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CENI : Le prix de l’inculture et de l’inconséquence politique

Publié le mardi 14 mars 2006 à 08h26min

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Le 27 février dernier, l’Assemblée nationale ajoutait un troisième alinéa à l’article 265 qui concerne les dispositions transitoires du Code électorale. Cet ajout permet aux démembrements de la CENI de poursuivre leurs activités dans le cadre d’une reconduction régularisée. L’opposition parlementaire a bruyamment manifesté lors de l’adoption de cette loi. On s’attendait donc à ce qu’elle épuise toutes les voies de recours. Qu’en est-il aujourd’hui ?

On le sait, le 27 février dernier, l’Assemblée nationale a adopté une loi modificative concernant deux articles du Code électoral : les articles 34 et 265.
Des groupes parlementaires tels que le PDP, le groupe Justice et démocratie, s’étant retirés de l’hémicycle ce jour-là pour manifester leur refus de cette loi modificative, on s’attendait à ce qu’ils donnent une suite à leur attitude.

Ainsi, au-delà des menaces de boycott que les uns et les autres disséminaient qui, pour tout observateur avisé, n’étaient que la poudre aux yeux, au-delà des déclarations d’occupation de la rue qui, à l’évidence, étaient de l’auto-chatouillement, l’on était en droit de s’attendre à ce que tous les élus contestataires fassent bloc pour engager un recours auprès du Conseil constitutionnel.

La loi est promulguée !

Dans notre dernière édition (Bendré n° 381 du 6 mars 2006), dans un article intitulé « Il faut sauver la République », nous écrivions : « Au moment où nous mettions sous presse, il semblerait qu’aucun recours n’avait encore été déposé. Pire, nous nous sommes laissé dire que certains élus pensaient que c’est après la promulgation de la loi qu’ils peuvent déposer un recours ; le moins que l’on puisse dire -si cela s’avérait- c’est qu’il y a non seulement une ignorance des textes mais aussi et surtout une constipation intellectuelle ! »
Et cela s’est avéré !

En effet, la loi de validation adoptée le 27 février a été promulguée une semaine après, soit le mardi 7 mars, par le chef de l’Etat, le Président Blaise Compaoré.
On ne peut que s’étonner de ce que les élus qui prétendent vouloir formuler un recours en contrôle de constitutionalité auprès du Conseil constitutionnel, pour vérifier si la loi de validation est conforme à la Constitution, ne l’aient pas fait dès le lendemain de l’adoption de la loi ou tout le moins dans les 72 heures suivantes. Et pourtant l’évidence crève les yeux ! Dès qu’une loi est promulguée, il n’y a plus de possibilité de saisine du Conseil constitutionnel.

D’ailleurs, en principe, à partir du moment où avant le 27 février les élus contestataires avaient la quintessence des débats et savaient pertinemment que la loi allait être votée, ils pouvaient saisir déjà, s’ils le voulaient, le secrétariat général du Conseil constitutionnel pour le prévenir que si la loi est adoptée, ils entendent la déférer auprès du Conseil. Voilà autant de procédures assez évidentes que les élus contestataires n’ont pas exploitées.

Au moment où nous écrivions ces lignes (10 mars 2006), une requête a été élaborée (voir encadré ci-contre), mais n’a même pas le plein des 22 signatures qu’il faut pour être déposée.
Mais le comble ou le pire, c’est que les élus du PDP/PS et du groupe Justice et démocratie laissent croire qu’ils ont encore une possibilité de saisine parce que, selon eux, le texte ne serait pas encore revenu au Conseil des ministres. Ce qui relève d’une aberration inqualifiable !

Une loi n’a pas besoin de revenir en Conseil des ministres pour être promulguée ! Il appartient seulement au secrétariat général du gouvernement d’en établir le texte dans les formes prescrites, de faire contresigner la loi par le Premier ministre et le ou les ministres concernés et enfin de la soumettre à la signature du président. Voilà encore une procédure toute simple dont la connaissance ne nécessite pas de sortir de la Sorbonne, d’Oxford, de Havard et encore moins de la cuisse de Jupiter !

Quelle opposition !

En vérité quand nous parlions de « méconnaissance des textes » ou d’une « constipation intellectuelle », nous étions loin et même très loin du compte.
Comment comprendre que des élus qui ont en leur sein des compétences pluridisciplinaires, qui ont la possibilité de faire appel en consultation à des constitutionnalistes, tombent dans tous ces travers ?

La volonté y était vraiment de faire une requête ou c’était simplement de la fanfaronnade, de la fumigation pour occulter le fait qu’ils ont encore empoché chacun trois millions comme chaque année malgré les récriminations de l’opinion ? Ou encore est-ce simplement la résultante d’une inculture politique, pour ne pas faire l’insulte de dire d’une misère intellectuelle ?

