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Fonction publique : Les incohérences d’une administration publique sans vision prospective

Publié le mercredi 22 mars 2006 à 07h32min

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Selon les auteurs qui ouvrent le débat ci-après, l’application de la loi portant réforme globale de l’Administration publique au Burkina Faso a mis à nu des insuffisances, des discriminations et des contradictions manifestes par rapport à la promotion des agents publics.

L’administration publique désigne les entités ou organismes relevant de la puissance publique et investis d’une mission d’intérêt général. Du point de vue économique, les administrations et, en particulier, les administrations publiques se caractérisent par la production de biens et services non marchands (santé, éducation, sécurité...) destinés à la collectivité.

Au sens juridique du terme, l’administration publique est une personne morale chargée de la mise en œuvre de la politique de l’Etat. A ce titre, une administration publique dynamique et efficace est un vecteur de croissance et de développement, comme le soutiennent les théories de la croissance endogène (R. Lucas, R. Barro, Romer...).

Pour ces auteurs, la recherche et l’innovation technologiques, la formation, la santé et l’éducation sont les sources de l’augmentation continue de la productivité.

Le retard économique de l’Afrique s’explique en grande partie par la faiblesse du capital humain, c’est-à-dire la masse critique de populations formées et compétentes, dotées d’une expertise et capables de concevoir et de mettre en œuvre des politiques efficaces pour impulser toute une Nation sur le chemin d’une croissance durable.

La théorie du capital humain a abouti à la conclusion que le développement est possible même pour les pays à faibles dotations en ressources naturelles comme le nôtre pour peu que les politiques placent au centre de leurs préoccupations la valorisation et l’investissement en capital humain. Instrument de la politique de l’Etat, l’administration publique est le principal facteur de création du capital humain.

A l’inverse, un capital humain suffisant constitue un tremplin pour l’administration publique dans la poursuite des missions qui lui sont assignées par les gouvernants. Cependant, le dynamisme et l’efficacité de l’administration publique sont liés à sa flexibilité et à sa capacité de s’adapter au contexte socioéconomique en perpétuelle mutation.

Au Burkina Faso, l’administration publique a fait l’objet d’une Réforme globale depuis 1998. Huit (08) ans après la mise en œuvre de cette réforme, les objectifs de dynamisme et de compétence de l’administration sont loin d’être atteints. A contrario, l’application de cette loi a mis a nu des insuffisances criardes, des discriminations et des contradictions manifestes, notamment par rapport à la promotion des agents publics où l’on assiste à une marginalisation, voire un rejet des diplômés de troisième cycle.

Une condition majeure indispensable à la création d’une administration efficiente et opérationnelle est l’instauration du principe de la méritocratie comme la base du management, en favorisant une promotion équitable autant que possible. C’est autour de ce principe que l’on peut obtenir l’adhésion de tous et la conjugaison des compétences individuelles pour le rayonnement de la Fonction publique burkinabè.

Malheureusement, cette valeur cardinale propre à toute organisation en quête permanente d’efficacité semble être ignorée dans l’application de la Loi N°013/98/AN du 28 avril 1998 portant régime juridique applicable aux emplois et aux agents de la Fonction publique.

Des conditions de la promotion des agents

En effet, aux termes de cette loi fixant les conditions de la promotion des agents publics, un agent de l’Etat recruté avec un niveau CEPE (1) ou BEPC (2) non titulaire d’un autre diplôme peut accéder à la catégorie supérieure A1, en réussissant aux concours successifs, au vu seulement de son ancienneté. Cette même Loi stipule que la catégorie A1 correspond aux recrutements sur concours direct de niveau DEA (3), DESS (4), Doctorat ou tout autre diplôme reconnu équivalent.

Cependant l’on constate, depuis l’application de la Loi, que les agents publics de catégorie B1 (5), ayant acquis par la suite la Maîtrise et qui, de ce fait, ont pu suivre des cours de troisième cycle (DEA, DESS, Doctorat...) financés par les bailleurs multilatéraux (FMI (6), Banque mondiale...) et bilatéraux ne peuvent obtenir une valorisation de leurs diplômes à l’issue des stages à l’extérieur.

