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Crise politique : Gourcy sous haute tension

Publié le lundi 3 avril 2006 à 09h03min

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Les habitants de Gourcy (province du Zondoma) se souviennent de la folle journée du 1er mai 2005. Comme si c’était hier. La "guerre des gourdins, des machettes et des lances" a failli entraîner des pertes en vies humaines. Une querelle politique mêlée à une crise religieuse.

Une haine entre deux "clans" du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP). Une succession d’imams sous haute tension. Une mosquée fermée et le gardien tué en janvier 2006... Aujourd’hui, Gourcy traîne encore, comme un boulet, ces douloureux épisodes. On a tenté de colmater les brèches mais la tension est toujours vive. Nous nous y sommes rendu du 24 au 25 mars 2006. Voyage au coeur d’une ville marquée par les stigmates d’une "plaie" mal soignée...

"Si vous retournez à Ouaga, dites à Blaise Compaoré d’intervenir vite ; lui seul peut dénouer la crise". La vieille femme observe un bref silence, reprend son souffle. Un rictus d’écoeurement déforme ses lèvres. Elle nous fixe dans les yeux, puis insiste : "Dites-lui, s’il vous plaît ! S’il ne fait rien, les politiciens de Gourcy vont nous tuer. Je suis née ici, j’ai aujourd’hui 61 ans, mais je n’ai jamais vu des gens qui se haïssent comme ça.

L’année dernière, des hommes surexcités, armés de bâtons et de gourdins, sont venus dans cette cour ; ils ont bastonné mon fils et ils ont failli le tuer". La raison ? "Ils disent qu’il n’est pas du même camp politique qu’eux. Pourtant, ils sont tous du CDP. Mais comme les dirigeants du parti au Zondoma veulent se manger, certains militants sont rentrés dans la bagarre sans rien comprendre.

Franchement, ils n’ont rien compris : la politique, ce n’est pas la guerre", déclare, très énervée, cette dame au visage ridé et au corps presque décharné. Soudain, elle semble être tenaillée par la peur. Comme un agneau craignant de rencontrer un troupeau de loups, elle nous supplie, la main sur le cœur, de "ne pas écrire (son) nom dans le journal". "Vous savez, à Gourcy, certains politiciens du CDP sont toujours prêts à écraser les faibles", confie-t-elle sous le regard approbateur d’une jeune fille portant un tee-shirt à l’effigie du président Compaoré.

La vieille dame interrompt la conversation. Une autre femme, tout aussi vieille, vient de lui signaler qu’il est l’heure de la prière. Habillée d’une robe de laine grise, un foulard chatoyant sur les épaules, une natte à la main, elle se dirige à petits pas vers la grande mosquée de Gourcy. Ce vendredi-là, plusieurs autres fidèles musulmans s’apprêtent à rendre hommage à Allah, "le Tout- Puissant" et "le miséricordieux".

Mais la mosquée est fermée. La prière se déroule juste à côté, en plein air. "C’est une affaire qui date de juillet 2005", confie un homme tout de blanc vêtu, lui aussi venu accomplir le deuxième pilier de l’Islam. Les souvenirs fourmillent dans sa tête comme une incantation : "Après le décès de l’imam de la mosquée, raconte-t-il, c’était la croix et la bannière. Sa succession a failli entraîner un conflit religieux. Chaque camp voulait, coûte que coûte, imposer son imam. La tension était tellement vive que la mosquée a été fermée. Jusqu’à présent, la communauté musulmane ne parle pas le même langage". Le religieux réajuste son bonnet, puis se désole : "Il n’y a toujours pas d’imam pour cette mosquée. C’est vraiment dommage".

Non loin de là, un homme, assis sous un hangar, observe attentivement la conversation. "Je veux aussi parler", finit-il par lâcher. Ses premières phrases sont empreintes de colère : "Ce sont les politiciens qui ont créé tout ce cafouillage. Pourquoi ils ont décidé comme ça, un matin, de fermer notre mosquée ? Je ne suis pas d’accord. Ce que Dieu a ouvert, l’homme ne doit pas le fermer". "C’est vrai", renchérit son épouse. Elle psalmodie quelques versets du Coran puis déclare, visiblement convaincue, que "Dieu seul est le maître de l’humanité".

"Ici, on mange, on boit, on danse ; on ne parle pas de politique"

Le maire de Gourcy, Dominique Yaméogo, affirme pourtant avoir fait œuvre utile : "Nous avons vu venir le danger. Si nous n’avions pas fermé la mosquée, il y aurait inéluctablement eu mort d’hommes. La tension était très vive et les autorités locales ont pris leurs responsabilités". Dans tous les cas, ajoute-t-il, "c’est une mesure conservatoire. La mosquée sera rouverte. Mais pour le moment, les conditions ne sont pas réunies pour cela". Pas de consensus en effet pour la désignation d’un nouvel imam. Et puis, il y a "les bagarreurs du CDP" toujours prêts à se décocher des flèches. "Ils défendent le parti le jour et le trahissent la nuit", explique le Secrétaire provincial du CDP, Issouf Baba Mandé.