Tous ces élus sont quand même issus de formations politiques (le PAREN de Laurent Bado, la CPS de Nongma Ernest Ouédraogo, l’UNIR/MS de Me Bénéwendé Sankara , le PDS de Philippe Ouédraogo, l’UNDD de Me Hermann Yaméogo, la CDS de Djédjouma Sanon, le PDP d’Ali Lankoandé, Ram Ouédraogo...) qui ont le verbe haut et la critique aiguisée. Ces formations qui n’ont pas su mettre le doigt sur le non-respect et les insuffisances du Code électoral sont aujourd’hui dans l’incapacité de faire une requête en contrôle de constitutionnalité.

Nous n’aurons pas l’outrecuidance de dire que c’est une opposition benêt. Néanmoins bien obligé est-on de se questionner sur leur mission ! Et en paraphrasant le sociologue algérien Liess Boukra on peut dire qu’un parti politique est une organisation durable qui a pour objet de susciter l’adhésion du plus grand nombre afin de permettre à ses dirigeants de prendre et d’exercer le pouvoir et non pas simplement de l’influencer. Au Burkina, nous avons des partis dont les dirigeants ne manifestent aucune volonté de s’emparer et d’exercer le pouvoir.

Un parti politique est aussi un "laboratoire d’idées", de la fabrication du sens diffus de l’"idéologie" jusqu’à l’alimentation du débat politique en passant par l’élaboration de programmes politiques. Combien de partis politiques, au Burkina, possèdent une école de formation de cadres, assurent des séminaires au profit de leurs militants, éditent un quotidien et une revue et disposent d’une structure d’études et de recherches ? Enfin, un parti est aussi un appareil de socialisation politique qui diffuse des valeurs dans l’ensemble de la société.

Au Burkina, combien de partis politiques assument-ils cette fonction vitale d’intégration des citoyens au système politique ? Tout cela pour dire que nous avons très peu de partis politiques au Burkina. Il s’agit souvent de simples groupes d’intérêts agrégés autour de la personnalité d’un chef inamovible pour qui l’organisation est une fin en soi et non un moyen. De telles organisations politiques ne produisent pas d’idées. D’ailleurs, elles n’en ont pas besoin pour survivre.
La construction d’une vraie classe politique reste encore à faire !

Cela est désolant et dommageable dans un pays où, timidement, une citoyenneté -malgré nombre d’obstacles- tente d’émerger.
Désormais, il est établi qu’on peut contourner le plus facilement du monde les décisions du Conseil constitutionnel, que la séparation des pouvoirs est une vue de l’esprit.
Ainsi va le Burkina, jusqu’au jour...


Le collectif des députés
soussignés Ouagadougou, le 6 mars 2006
(Voir liste nominative ci jointe)
ASSEMBLEE NATIONALE
OUAGADOUGOU

A
Monsieur le Président
du Conseil constitutionnel
Ouagadougou

Objet : demande d’annulation de la loi n° 2006/AN du 27 février 2006 portant modification de l’article 265 de la loi n° 014/2001/AN du 3 juillet 2001 portant Code électoral

Monsieur le Président

Les députés soussignés ont l’honneur de venir très respectueusement solliciter du Conseil constitutionnel l’annulation de la loi n° 2006/AN du 27 février 2006 portant modification de l’article 265 de la loi n° 014/2001/AN du 3 juillet 2001 portant Code électoral pour inconstitutionnalité.

En effet, par décision n° 2006-001/CC/EM du 2 février 2006, le Conseil constitutionnel a annulé l’arrêté n°2005-055/CENI/SG du 13 décembre 2005 du Président de la CENI portant reprise des activités des démembrements de la CENI pour violation de la loi n°014-2001/AN du 3 juillet 2001 portant Code électoral.

Le 27 février 2006, la majorité parlementaire a validé cet arrêté annulé par la loi n° 2006/AN. Cette validation est inconstitutionnelle pour les motifs ci-après : une loi de validation est une intervention du législateur qui, par un texte modifiant rétroactivement l’état du droit, met un acte juridique à l’abri d’un risque de nullité. La loi de validation contestée modifie rétroactivement l’article 265 du Code électoral. Or, de théorie juridique bien établie, une loi de validation est une ingérence du législateur dans la fonction juridictionnelle, donc une mise en cause du principe de la séparation des pouvoirs. Sans doute, elle peut répondre à de solides raisons d’ordre pratique et se révéler fort utile pour sortir de situations inextricables ; mais elle peut n’être, comme disent les auteurs, qu’ « un pied de nez » au pouvoir judiciaire et ne viser qu’à préserver des intérêts particuliers. C’est précisément le cas de cette loi de validation qui attente à la séparation des pouvoirs selon laquelle, en principe, « il n’appartient ni au législateur ni au gouvernement de censurer les décisions des juridictions, d’adresser à celles-ci des injonctions, et de se substituer à elles dans le jugement des litiges relevant de leur compétence ». Mais exceptionnellement, la loi de validation est admise sous quatre conditions :

