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Culture : L’odyssée du casque colonial de Sao

Publié le vendredi 7 avril 2006 à 08h04min

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A travers cet écrit, l’auteur évoque comment des événements parfois insignifiants peuvent déstabiliser tout un empire. C’est l’histoire du casque d’un roi, qui a disparu alors qu’il était de passage chez son voisin. Le casque n’avait pas été volé, mais soutiré par un enfant tout ignorant qui se trouvait être le petit-fils du roi victime.

On dit que l’empereur du Mossi, le Naaba Koom, avait offert au roi de Sao, le Naaba Pîga, père de l’illustre Rimdolobsom, un casque colonial. Le casque colonial est une coiffure en liège épais à larges bords couvert d’un tissu blanc ou kaki. Le colonisateur victorieux en avait fait sa coiffure de triomphe et de gloire. Le casque était porté par les administrateurs coloniaux de la France d’Outre-mer, les hauts-fonctionnaires, certains dignitaires auxiliaires et l’Administration coloniale.

Dans la première moitié du XXe siècle, le casque était un signe de prestige, de noblesse, de grandeur, surtout quand il est offert par un empereur à son vassal. C’est pourquoi le roi de Sao affichait fièrement son casque impérialo-royal les grands jours. Il ne le quittait pas d’un pouce. Son casque lui procurait bonheur et honneur jusqu’au jour funeste où, revenant d’une visite royale à Yako, il arriva à Gnou, localité voisine de Sao. C’était un jour de marché. La foule accourut pour voir le roi huppé.

Le petit-fils espiègle du roi

Voulant honorer son voisin du Sud, le chef de Gnou demanda au roi de Sao d’effectuer une escale dans sa localité. Le roi accepta une pause de quelques instants. La cavalerie mit pied à terre. La fille du roi de Sao est mariée à Gnou. Ayant appris le passage de son père à Gnou, la princesse de Sao vint saluer son père, la dame tenait dans ses bras un espiègle garçonnet de trois ans. Pendant les poussi-poussi (salutations), l’assistance avait les yeux rivés au sol. Le garçonnet, qui faisait des pérégrinations jusqu’au fauteuil royal, prit le casque de son grand-père, le plaça au fond du panier de sa mère et referma.

Après les salutations, la dame regagna son domicile sans se douter qu’elle transportait le casque de Sao dans son panier, casque dont la disparition mettra en péril la tête du chef de Gnou. Parvenue à domicile, la princesse déposa négligemment son panier couvert sur une meule, pour ne le reprendre que trois jours plus tard. En pays mossi, le marché se tient une fois tous les trois jours. Durant ces trois jours, ni l’empereur, ni le roi, ni le chef de Gnou ne trouvent le sommeil.

Un crâne dégarni, de vieux palefrenier

Au moment de reprendre son chemin, le roi de Sao se tourna à droite, pas de casque. Il se tourna à gauche, pas de casque. Où est mon casque ? demanda-t-il au chef de Gnou d’un ton accusateur, les yeux rouges. Le casque royal a disparu. Toutes les recherches furent vaines. Décoiffé, le roi n’a plus de panache. Le crâne dégarni du vieillard lui donnait l’allure d’un vieux palefrenier. Humilié, devenu petit et sans élégance, le roi rentra discrètement à Sao comme un prince morganatique.

Tôt le lendemain, un émissaire du roi vient dire à Naaba Koom que le chef de Gnou a retiré le casque que l’empereur a offert au roi de Sao. Lorsque les circonstances de la disparition rocambolesque du casque furent rapportées point par point, l’empereur resta pensif. Mais, lorsqu’il passa le fil des événements au compas de la raison, l’empereur entra en colère non sans raison : d’abord, le casque fait l’objet d’une soustraction frauduleuse.

Ensuite, on ne vole pas la coiffure d’un roi pour rien. Qui donc peut avoir enlevé le casque du roi si ce n’est le chef de Gnou ? Enfin, en matière spirituelle, les souverains savent que la coiffure et le sabre symbolisent la royauté et la puissance : dans une vision nocturne, lorsque la coiffure ou le sabre d’un souverain lui échappe et tombe dans les mains d’une personne étrangère, celle-ci ou sa descendance montera au pouvoir tôt ou tard. Une telle vision est la révélation d’une promesse divine irréversible. Naaba Koom ne pouvait l’ignorer.

Un crime qui ne restera pas impuni

Mais dans la réalité, que peut-il advenir à un souverain physiquement dépouillé de sa coiffure ? Nul ne le sait. Par conséquent, toutes les supputations sont permises. Aussi, l’empereur ne laissa pas nonchaloir sa décision. Un messager impérial se rendit à Gnou avec ordre d’informer le chef que les courriers rapides de l’empire sont harnachés. Ils seront épéronnés en direction de Gnou si le casque du roi de Sao n’est pas immédiatement restitué. La fermeté du message impérial fera bien comprendre au chef de Gnou que son acte est un crime de lèse-majesté qui ne restera pas impuni.

Le chef de Gnou comprit que sa loyauté est mise en doute, que la fortune lui a tourné le dos, que son affaire va de mal en pis, puisqu’elle a atteint le faîte de la hiérarchie. Les bonnes intentions qui ont motivé le chef de Gnou - lorsqu’il arrêta la course du roi de Sao - ne constituent plus des garanties suffisantes de sa sincérité ni de son innocence. Plutôt, ces bonnes intentions sont perçues comme des prétextes vertueux à dessein de spolier le roi de son casque. Le chef en perdit la tête. Les voyous de Gnou ainsi que les personnes au comportement douteux furent recensés, les maisons fouillées, en vain. Ne voyant plus d’où proviendrait sa délivrance, le chef de Gnou s’en remit à la Providence.

Cet enfant est mon ami

Au troisième jour, lorsque la princesse de Sao ouvrit son panier, elle y aperçut une coiffure en forme de tortue gisant au fond du panier. Le panier et son contenu sont transportés au domicile du chef de Gnou. La nouvelle de la découverte du casque parvient à Sao et à Ouagadougou. Naaba Koom écouta silencieusement l’odyssée du casque de Sao.

Après l’avoir ouïe, l’empereur sourit, secoua longuement la tête et dit : "Cet enfant est mon ami. Placez-le sous une surveillance rapprochée. Il peut ébranler l’empire mossi". Cette conclusion de l’empereur traduit son souci de léguer un empire stable à sa postérité. Bien souvent, les pires événements résultent d’un fait bénin, voire d’une erreur d’appréciation, qu’un souverain doit éviter par la patience et la pondération.

Ibrahima Khalil Touré

Observateur Paalga

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