Sa colère monte d’un cran : "On ne peut pas être sur une branche et la scier. Ceux qui prétendent être du parti et qui militent contre le parti sont animés par des rancoeurs personnelles et sont à la recherche de satisfactions personnelles". Le bourgmestre de Gourcy, Dominique Yaméogo, sort lui aussi ses griffes : "Il s’agit d’une vieille génération en fin de carrière politique. L’héritage qu’ils laissent est un triste souvenir : la culture de l’intolérance". Mais de qui parlent-ils ? La réponse tombe, brusque et fracassante : "Tahéré Ouédraogo, Bernard Lédéa Ouédraogo et toute leur clique".

70 20 74 ... Allo ! Bernard Lédéa ? (...) Je souhaite avoir un entretien avec vous sur la situation politique à Gourcy. "Ecoutez, je ne veux plus parler de politique". Pourquoi ? Envisagez-vous de quitter la politique ? "Non, ce n’est pas cela. C’est... Je suis actuellement malade ; je préfère que ce soit après les élections municipales". Tahéré Ouédraogo lui aussi a refusé de s’exprimer. Mais certains de leurs partisans n’ont pas hésité à afficher leurs vérités : "Ceux qui dirigent actuellement le CDP/Zondoma sont les pires ennemis du CDP", martèle un commerçant. Il pointe un doigt accusateur sur Issouf Baba Mandé, Dominique Yaméogo et bien d’autres. Puis, avec un air de conviction, il ajoute : "Nous avons tenté, à plusieurs reprises, de ramener les brebis égarées sur le bon chemin, mais ils sont tellement indisciplinés que nous n’avons pas encore réussi ».

A quelques mètres de là, un autre commerçant, visiblement fier de la "bonne action" de son ami, décide de lui offrir une bière. Et il n’hésite pas à placer son petit mot dans la conversation : "Ce qu’il dit est absolument vrai. Je ne m’intéresse plus à la politique depuis près de dix ans parce que les politiciens m’ont déçu. Au lieu de développer le pays, ils se développent et oublient ceux qui les ont élus". Les deux amis se donnent des tapes amicales. Ils semblent partager les mêmes convictions...

Il est 23 h. Au bar-dancing "Le titanic", une jeune fille s’invite à notre table. Elle est hostile à la politique. Du moins, elle a peur. A peine a-t-on commencé la conversation qu’elle retire ses cartes du jeu : "Dis à ton ami-là que quand on vient ici, c’est pour manger, boire et danser. Ce n’est pas pour parler de politique", souffle-t-elle à mon compagnon. Puis, sourire aux lèvres, elle va se déhancher sur la piste de danse. Gourcy des joies, Gourcy des peurs...

Par Hervé D’AFRICK


Il faut sauver Gourcy !
La situation à Gourcy n’est pas alarmante mais tout de même préoccupante. Les politiciens eux-mêmes se le disent, droit dans les yeux : si rien n’est fait, les démons tapis dans l’ombre vont refaire surface. Et ce sera très difficile à gérer. Ce sont pourtant eux qui sont à l’origine des problèmes. En tout cas, à Gourcy, nombreux sont ceux qui le pensent. Et qui affirment, mordicus que seuls les politiciens peuvent permettre d’éviter le spectre d’une crise à rebondissements. Les élections municipales du 23 avril vont certainement raviver les fougues politiques. Aux politiciens donc de savoir manœuvrer. Pour que le pire ne dicte pas, une fois de plus, sa loi.


Enjeux autour d’une mosquée fermée

Le gardien de la mosquée de Gourcy a été attaqué en janvier 2006. Il a succombé à ses blessures à l’hôpital de Ouahigouya. On ignore les raisons de l’agression, de même que le ou les responsable (s) de cet acte. "C’est une mort de trop ; il ne faut plus que ça arrive", affirme un maître coranique. Pourtant, la mosquée fermée pourrait être l’objet de fixation pendant la campagne pour les municipales. En effet, de sources concordantes, les deux camps en conflit au CDP entendent, chacun, tirer des dividendes de cette affaire. De manière différente : l’un estime qu’il n’y a pas de raison que la mosquée demeure fermée ; l’autre affirme vouloir éviter tout dérapage en ne l’ouvrant pas. Le conflit politique risque donc, si l’on y prend garde, de glisser dans le domaine religieux. "Il faut que les musulmans fassent preuve de retenue, que les autorités compétentes veillent au grain et que les politiciens sachent que leur pouvoir appartient au peuple", conseille un vieil homme.

Hervé D’AFRICK

Le Pays

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