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Séjour burkinabè de Louis Michel : "Il réjouit le pouvoir et laisse au peuple un parfum de négationnisme"

Publié le lundi 13 mars 2006 à 07h50min

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L’auteur de ce libre propos s’attelle à démontrer à Louis Michel, le commissaire européen au développement et à l’Aide humanitaire, que contrairement à ce qu’il dit, le Burkina Faso est bien un pays qui sème la cacophonie et cause l’instabilité en Afrique de l’Ouest.

Avant qu’il ne foule le sol du Burkina Faso, beaucoup se disaient que le commissaire européen Louis Michel, participant d’honneur au séminaire de programmation du 10e Fonds européen de développement (FED) de Ouagadougou, ne manquerait pas de s’y illustrer par des propos calculés, dont il a le secret. Ça n’a pas manqué : il l’a fait avec des mots forts qui, pardi, ne flattent pas innocemment l’orgueil des gouvernants en blessant la dignité des Burkinabé.

Recevant en larmoyant, la distinction de Grand officier de l’Ordre national, comme pour faire bonne mesure, il s’est fendu automatiquement en appréciations glorifiantes à l’endroit du régime, dont Sidwaya, dans son numéro du 09 mars 2006, nous donne une idée : « Le commissaire européen estime que le Burkina Faso a mérité d’abriter cette rencontre, compte tenu des efforts de démocratie et de bonne gouvernance et surtout du rôle de stabilisation que joue le Burkina Faso dans la sous-région ».

Qui est Louis Michel pour se croire investi du droit de mépriser de la sorte le ressentiment de tout un peuple qui a vu, au fil du temps, se dissiper son rêve de voir instaurée une véritable démocratie au Burkina Faso ? D’où lui vient la connaissance de ce pays pour profaner avec autant de désinvolture la mémoire de tous ceux qui sont morts directement ou indirectement par le fait de ce pouvoir et dont les ayants droit attendent, pour la plupart, que justice leur soit rendue afin de faire le deuil de leurs morts ?

Pourquoi Louis Michel n’est-il pas venu comme ambassadeur de l’Union européenne pour exprimer les regrets de l’institution face au charcutage de la Constitution, quand on sait que la plupart des pays européens n’ont pas manqué de condamner le régime Museveni en Ouganda pour ces mêmes faits ? Pourquoi ne pas l’avoir fait quand on sait surtout que pour faire gagner sans coup férir Blaise Compaoré, pouvoir et CENI (Commission électorale nationale indépendante) ont refusé l’informatisation contradictoire du fichier électoral, demandée à grands cris par l’opposition ? Voilà qui aurait dû retenir l’attention du commissaire, surtout qu’il sait que, devant les vices graves découverts avant l’élection présidentielle, l’opposition a exigé un audit contradictoire du fichier sans délai, ce qu’ont refusé et la CENI et le pouvoir, qui voulaient que l’élection se tienne envers et contre tout.

Louis Michel est-il donc frappé d’amnésie ? L’est-il au point d’oublier que l’atelier de validation du Plan national de bonne gouvernance (PNBG) pour la période 2004-2008, tenu du 18 au 20 septembre 2003 à Ouahigouya, a été émaillé par cette saillie mémorable de Roger Lemaire, représentant résident du PNUD au Faso : "Au stade actuel du processus, les PTF (Partenaires techniques et financiers) s’interrogent sur l’importance que les autorités du pays accordent au PNBG. En effet, dans le processus de formulation du second PNBG, on note l’absence de liens clairs entre le PNBG et l’arsenal de documents politiques déjà existants, tels les plans d’action sectoriels" (Hebdomadaire SAN FINNA n°227).

Et que dire de ces mots éloquents de M. Pierre Mazurelle, représentant-résident de la Banque mondiale au Burkina Faso, en partance du pays : "Le seul et vrai problème (du Burkina Faso), c’est de prouver que les ressources extérieures concourent effectivement à l’amélioration des conditions de vie des Burkinabé" (SAN FINNA n° 250). Depuis son départ, la gouvernance est tombée de Charybde en Cylla, comme en atteste le classement chronique du pays dans l’indice de développement du PNUD à l’avant-dernière place et comme en font foi moult rapports (Transparency international, Renlac...) qui font état de la pauvreté, de la corruption et de l’insécurité qui s’aggravent dans le pays. Ceci sans compter avec cette Opération Bayiri (rapatriement des Burkinabé de Côte d’Ivoire), que M. Olivier BIot a passé au scanner pour établir ceci : « L’aide réclamée au titre des rapatriés en général ne va pas aux réfugiés. Si on se livre à un rapide calcul concernant les prestations offertes aux réfugiés, qui ne doivent pas excéder 50 000 francs CFA rapportées aux rares bénéficiaires, 7172 en l’occurrence, on n’a guère engagé plus de 358 millions sur 8 milliards » (épiphénomènes burkinabè de la crise ivoirienne) .