Dès les premières années de la mise en œuvre de la Loi, les agents publics de catégorie B ayant satisfait aux conditions d’ancienneté et titulaires d’une Maîtrise, se sont vus refuser de concourir aux tests de recrutement pour les stages à l’extérieur. Ils doivent obligatoirement passer par les écoles professionnelles nationales.

Très tôt, l’Administration s’est rendu compte de l’absurdité de la mesure, mais a opté d’utiliser des méthodes subtiles pour empêcher le reclassement des agents concernés. En effet, la Loi distingue trois (03) types de stages (formation, spécialisation et perfectionnement) et seuls les stages de formation donnent droit à reclassement.

En effet, compte tenu de la lourdeur administrative, de concert avec le ministère de la Fonction publique qui leur délivre une autorisation de sortie du territoire, les stagiaires sont amenés à partir en stage sans la prise effective de l’arrêté de mise en position de stage. Au retour de stage, ils se rendent compte qu’ils ont été mis en position de stage de spécialisation et non de formation.

A partir de ce moment, ils ne peuvent faire valoir leurs droits au reclassement en catégorie A. Curieusement, certains agents qui ont pu obtenir leur mise en position de stage avant de partir ont pu éviter cet écueil bien que leur formation présente les mêmes caractéristiques.

Face aux requêtes des agents lésés, le ministère de la Fonction publique justifie ces dispositions discriminatoires et injustes par le souci de la maîtrise de la masse salariale, la gestion rationnelle des effectifs et le souci d’équité dans la promotion des agents publics.

Ces raisons s’écroulent comme des châteaux de cartes face à la moindre analyse. Annuellement, plus de 1700 agents publics sont recrutés par voie de concours professionnels pour être formés dans les écoles professionnelles nationales. En 2005 par exemple, l’effectif des admis aux concours professionnels est de 1724 agents exactement.

Seulement une vingtaine d’agents publics sont admis à des stages à l’extérieur dans des Universités ou Grandes écoles africaines et européennes, à l’issue desquels ils sont titulaires de DESS, DEA,... Il faut noter que les diplômes délivrés par les écoles professionnelles nationales qu’on équivaut avec complaisance à un diplôme de troisième cycle ne sont pas reconnus par le CAMES (7), contrairement aux diplômes acquis à l’extérieur.

L’incidence financière liée au reclassement de la vingtaine d’agents publics représente moins de 2% des charges salariales induites par les concours professionnels annuellement. Les impératifs budgétaires ne peuvent alors justifier le refus de reclassement de ces diplômés.

On s’évertue à décourager les candidats à la formation

La rationalisation de la gestion des agents publics ne peut non plus expliquer ces dispositions.

Il est récurrent que l’administration accuse un déficit de personnel dans la quasi-totalité des spécialités. Les agents publics formés à l’extérieur ne sont pas de trop et ont une valeur ajoutée et une expertise certaines à apporter à l’administration.

Le leitmotiv du développement au plan mondial est le renforcement des capacités des administrations et les partenaires au développement l’ont compris, d’où les programmes de formation mis à la disposition des pays en développement. C’est aberrant qu’au Burkina Faso contrairement à la vision mondiale, on s’évertue à décourager les candidats à la formation et à rejeter les agents formés par les partenaires au développement.

L’administration évoque également le souci d’équité pour justifier le refus de reclassement des diplômés de troisième cycle. Mais concrètement, de quelle équité s’agit-il ?

Le reclassement de ces diplômés crée une injustice à l’égard de qui ? Il faut savoir que les agents admis aux stages à l’extérieur sont sélectionnés sur la base de la Maîtrise (BAC +4) à partir d’un test ouvert à tous ceux qui sont intéressés, contrairement à l’affirmation de l’Adminsitration. Cela est vérifiable. Seule une très faible minorité d’agents de catégorie B peuvent prétendre subir ces tests au regard du diplôme exigé pour concourir.

La preuve est que chaque année, l’Administration réserve 3 ou 4 places dans certaines spécialités dans les concours professionnels de catégorie A aux agents de catégorie B titulaires d’une Maîtrise. Il revient régulièrement que ces quotas ne sont jamais atteints pour manque de candidats.

