’anonimat ? Pour quoi chaque grande puissance veut donner que l’autre.
    Certes l’afrique est en passe de perdre ces valeurs de solidarité, mais dire que l’occident a des comportements plus solidaires que les notres je dirai : incertain. Il ne faut pas confondre le peuple africain à leur chefs d’Etat. Ces derniers ne pensent qu’à leur ventre et leur povoir, raison pour laquelle il distiguent le peuple d’avec leur famille. Ils oublient consciemment l’interêt de la nation au profit de leurs intérêts égoîstes.
    Au Burkina faso, dans les sociétés traditionelles, on ne refuse pas la terre à celui qui en fait la demande en vue de subvenir à ces besoin de subsistance.Mais aujourd’hui ce n’est plus le cas. C’est pourquoi les populations des terres rurales dégradées se retrouvent dans les zones fertiles du pays. Mais, ces migrations deviennent problématique parce que l’individualisme souffle dans les cieux des nos zones rurales.
    La solidarité africaine est forte, mais elle se meurt
    N. S

    • Le 27 avril 2006 à 06:36 En réponse à : > L’Afrique a-t-elle le monopole de la solidarité ?

      J’ai lu votre réaction et souhaite vous apporter quelques précisions. Vous me prêtez des intentions que je n’ai pas. Le but de mon propos n’est pas d’opposer un Occident présumé solidaire à une Afrique qui ne le serait pas. J’entends simplement inviter à plus de nuance ceux qui profèrent des propos manichéens et des jugements binaires du genre "Les Africains sont solidaires et les Occidentaux sont individualistes". Ce genre de propos sans nuance trahissent une méconnaissance des réalités occidentales et africaines. C’est la raison pour laquelle je cite des exemples de manifestations de solidarité en Occident. Je prends également de la distance pour observer l’entraide mutuelle africaine et ses travers en politique où les connivences parentales ou amicales se mêlent... Vous semblez aussi nostalgique d’un passé africain que vous idéalisez quand vous dites que l’Afrique a perdu ses valeurs au contact de l’Occident. Cela me fait pensez au poème de David Diop que nous déclamions à l’école :"Afrique, mon Afrique. Afrique des fiers guerriers dans les savanes ancestrales...". Un conseil : N’idéalisez pas un passé que ni vous ni moi n’avons connu. Car une chose est certaine : chaque étape de l’histoire humaine comporte ses travers et ses aspects positifs. Sachons regarder notre passé sans regret, sans illusions et avec beaucoup d’esprit critique. Je pourrais développer ce point, mais le temps me fait défaut ce matin. A une prochaine fois peut-être.

      Denis Dambré

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