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<I>Missive à mon oncle </I>

Publié le mercredi 12 avril 2006 à 07h07min

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Très cher oncle, dans une de mes précédentes lettres, j’avais déploré le silence de Konan Banny lors de son passage à Ouagadougou. J’avais même ajouté que les citoyens avaient pleinement droit à l’information, dans la mesure où nos dirigeants disent agir en leur nom et dans leurs intérêts. Aujourd’hui, les langues commencent à se délier à propos de cette visite.

Tu n’ignores pas qu’aujourd’hui il est difficile d’étouffer les informations. Comme le disait un paysan de chez nous, si à ton réveil tu n’apprends des nouvelles, tu en inventes. A défaut d’informations officielles, une certaine rumeur circule au Burkina et selon laquelle la visite de Banny était liée à la présence visible des ex-rebelles ivoiriens dans notre pays. Il aurait demandé aux autorités burkinabè d’exiger de ces derniers d’être plus discrets en abandonnant leur train de vie qui donne l’impression qu’ils narguent les efforts entrepris par le Premier ministre pour mieux jeter un peu de lumière sur les ombres de la crise ivoirienne.

Tu me rétorqueras qu’il ne faut pas toujours se confier à la rumeur. Mais en Afrique, il n’y a pas de fumée sans feu. Et, que veux-tu ? Quand la rétention de l’information devient une pratique courante, les citoyens ne peuvent que s’accrocher à ce que les journalistes appellent dans leur jargon, l’information alternative.

Par ailleurs, tu connais la propension de nos dirigeants à cultiver le culte du secret. La conséquence d’un tel comportement, c’est la méfiance des citoyens vis-à-vis d’une information distillée à doses bien calculées par les autorités. En tous les cas, il pourrait s’agir d’un ballon de sonde pour recueillir les sentiments des citoyens. Pour l’instant, je ne saurais te dire quelle est la suite réservée à la requête de Banny par les autorités burkinabè. Ne se sont-elles pas contentées de sauver les apparences ? On voit mal le Burkina empêchant les ex-rebelles de circuler librement au "pays des Hommes intègres" dès lors qu’ils n’ont pas posé d’actes répréhensibles. En tant que pays qui compte le plus grand nombre de ressortissants à l’étranger, le Burkina ne peut se permettre d’organiser cette chasse aux sorcières. En plus, le principe de la libre circulation des personnes et des biens, officiellement reconnu dans l’espace CEDEAO, ne devrait pas être un vain mot.

Très cher oncle, au Burkina, nous sommes en période préélectorale pour les élections municipales qui, sauf incident de dernière minute, doivent avoir lieu le 23 avril prochain. Contrairement à la présidentielle qui avait mobilisé beaucoup de monde (est-ce parce que les gens étaient attirés par les feuilles qui circulaient ?), la campagne pour les municipales, pourtant éloquemment appelée "retour à la base", ne mobilise pas grand monde. Les partis qui compétissent sont obligés de délivrer à la télé et à la radio, des messages plus ou moins insipides à l’électorat. Des messages qui mobilisent en tout cas moins qu’un match de football de quartier. Il faut dire que les différents candidats, à l’occasion, ne font que ressortir de leurs livres cramoisis, de vieilles recettes. Chacun jure, la main sur le coeur, qu’il sera le nouveau et le meilleur messie. Mais en fait de messies, ce sont toujours les mêmes, tous inféodés à des partis politiques qui les imposent. Les populations à la base n’ont qu’à se taire et voter. Tu sais que l’électorat en Afrique a souvent voté mécaniquement des hommes, non pas en fonction d’un quelconque projet de société qu’ils proposent, et capable de les sortir des ornières de la pauvreté, mais simplement parce que leur estomac étant flagellé, ils sont prêts à échanger leurs suffrages contre un bol de riz, quelques carreaux de sucre et même du "Sira-mugu". Résultat, les municipales du 23 avril risquent de ressembler aux autres. La reconduction des mêmes hommes qui vont verser dans la même routine parce qu’ayant vaincu sans péril et n’ayant de compte à rendre à personne, surtout pas à leur électorat. Dans ces conditions, cher oncle, j’ai peur que ce fameux transfert de pouvoir ne se transforme en simple transfert des mêmes hommes qui, au plan national, n’ont guère brillé. Ils se sont comportés plutôt en prédateurs. Comment un candidat, pistonné par un parti politique, contre la volonté de la base, et, de ce fait, non soumis à l’obligation de résultat, pourrait ne pas céder à la tentation de rançonner des populations rurales déjà démunies ?

Très cher oncle. Dix-neuf ans après sa mort, l’ombre de Thomas Sankara plane toujours sur le Burkina. Le récent souvenir de sa mémoire a été la conférence de presse organisée tout récemment par les membres locaux du Collectif juridique de la campagne internationale Justice pour Thomas Sankara. Les animateurs de cette rencontre entendaient informer l’opinion sur la décision du comité des droits de l’homme de l’ONU quant à l’imprescriptibilité et le non- classement de l’affaire Thomas Sankara. En attendant, après la présidentielle, ce dernier a dû se retourner dans sa tombe à l’annonce des municipales.

Au total, plus de cinq partis se réclament de l’ancien président du Conseil national de la révolution.

Malheureusement, sur le terrain, on a l’impression qu’ils se déchirent.

Très cher oncle, si tout le monde s’accorde à dire que le sport adoucit les moeurs, de mauvaises langues prétendent que nous avons un nouveau ministre aux propos peu sportifs.

En effet, parlant de football, il a tenu des propos musclés propres à un bidasse. "En football, il faut assainir l’environnement. Tous les petits escrocs seront évacués... Même si nous allons nous boxer, nous le ferons..." Je te laisse méditer de tels propos qui, s’ils ont l’avantage de la sincérité (notre sport en a besoin), laissent apparaître des signes évidents de caporalisation. Je ne saurais terminer sans formuler le souhait que Banny revienne de sa tournée des capitales occidentales, la mallette pleine d’argent à craquer. C’est ce que la communauté internationale lui avait promis pour réussir sa mission. A l’heure de vérité, la même communauté internationale ne doit pas tergiverser, ce qui est presque sûr, ses sous seront bien gérés.

"Ton neveu"

Le Pays

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