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Conflit au Darfour : Une hypocrisie internationale

Publié le lundi 13 mars 2006 à 07h36min

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L’intention exprimée par l’Union africaine de transférer sa force au Darfour à l’ONU, faute de moyens financiers et logistiques, a mis à nu l’hypocrisie des différents acteurs sur le terrain. Hypocrisie d’abord au niveau précisément de l’institution panafricaine que dirige Alpha Omar Konaré.

Depuis l’élection de ce dernier, l’Union africaine avait démarré sur des chapeaux de roue, rompant ainsi avec un certain laxisme qui avait caractérisé le fonctionnement de la défunte OUA. On retiendra que Konaré fut le premier à mettre la nouvelle institution face à ses responsabilités. Pour ce faire, il avait élaboré un budget qui devait refléter les nouvelles ambitions de l’Afrique de compter d’abord sur ses propres forces.

Malheureusement, Alpha Omar Konaré s’est heurté aux mêmes démons qui ont creusé la tombe de l’OUA : les querelles de préséance au sein de la nouvelle institution. L’on se souvient du rappel à l’ordre adressé à Konaré par non seulement Obasanjo, président en exercice de l’UA, mais également par presque l’ensemble des chefs d’Etats membres, lorsque ce dernier avait essayé d’exercer ses prérogatives institutionnelles en voulant nommer un représentant spécial de l’UA pour le Togo en crise. Ce désaveu public n’était pas de nature à encourager M. Konaré à prendre de nouvelles initiatives.

Aujourd’hui, l’Union africaine, toute honte bue, ne peut que jeter l’éponge face à un problème qui est le sien avant d’être celui des autres : la résolution de la crise du Darfour qui a fait, selon les estimations internationales, près de 300 000 morts et plus de 2 millions de déplacés et de réfugiés. Face à l’ampleur d’un tel désastre humanitaire, face à cette plaie qui devait faire honte à l’Afrique, notre continent n’a trouvé mieux que d’envisager de refiler dans 6 mois, la pieuvre à l’ONU. L’habitude étant une seconde nature, l’Afrique renoue ainsi avec le réflexe de l’assistanat et de la politique de la main tendue.

Comment tout un continent, dont les différents dirigeants se livrent souvent à leur sport favori, la course aux armements pour se maintenir au pouvoir, peut-il fonder son impuissance à faire face à une si grave crise qui ne fait pas son honneur, sur l’argument du manque de moyens ? La réaction de l’Europe face au drame de l’ex-Yougoslavie devait servir d’exemple à l’Afrique. Pour la commission de l’Union africaine, le vin de la démission étant tiré, pourquoi ne pas le boire jusqu’à la lie, surtout face à un drame humainement insupportable et qui exige une réaction rapide ?

D’où sa proposition de confier le maintien de la paix au Darfour à l’ONU. Une perspective que rejettent catégoriquement et énergiquement les autorités de Khartoum. Suprême hypocrisie, pour se justifier, les dirigeants soudanais ne s’embarrassent pas des exigences de la vérité historique pour douter de la neutralité des Casques bleus. Pour Khartoum en effet, les Casques bleus, bien que travaillant sous la bannière de l’ONU, sont formés de contingents de pays qui ne seraient pas tous favorables au Soudan.

En réalité, derrière cet argument qui ne résiste pas aux expériences du passé, se cache la mauvaise foi des autorités de Khartoum. En dépit des reproches qu’on pourrait faire aux Casques bleus, parfois condamnés à la défensive, on ne saurait douter de leur neutralité sur les différents théâtres d’opérations. Maintes fois, les Casques bleus ont eu à payer le plus lourd tribut de leur présence sur le terrain. A priori, les Casques bleus n’expriment pas leurs états d’âme et ne sont pas les caisses de résonnance idéologique de leurs pays d’origine.

L’attitude des autorités de Khartoum obéit plus à d’autres motivations qu’à leur orgueil souverainiste. La défense de la souveraineté nationale, derrière laquelle s’abritent beaucoup de régimes africains, a toujours été un alibi pour pratiquer la malgouvernance. Cette notion de souveraineté devient floue dès lors qu’on n’a même pas les attributs de sa souveraineté, et quand on est obligé de faire des courbettes devant cette même communauté internationale pour faire face à des arriérés de salaires ou pour faire partie du programme PPTE.

En fait, l’on peut se demander si le régime soudanais est réellement soucieux de voir ce drame résolu. On oublie souvent, par ignorance, mais surtout par calculs politiques, que ce drame est surtout religieux et ethnique, et met aux prises musulmans du Nord et chrétiens du Sud, Arabes et Noirs. D’ailleurs, comme on le constate, depuis les accords intervenus entre le Nord et le Sud, et qui ont abouti à la formation d’un gouvernement d’union nationale, aucun résultat tangible n’est constaté en matière d’amélioration du sort des Soudanais du Sud.

Les autorités de Khartoum semblent avoir transféré les problèmes du Sud au Darfour. La rhétorique habituelle et cette fuite en avant qui consistent à refuser la qualification de génocide au drame soudanais sont regrettables. Manifestement, ce sont les milices Janjawid arabes, aidées par les autorités de Khartoum, qui s’en prennent aux tribus noires.

Le camouflet essuyé par le présidant Omar El-Béchir, le prétendant institutionnel à la présidence en exercice de l’UA (confiée à Denis Sassou N’Guesso), était destiné à l’inviter à s’investir à fond dans la résolution du dossier du Darfour afin d’accéder à cette charge en 2007.

Mais, il faut reconnaître que si les autorités soudanaises persistent dans leur entêtement et continuent à défier tout le monde, c’est parce qu’elles bénéficient de certaines complicités internationales. Tout récemment, Condoleezza Rice, la secrétaire d’Etat américaine, a déclaré que la situation au Darfour a désormais pris l’ampleur d’un génocide, et que plus que de l’humanitaire, cette région avait besoin d’une intervention militaire. Malheureusement, ce n’est pas l’avis d’autres pays occidentaux.

En fait, ce qui se passe dans ce pays est le reflet de la politique des pays occidentaux sur fond de concurrence des firmes pétrolières, impatientes de s’engager dans la bagarre des barils. Dans ces conditions, l’Occident peut toujours se livrer à son jeu favori de l’éternel débat sur la définition du génocide, de même qu’il l’a fait au Rwanda. Dans ce pays, plutôt que de prévenir, on a préféré attendre que le mal devienne incurable. Dans ces conditions, la paix n’est pas pour demain au Soudan, et El-Béchir peut miser sur l’éternité de l’impunité pour mettre le Darfour à feu et à sang alors que toutes les formes d’ingérences, qu’elles soient militaires ou humanitaires, trouvent aujourd’hui, leur justification.

Jusqu’à quand le gouvernement soudanais va-t-il bénéficier de l’irresponsabilité de ceux qui sponsorisent cette guerre qui, de toute évidence, aura des répercussions dans toute la région ? Toujours est-il que les dirigeants africains ne peuvent aujourd’hui prétexter aucun péché de jeunesse pour transformer l’UA en une sorte de coquille vide. Konaré leur avait montré la voie du salut. Il a été, hélas, désavoué.

La Pays

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