Alors les diplômés de troisième cycle créent une injustice à l’égard de qui ? A l’égard des agents de catégorie B qui ne remplissent pas les conditions de diplôme pour aller aux stages à l’extérieur ?

De plus si par souci d’équité, les agents qui n’ont ni BAC, ni Maîtrise peuvent accéder à la catégorie A1 au vu de leur ancienneté, il est inconcevable que ceux qui ont acquis au minimum un DESS, Doctorat ou DEA... (acquis en cours de carrière à la suite d’une mise en position de stage dûment faite) et qui ont la même ancienneté en soient exclus. Il est très clair que ce sont les diplômés de troisième cycle qui subissent l’injustice et non le contraire.

L’on se rappelle encore la levée de boucliers que le projet de réforme de l’Administration a créée au niveau des organisations syndicales en 1998. A l’époque, l’argument de l’Administration était sa volonté de bâtir une Fonction publique efficace, productive par la récompense de l’excellence.

Selon elle, l’atteinte de cet objectif passe par le rehaussement du niveau de recrutement des concours professionnels, chose à laquelle les syndicats se sont opposés. Il est contradictoire de constater aujourd’hui que les diplômés de troisième cycle sont rejetés par l’Administration.

C’est une évidence que le rejet dont les diplômés de troisième cycle sont l’objet est antinomique avec un objectif de valorisation du capital humain et la promotion d’une expertise nationale que l’on entend dans les discours et qui figurent dans les orientations et les préoccupations de certains ministères.

A la lumière de cette analyse, le refus de reclassement des agents publics ayant suivi des stages à l’extérieur est simplement discriminatoire, injuste et sans fondement.

Cette situation risque de porter un préjudice énorme à l’Administration et à la Nation entière à moyen ou long terme. Au moment où d’autres pays encouragent la formation et mènent des politiques incitatives pour empêcher "Ia fuite des cerveaux", la politique de gestion des carrières au Burkina est une aberration.

Il est temps de rectifier le tir, d’autant plus que le Décret N°98-377/PRES/PM/MFPDI du 15 septembre 1998, partie intégrante de la Réforme globale de l’Administration publique, énonce clairement la volonté du gouvernement de promouvoir l’expertise nationale, facteur de compétitivité et de croissance. L’erreur est humaine, mais refuser de corriger l’erreur et perpétuer l’injustice qui en résulte est inacceptable.

Un groupe d’agents publics diplômés de troisième cycle

Notes : 1. Certificat d’études primaires élémentaires 2. Brevet d’études du premier cycle 3. Diplôme d’études approfondies 4. Diplôme d’études supérieures spécialisées 5. Niveau BAC + 2 ans 6. Fonds monétaire international 7. Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur

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Vos commentaires

  • Le 22 mars 2006 à 17:38, par Yelsida En réponse à : > Fonction publique : Les incohérences d’une administration publique sans vision prospective

    Ce article est la bienvenue, car elle tire la sonnette d’alarme face une sclérose de notre fonction publique qui refuse la plus value qu’apporte les diplômés formés à l’extérieur dans des pays technologiquement plus avancés que nous. On semble ignoré que ces diplômés bénéficient de l’aide extérieure pour se former afin de contribuer au développement de ce pays suite à des protocoles d’accord de coopération signé par notre pays. Sur la base de considération mesquines et fallacieuses du genre on recherche une certaine équité on pénalise ceux qui ont réussi par leur dynamisme à obtenir ces formations. Privant ainsi notre administration de l’apport technologique de ces cadres.
    Pires certaines personnes formées à partir de financements nationaux se voient refuser la reconnaissance de leur nouveau statut. Ce qui est très contradictoire si l’on se réfère aux priorités dégagées par le président Blaise COMPAORE qui entend valoriser le capital humain et développer l’expertise nationale.
    J’espère que le Ministre de la fonction publique qui a mon avis est une personnalité engagé pour la modernisation et l’efficacité de l’administration aura le courage de revoir cette loi 13 rétrograde, qui à mon avis constitue un boulet en ce qui concerne la valorisation des personnels par la formation et le développement de l’expertise nationale.

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