Dans son accès panégyrique, le commissaire européen balaie tout cela d’un revers de la main. Il oublie de démêler le mystère qui fait que, selon le Père Balemans, les gouvernants ont 1 300 milliards de FCFA bien au chaud dans des banques suisses, et évacue allègrement le PDDEB, la Caisse nationale de sécurité sociale (CNSS)... et les scandales qu’ils drainent.

Par ironie du sort, Louis Michel est arrivé au Burkina Faso au moment même où une crise grave couve au sujet de cette validation parlementaire pirate qui prouve que le régime foule au pied ces règles capitales de la démocratie que sont l’autorité de la chose jugée, la séparation des pouvoirs. Le commissaire, pour sa part, imperturbable, déclare ex cathedra que le Burkina Faso est un modèle de démocratie, un pays bien gouverné. Décidément, le président Laurent Gbagbo n’a pas tort de s’offusquer de cette façon qu’ont certains héritiers de l’époque coloniale de considérer l’Afrique : "Quand on écoute les gens parler de nos problèmes, il y a parfois tellement d’arrogance. Je ne comprends pas que des gens puissent croire qu’ils aiment nos pays plus que nous, qu’ils connaissent nos pays plus que nous (Le FIGARO du 09/03/2006)".

Louis Michel, bien qu’il s’en défende, ne parle pas de l’Afrique comme quelqu’un qui la connaît ni comme quelqu’un qui l’aime sinon il n’insulterait pas autant, par ses paroles, l’intelligence de ses fils, allant jusqu’à affirmer sans sourciller que le régime burkinabé joue un rôle de stabilisation dans la sous-région. Parbleu ! Que fait-il du rôle de déstabilisation qu’il a joué (ainsi que le rapportent les enquêtes venant d’horizons les plus divers, même des Nations unies) au Liberia, en Sierra Leone, en Angola ? Que fait-il du rôle de « dessoucage » institutionnel qu’il joue depuis 2002 en Côte d’Ivoire, et mis à nu par tant de sources différentes et concordantes ?

Quelques exemples pour lui rafraîchir la mémoire : Marie-Roger Biloa, dans son éditorial dans AFRICA INTERNATIONAL n°305, juste après l’assassinat du journaliste Norbert Zongo et de ses trois compagnons, trouvera un titre, qui est resté célèbre, pour caractériser la gouvernance du chef de l’Etat : « Blaise comme le sang ». Le bien connu et regretté François-Xavier Vershave rapportera, notamment au sujet des guerres libérienne et sierra léonaise, dans le Monde diplomatique n°545 d’août 1999, ceci : "...des personnalités du gouvernement burkinabé ont bâti des fortunes à partir des commissions que leur ont payées Taylor, sur les exportations illégales des ressources naturelles du Liberia..."

En interne aussi, des journalistes, même avec doigté, ont mis le couteau dans la plaie. Dans le quotidien l’Observateur Paalga du 9 février 2000, Zoodnoma Kafando pose la question suivante : « Stabilité politique régionale : le Burkina, « petit piment » de l’Afrique de l’Ouest ? » et y répond après une analyse bien enlevée : « En tout état de cause, il est de plus en plus évident que ce qui se dit sur notre pays n’est pas faux ». Ce n’est pas tout, monsieur Louis Michel. Le syndicat CGTB (Confédération générale des travailleurs du Burkina) section de Bobo, dans une déclaration le 15/11/2002 sur les travers du pouvoir burkinabé, dénonçait la « campagne insidieuse, incitant au chauvinisme, soutenue, entretenue et développée par les tenants du pouvoir et leurs acolytes..., la guerre civile réactionnaire, complot de la bourgeoisie et de l’impérialisme contre le peuple frère de Côte d’Ivoire ».

Le Mouvement de la Paix du Docteur Bidima ne sera pas en reste sur les implications du régime en place dans le conflit déclenché depuis le 19 septembre 2002 en Côte d’Ivoire. Stephen Smith, journaliste bien connu, est clair sur le rôle du régime burkinabé dans la guerre en terre éburnéenne : « Le Burkina Faso et le Liberia ont violé, impunément, l’intégrité territoriale de la Côte d’Ivoire » (Le Monde du 7 mai 2003). Quant à Vincent Rugueux, il a pu écrire ceci, parlant du président ivoirien pris dans la tourmante du 19/09/2002 : « Sans doute celui-ci a-t-il perdu pied le 19 septembre 2002. Le soir où une bande de mutins réputés proches de Robert Gueï, qui sera bientôt massacré dans son village, tente vainement de conquérir Abidjan, tandis que d’autres rebelles, épaulés par le régime du Burkinabé Blaise Compaoré, s’emparent de Bouaké ». (L’EXPRESS du 15/11/04, « Les racines du mal »).

