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Charles Taylor : Un procès pour l’exemple

Publié le lundi 3 avril 2006 à 09h06min

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Pendant longtemps, on parlera de Charles Taylor. L’histoire retiendra que l’ancien président du Liberia, aujourd’hui aux mains du Tribunal spécial pour la Sierra Leone pour, entre autres, crimes de guerre et crimes contre l’humanité, est un des exemples achevés du mauvais gouvernant.

Charles Taylor se retrouve aux mains de la justice internationale après plus de dix ans de règne sanglant à la tête de son pays, un exil forcé de trois ans au Nigeria et une fuite « spectaculaire » vers le Cameroun qui aura tourné court. En effet, il a été vite rattrapé et conduit directement à Freetown pour répondre de ses actes.

Ce qui nous intéresse aujourd’hui, ce sont les leçons à tirer du sort de Charles Taylor. Cet homme est parvenu au pouvoir après avoir chassé Samuel Doe. Pour parvenir à son objectif, il a fallu à Taylor des soutiens militaires et politiques extérieurs et une guerre civile atroce. Et tout cela pour le plus grand malheur du Liberia, Charles Taylor ayant démontré qu’il était aussi pire, pour ne pas dire plus, que Samuel Doe. Le « révolutionnaire » qu’il prétendait être s’est révélé, au fil des années, un dangereux mégalomane, un affairiste.

Malgré tout, les autorités libériennes soutiennent que leur justice ne poursuit pas l’ancien président. C’est contrainte et forcée que la nouvelle présidente du Liberia Ellen Johnson Shirleaf a demandé à son homologue nigérian Olesegun Obasanjo de livrer Taylor à la justice. En réalité, les Etats-Unis sont à la tête de cette campagne qui conduit l’ancien président libérien devant un tribunal international. Parce qu’ils veulent entre autres qu’on le punisse pour son soutien militaire au Front révolutionnaire sierra-léonais de Fodé Sankoh et pour son rôle dans la guerre civile en Sierra Leone. En fait, Charles Taylor est poursuivi beaucoup plus pour ce qu’il a fait à l’extérieur et non pour les nombreux crimes qu’il a commis chez lui. Il était passé pour être le principal déstabilisateur de la sous-région Ouest-africaine (Guinée, Côte d’Ivoire...)

Le lieu de son jugement est devenu un sujet à polémique. Juger le « célèbre » prisonnier en Sierra Leone voisine pourrait bien, selon des observateurs, déstabiliser le Liberia qui ne s’est pas encore remis de sa longue guerre civile et en même temps fragiliser le pouvoir des nouvelles autorités libériennes. Juger Taylor à La Haye (c’est-à-dire à l’étranger) comme le demandent certains pour ne pas raviver les rancœurs, va à l’encontre de ce que préconisent les chefs d’Etat africains : « laisser le soin aux Africains de le juger en Afrique ». Ils l’ont fait savoir lorsqu’il était question d’extrader en Belgique l’ancien président tchadien, Hissène Habré, réfugié au Sénégal, pour être jugé lui aussi de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité ! Pendant combien de temps la volonté des chefs d’Etat africains va-t-elle résister aux réalités et aux pressions ? Va-t-on assister aux règlements de ces questions au « cas par cas » ?

En attendant que le temps s’en charge, que valent les accords signés par ces Etats africains qui ont permis à Charles Taylor de s’exiler au Nigeria, sûr qu’il était, d’être en sécurité avec en plus le secret espoir de ne pas comparaître devant la justice ? Même si Obasanjo a respecté cet accord en refusant d’extrader Taylor sous la pression de pays et d’organisations internationales et à ne le remettre qu’aux mains de nouvelles autorités démocratiquement élues du Liberia, le doute est permis sur la crédibilité de certains engagements en Afrique.

Même si le procès de Taylor n’est pas une urgence pour les nouvelles autorités libériennes qui ont bien d’autres priorités comme les chantiers du développement, le raffermissement de la démocratie et de l’unité nationale, le Tribunal spécial pour la Sierra Leone et les organisations des droits humains voient les choses autrement. Pour eux et pour bon nombre de personnes, il y a urgence à juger Taylor pour l’exemple. Ce procès peut être l’occasion de réfléchir sur la gestion de certains de nos Etats. Il peut être aussi l’occasion pour l’Afrique de tourner résolument les pages noires de son histoire. La Sierra Leone, comme bien d’autres pays, a donné le triste exemple avec ces dizaines de milliers de victimes des exactions.

En tous les cas, le procès de Taylor est une victoire contre l’impunité, les violations des droits humains et la mauvaise gouvernance. Plus jamais ça, devrait-on dire !

Par Bessia BABOUE

Sidwaya

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