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Liberia : Entre témérité et réalisme politique

Publié le vendredi 21 avril 2006 à 08h35min

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Ellen Johnson-Sirleaf

C’est un lieu commun que d’affirmer que les dix années de guerre civile au Liberia ont laissé des trous béants dans ce pays. On peut donc comprendre l’empressement avec lequel la nouvelle présidente entend s’attaquer aux multiples problèmes qui ont plongé son pays dans un état comateux.

Deux raisons essentielles poussent Ellen Johnson Sirleaf à engager une course de vitesse plutôt qu’une course de fond pour remettre sur les rails un train longtemps abandonné sur les bas-côtés du trajet. D’abord, détruire ce préjugé tenace, longtemps entretenu en Afrique par la faune misogyne, qui voudrait qu’une femme en Afrique soit incapable de diriger une nation au plus haut niveau ; que la femme doit s’estimer déjà heureuse en se voyant accorder le droit d’être éligible au niveau subalterne.

Alors, la présidente du Liberia ne serait pas mécontente d’entrer dans le panthéon des dames de fer qui, sur d’autres continents, ont fait et font encore trotter la gent masculine. Ellen Johnson Sirleaf voudrait certainement détruire ce mythe et ce postulat qui veulent que les femmes soient simplement derrière chaque grand homme pour jouer les seconds rôles. Pour elle donc, il s’agit d’une course contre la montre, à la manière d’un médecin face à un malade dont la guérison exige une chirurgie à ciel ouvert, sans anesthésie.

Cependant, la situation au Liberia exige plus que des coups d’éclats. A force de foncer cornes basses dans tous les sens, sans discernement et, apparemment, sans fixer des étapes, on a bien peur que cette dame de fer ne torde la lame de son sabre contre de nombreux obstacles qui se dressent sur le chemin de son magistère jonché de ronces. En politique comme dans les autres domaines, il est toujours salutaire de reculer pour mieux sauter.

A moins que Sirleaf ne veuille faire comme le défunt président du Togo, le général Gnassingbé Eyadéma, qui disait, lors de son arrivée au pouvoir, que son pays était au bord du gouffre et qu’il lui avait fait faire un pas en avant. On peut alors se demander quelle mouche a piqué les autorités libériennes pour qu’elles empêchent deux gardes du corps de George Weah d’embarquer avec leur patron, qui partait à l’étranger. L’argument brandi par les autorités, la mise à jour des pièces d’Etat civil au Liberia, est un argument difficilement défendable quand on sait que les deux gardes du corps représentent un chiffre négligeable qui ne saurait bouleverser les données d’une opération de renouvellement de passeports.

Plus grave, dans le contexte actuel du Liberia, il était évident que cet acte allait prendre une dimension politique que l’adversaire de Sirleaf à l’élection présidentielle n’a pas tardé à exploiter en l’assimilant à une sorte de harcèlement ou à une espèce de chasse aux sorcières.

Pour emprunter le langage du citoyen lambda, George Weah n’est pas n’importe qui. Sans aller jusqu’à fouiller dans les poubelles des élections en Afrique en général, et au Liberia en particulier, il faut reconnaître que parfois, leurs résultats convainquent peu de personnes, sauf les éternels observateurs internationaux, ces afro-touristes égrenant les mêmes chapelets. "Tout s’est déroulé de manière globalement satisfaisante". N’eussent été le fair-play et la sagesse de George Weah dont la popularité reste encore intacte, on n’en serait pas là.

Un tel adversaire, qui a proclamé sa disponibilité à collaborer, ne devrait pas être perçu comme ennemi politique, si l’on veut éviter d’exacerber l’absence de débats, de consensus dans un pays qui a plus que jamais besoin de panser ses profondes plaies. Malheureusement, la présidente libérienne donne l’impression d’adorer marcher sur des braises ardentes. Elle ne se rend pas compte qu’en politique, les embrassades sont parfois trompeuses. Elle doit tenir compte des états d’âme de ses pairs africains. La brochette de chefs d’Etat qui ont assisté à son investiture ne la soutiennent peut-être que du bout des lèvres.

En livrant Charles Taylor au tribunal spécial pour la Sierra Leone, elle viole un tabou adoré par le syndicat des chefs d’Etat africains, qui voient désormais, à travers ce transfert, le signe avant-coureur de lendemains peu reluisants pour eux. Hier applaudie, Ellen Johnson Sirleaf risque d’apparaître aujourd’hui, aux yeux de ses pairs africains, comme celle par qui la retraite présidentielle, forcée ou non, est devenue une malédiction. D’où la nécessité de maintenir un climat intérieur serein au Liberia.

En attendant, malgré les propos apaisants de la présidente niant son implication directe dans l’incident, le parti de George Weah se dit décidé à ne pas se laisser faire. Tout un programme. Dans un pays où toutes les écuries sont entretenues par des chefs de guerre, des milices toujours embusquées et à la gâchette facile, sans oublier tous ces laissés-pour-compte et toutes ces victimes de la guerre civile qui attendent vainement le simple BNB (Bonheur national brut), il y a lieu de bannir ces comportements contre - productifs et provocateurs qui ne font guère avancer un Liberia en état de délabrement. Comme disait Guy Béart, "la France vit avec de faux bergers qui suivent leurs moutons, et de faux moutons qui sont des loups en laisse". Il faut éviter au Liberia, pays encore fragile, le même sort.

Dans l’une de nos précédentes éditions, sous le titre "La dame de fer se jette à l’eau", nous nous étions fait l’écho de la décision de la présidente d’extrader Charles Taylor. En soi, la décision n’était pas forcément condamnable. Cependant, la présidente serait bien inspirée d’atténuer sa témérité avec un certain réalisme politique. Sinon, elle risque d’avoir des crampes politiques en voulant nager dans plusieurs eaux à la fois.

"Le fou"

Le Pays

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