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Bénin : Yayi Boni ou la surprise du chef

Publié le lundi 13 mars 2006 à 08h04min

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Yayi Boni

La voix ferme, mais un peu nasillarde, sans doute sous l’effet de la fatigue, de Sylvain Nouwatin, président de la Commission électorale nationale autonome (CENA), a résonné tard dans la nuit du 11 au 12 mars pour livrer les résultats provisoires et partiels de la présidentielle du 5 mars dernier.

Ces résultats, de 71% de bulletins dépouillés, soit les 3/4 de l’ensemble des voix, donnent l’arrivée dans l’ordre suivant, en attendant les définitifs de ce premier tour :
- Boni Yayi : 31,9%
- Adrien Houngbedji : 25,2%
- Bruno Amoussou : 19%
- Lehady Soglo : 8,5%, soit donc pour ce quarté 83,5% du corps électoral, les 22 autres candidats se partagent le reste, car à l’évidence, cette tendance devrait se confirmer.

Les pronostics qui avaient donné, dans le désordre cette arrivée, et surtout la présence du "nouveau" ou estampillé tel, Boni Yayi, présent au second tour ont donc vu juste.

Voilà l’ex-patron de la Banque ouest-africaine pour le développement (BOAD) qui va croiser le fer avec Adrien Houngbedji, le président du Parti du renouveau démocratique (PRD). Qui de Yayi ou d’Hounbedji s’installera le 7 avril prochain au palais de la Marina ? Comme toujours en pareil cas, l’entre 2 tours est propice aux grenouillages des états-majors, au scellement d’accors secrets, aux propositions de maroquins ou de fauteuils de direction.

Ce duel du second tour opposera le vétéran Hounbedji, qui a été de toutes les présidentielles, au "bleu" Boni Yayi, qui est à sa première tentative. Boni Yayi, c’est d’abord un pur produit de l’etablishment financier international. Economiste, banquier, Yayi est l’homme des chiffres de la haute finance au parcours finalement classique pour ce genre de responsable : Université, bureaux confortables, salaire conséquent, belle demeure... A ce second tour, même s’il est sans parti, le jeu des alliances pourrait être en sa faveur.

Il y a, par exemple, de petits partis qui l’avaient soutenu dès le départ, tel le Parti national ensemble (PNE) d’Albert Tevoedjeré, très influent dans l’ouest du pays. Mais une grande inconnue demeure pour lui : bénéficiera-t-il du soutien de ceux qui pourront le faire roi, en l’occurrence Bruno Amoussou ou Lehady Soglo ? Pour de nombreux Béninois, un "oui, mais..." de Soglo est dans l’univers du possible en sa faveur ; par contre un éventuel ralliement d’Amoussou n’est pas encore envisageable.

En effet, le fils de Nicéphore Dieudonné Soglo, qui n’a pas fait le plein de voix dans son fief fon, pourrait prendre fait et cause pour Yayi. Ce qui serait un "apport à un protégé de l’actuel maire de Cotonou". Yayi n’a-t-il pas été l’un des conseillers économiques de Soglo, et n’est-ce pas ce dernier qui l’a fait accéder à la tête de la BOAD en 1996 ? Il reste maintenant à Léhady à négocier les dividendes d’un tel marché, et surtout à obtenir le feu vert de Soglo père.

Quant à Amoussou, son soutien à Yayi paraît improbable, car il est proche de Kérékou, qu’il a aidé maintes fois à avoir des majorités parlementaires à l’hémicycle. D’aucuns même pensent que Kérékou œuvrera pour faire échec à Yayi par Amoussou interposé (en le poussant à s’allier à Hounbedji), le "Caméléon" voyant dans une victoire de Yayi, celle de Nicéphore Soglo par procuration, le second étant considéré comme le mentor du premier. Mieux, ce monsieur ronge son frein depuis 1991, car il n’a jamais obtenu plus de 17% des voix, et c’est quand même rageant d’être un éternel 3e ; mais la politique étant le domaine par excellence des revirements, le leader du PSD pourrait bien marchander ses voix et se retrouver à la primature par exemple.

Mais quelles sont les chances d’Adrien Hounbedji à ce second tour ? Si la politique ne relevait pas de l’improbable, mais respectait les règles de préséance ou plutôt le droit de devancier, le leader du PRD serait le prochain locataire du palais de la Marina. Des précédents scrutins présidentiels (1991-1996) il est toujours arrivé 4e ou 3e. Avec la mise à l’écart de Kérékou et Nicéphore Soglo, le leader du Parti des "Tchoco-tchoco" pourrait être le prochain président des Béninois.

Certes, il est fragilisé par de nombreux départs de son Parti, qui ont pioché dans son fief (Ouemé et Plateau),mais de faiseur de roi, il passe aujourd’hui pour celui qui peut être président donc connaissent bien les "alliances utiles" véritables marchés-pied vers la présidence. Il peut ainsi compter sur Bruno Amoussou, l’autre habitué à ce genre de scrutin.

Une Union plus que probable d’autant qu’aux yeux de ces 2 vieux briscards de la politique béninoise, l’arrivée impromptue de Yayi confine à presqu’une insulte au regard de leurs années de crapallouitage dans l’arène. C’est bien connu, la menace d’un ennemi commun unit toujours des adversaires, quitte à ce qu’ils réglent après les contentieux pendants, sans oublier que Me Houngbedji aussi pourrait compter sur les voix de Léhady Soglo, qui, à l’heure actuelle, n’a pas d’état d’âme, mais pactise avec celui qui fera son affaire.

Même second à ce premier tour, Me Adrien Houngbedji a donc toujours ses chances. Au-delà de ce constat mathématique, ce premier résultat augure peut-être l’avènement d’un tournant politique dans l’ex-Dahomey. L’avantage de Boni Yayi s’explique, car pour de nombreux Béninois, il est l’homme de la rupture, celui qui n’est pas comptable de la gestion du pays au cours de ces 15 dernières années. Lui-même a battu sa campagne sur sa "virginité politique" et sur ses réalisations pour le Bénin alors qu’il dirigeait la BOAD. Sans machine électorale, pourra-t-il confirmer cet écart qu’il a creusé avec son challenger, Hounbedji ? Pour les politologues, celui qui est resté 10 ans comme patron de cette banque bénéficiera, au second toujours, de ce préjugé favorable, à savoir qu’il est un homme neuf, qui opérera un profond changement dans le pays, englué, comme on le sait, dans un marasme économique.

Attention cependant ! Comme sous d’autres cieux africains, le vote régionaliste au Bénin est une donnée constante, et ce serait vite aller en besogne que d’affirmer que Boni Yayi est sur un boulevard. Tout peut bien se jouer dans un mouchoir de poche à ce second tour, et même un remake du récent scénario à la libérienne (entre George Weah et Ellen Searleaf) pourrait avoir lieu au Bénin, avec à la clef une seconde surprise (désagréable) cette fois pour Yayi. Autant dire que le jeu reste entièrement ouvert.

Espérons surtout que les lourdes hypothèques que constituent la menace d’annulation du "Caméléon" seront levées, de même que celles des candidats qui appellent à des manifestations pour dénoncer des fraudes. Le Bénin ne fera dans ce cas que confirmer sa tradition de culture démocratique, ce qui n’est pas rien dans une Afrique où les reculs en la matière ne sont pas rares, au regard des scrutins de pacotille, ou des putschs de tout genre qui y surviennent.

Observateur Paalga

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