Première condition : elle doit respecter les décisions de justice devenues définitives ou passées en force de chose jugée ; cela veut dire qu’elle ne peut revenir sur des décisions prises par des juridictions statuant en dernier ressort. Aussi, le Conseil constitutionnel français, dont s’inspire le Conseil constitutionnel burkinabè, a déclaré dans sa décision n°80-119-DC du 22 juillet 1980 que « le législateur a, pour des raisons d’intérêt général, la faculté d’user de son pouvoir de prendre des dispositions rétroactives afin de régler les situations nées de l’annulation d’un acte administratif ; mais il n’a pas le pouvoir de censurer les décisions des juridictions et, particulièrement, de valider un acte annulé ». Cette interdiction a été rappelée dans sa décision n°2005-531-DC du 29 décembre 2005 lors de son contrôle de constitutionnalité de la loi de finances rectificative de 2005 (« une mesure de validation qui porte atteinte au principe de séparation des pouvoirs est inconstitutionnelle »).

Le respect des décisions de justice devenues définitives signifie qu’une validation ne peut intervenir que dans les procédures pendantes, ou porter sur des actes pris sur le fondement d’un acte ayant fait l’objet d’une annulation sans avoir été eux-mêmes annulés par une décision de justice devenue définitive.

L’arrêté du président de la CENI ayant été annulé par une juridiction statuant en premier et dernier ressort, la présente loi de validation tombe, frappée d’inconstitutionnalité manifeste ;

Deuxième condition : elle doit se fonder sur un motif d’intérêt général suffisant, ou d’impérieux motifs d’intérêt général. Toutes les juridictions soulignent cette condition :
le Conseil constitutionnel français dans ses décisions successives du 22 juillet 1980 susmentionnée, du 24 juillet 1985, du 29 décembre 1988, du 19 novembre 1997, du 29 décembre 1999, et du 7 février 2002 ; il retient le critère du motif d’intérêt général suffisant en précisant à l’occasion la notion d’intérêt général ;
le Conseil d’Etat français dans plusieurs arrêts rendus le 23 juin 2004 ; il retient le critère d’impérieux motif d’intérêt général ;
la Cour de cassation française dans son arrêt Association ETRE enfant au Chesnay c/ Terki du 24 avril 2001 ; elle retient aussi le critère d’impérieux motif d’intérêt général.

La validation législative de l’arrêté du président de la CENI annulé visant l’intérêt électoral du parti gouvernemental, la loi de validation tombe encore frappée d’inconstitutionnalité manifeste.

Troisième condition : elle doit respecter le principe de non-rétroactivité de la loi pénale ; cette condition ne présente aucun intérêt dans l’actuel débat.

Quatrième condition : elle doit être strictement limitée dans sa portée, c’est-à-dire, ne pas purger l’acte en cause de toutes ses irrégularités possibles ; ce principe, énoncé par le Conseil constitutionnel français dans sa décision n° 95-363/DC du 11 janvier 1995 sur la loi relative au financement de la vie publique (« le législateur ne peut prendre des dispositions rétroactives pour régler des situations nées de l’annulation d’une décision qu’à condition de définir strictement leur portée qui détermine l’exercice du contrôle de la juridiction administrative »), a été rappelé par la décision n°99-422/DC du 21 décembre 1999 sur la loi de financement de la sécurité sociale pour 2000 (« une validation ne saurait avoir pour effet, sous peine de méconnaître le principe de la séparation des pouvoirs et le droit à un recours juridictionnel effectif, d’interdire tout contrôle juridictionnel de l’acte validé ») et par la décision n°2002-458/ DC du 7 février 2002 sur la loi organique portant validation de l’impôt foncier sur les propriétés bâties en Polynésie française (« un acte annulé ne peut, par le truchement d’une validation, échapper à tout contrôle juridictionnel » ).

La présente validation législative excluant tout recours juridictionnel contre l’arrêté du Président de la CENI annulé, la loi de validation tombe encore et encore frappée d’inconstitutionnalité manifeste.

Pour tous ces motifs de droit, les députés requérants demandent qu’il plaise au Conseil constitutionnel de déclarer la loi de validation inconstitutionnelle.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, l’expression de notre respectueuse et déférente considération.

Pabeba Sawadogo
Bendré

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