Halidou Ouédraogo du MBDHP (Mouvement burkinabé des droits de l’homme et des peuples) sera encore plus catégorique dans « Le TEMPS » du 30/09/2004 au sujet du conflit chez notre voisin ivoirien : « Blaise Compaoré a la clef pour arrêter la crise en Côte d’Ivoire. Ce n’est un secret pour personne au Burkina Faso que les rebelles qui ont attaqué la Côte d’Ivoire sont partis de notre pays. Ils ont eu le soutien logistique, matériel et financier du pouvoir burkinabé ; ils font des va-et-vient entre la Côte d’Ivoire et le Burkina. Ces derniers ne sont nullement inquiétés. Bien au contraire, ils sont choyés et mis au beurre.. En dépit de la fermeture des frontière ivoiro-burkinabé, ils se sont ravitaillés régulièrement en armes, nourritures et carburant à partir du Faso ». Enfin, qu’ajouter de plus à cet aveu édifiant d’Ibrahim Coulibaly dit « IB » ? « Je ne devais pas entrer en Côte-d’Ivoire. J’étais le seul à avoir le statut de réfugié politique. Tous les autres vivaient sous mon toit comme exilés, ils ont donc pu entrer sans problème. Mon apparition en territoire ivoirien aurait immédiatement déclenché les accords de défense du pays avec la France. Je ne pouvais pas impliquer directement ceux qui m’avaient donné asile. L’attaché de défense français venait me voir tous les deux jours, pour s’assurer que je n’étais pas sur le terrain. D’ailleurs, il suffisait de voir mes hommes avec leur ’thuraya’ pour comprendre que tout était réglé depuis Ouagadougou » (Jeune Afrique l’Intelligent du 18/09/2004).

A tous ces faits qui contredisent le commissaire, il faut retenir, juste pour leur fraîcheur, les accusations graves formulées en mai 2005 par l’incorruptible ancien procureur du Tribunal spécial sur la Sierra Leone, David Crane, au sujet de la violation de l’exil de Charles Taylor pour venir conférer avec son ami Blaise Compaoré et voir comment renverser Lansana Conté de Guinée, la stigmatisation du régime burkinabé dans la sous-région par le Sous-comité des relations internationales en Afrique, qui fait partie du congrès américain, où, en présence de personnalités, il a été encore évoqué l’action de déstabilisation du tandem Taylor/Compaoré en Afrique de l’Ouest (lors de sa réunion du 08 février 2006).

L’influence du régime burkinabé dans la sous-région est, on le voit bien, aux antipodes de sa consolidation, il est tout simplement perturbateur, pour ne pas dire plus. Il y a en Europe, depuis les années 1987, une quasi mobilisation d’Etat pour aller en guerre contre tous ceux qui se sont baptisés révisionnistes, mais qui ne sont que des négationnistes patentés de l’histoire, qui nient la Shoah, les camps de concentration. Le Pen et David Irving (qui vient d’écoper, pour ce qui le concerne, de 3 ans de prison ferme à Vienne pour avoir notamment qualifié Auschwitz de « Disneyland pour touristes ») en savent quelque chose !

Un tel traitement mériterait d’être réservé à Louis Michel, lui qui, non seulement ne semble pas reconnaître qu’il y a eu dans la sous- région ouest-africaine des guerres d’hégémonie et de rapines qui ont fait des centaines de milliers de victimes, mais qui falsifie les faits pour convertir le petit piment de l’Afrique de l’Ouest en dispensateur d’harmonie et de paix ! Il ne fait pas moins, en effet, qu’un David Irving qui soutient qu’Hitler ne voulait pas l’extermination des Juifs, mais leur bien et que cette image historique négative qu’on lui a collée n’est que le fruit de manipulateurs zélés. Mais au fond, faut-il s’en étonner ? La gouvernance du monde est ainsi faite qu’elle ne vit pas que du lait de la conscience universelle. Il y a parmi les hommes qui exercent le leadership à ce niveau, ceux qui veulent servir l’Afrique et ceux qui s’en servent.

Le commissaire européen est reparti, plein de tout ce qu’il est venu chercher et que lui seul connaît, mais il laisse, aux yeux du peuple, une toute autre image que celle du « baobab », d’« éminence grise » qui se bat vraiment pour le continent, comme l’a généreusement dépeint à grands coups de pinceau, le ministre d’Etat Youssouf Ouédraogo. Louis Michel ne sait pas qu’il se comporte comme le poisson rouge dans un aquarium, ignorant qu’il n’a pas d’intimité. Qu’il ne s’étonne donc pas que l’on reluque ses "dessous !"

Yacouba Bama 03 BP 7022 Ouagadougou 03

L’Observateur

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