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Le cheminement politique des femmes de la Haute-Volta au Burkina

Publié le jeudi 9 mars 2006 à 07h42min

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8 mars 1894. Grève générale des femmes dans les usines de textile aux Etats-Unis. Elles réclament des droits élémentaires. Dans l’Etat de New -York, la police intervient et réprime violemment les manifestantes. L’événement choque le monde entier.
A la deuxième conférence Internationale des femmes socialistes à Copenhague, la journaliste Clara Zetkin fait voter une résolution proposant que " les femmes socialistes de tous les pays organisent une journée de la femme", le 8 mars.

Plusieurs pays y adhèrent et organisent des manifestations souvent dans la clandestinité ;mais, c’est seulement en 1977 que la date du 8 mars est adoptée officiellement par l’ONU.

Depuis lors, chaque pays, à sa manière célèbre cette journée. Au Burkina, les femmes ont organisé des panels, pour disent-elles " s’enquérir de l’expérience des aînées".
Bendré contribue à cette quête d’expérience en vous proposant cet article retraçant l’entrée des femmes en politiques dans notre pays.

Mondialisation oblige, quota et parité sont deux termes devenus familiers aux femmes burkinabé par la fréquence de leur utilisation chaque fois qu’il est question de leur place en politique et par la passion qu’ils ne manquent pas d’imprimer à tout débat sur le sujet de leur visibilité dans les instances décisionnelles.

Mais quota et parité s’inscrivent d’abord comme des étapes dans l’histoire de la lutte des femmes d’occident contre l’ostracisme dont elles sont victimes au niveau de la représentation populaire et pour l’avènement d’une démocratie véritable, une "démocratie paritaire".
Parlant justement d’histoire de lutte féminine ou féministe, ce 8 mars 2000 ( l’année de publication de l’article ndlr)à nous donne l’occasion de jeter un regard rétrospectif sur le parcours politique des femmes burkinabé, histoire faite d’avancées mais aussi de reculs et qui peut s’articuler autour d’un certain nombre d’années clefs : 1958 ; 1975 ; 1983 ; 1991.

L’histoire politique des femmes voltaïques enregistre une avancée spectaculaire, ce 24 octobre 1958 avec l’entrée au conseil de gouvernement de Mme Makoukou Célestine Ouezzin COULIBALY comme ministre des Affaires Sociales, de l’Habitat et du Travail.

A travers la personne de Mme Ouezzin Coulibaly, la femme voltaïque dont le rôle politique jusque là se limitait à celui de "bétail électoral" et de vitrine destinée à montrer la vitalité d’un parti, vient de passer au devant de la scène, un univers jusque là réservé aux hommes ; un tel précédent laissait augurer d’un avenir prometteur pour elles.

Mais l’exemple ne fait pas tâche d’huile, sans doute les mentalités n’étaient-elles pas prêtes à intégrer l’idée que les femmes puissent participer à la gestion de la chose publique à un tel niveau ! La nomination de Mme Ouezzin s’est faite suite à des circonstances particulières ; un mois et demi plutôt, le 7 septembre 1958 Daniel Ouezzin COULIBALY alors président du Conseil de gouvernement mourait à Paris et cette disparition a certainement beaucoup pesé sur la décision d’appeler sa veuve au gouvernement, plus que le passé de militantisme actif dont elle pouvait se prévaloir au RDA, où elle était responsable d’une section féminine.

Mme Ouezzin Coulibaly quitte le gouvernement en 1959 et même si on la retrouve un peu plus tard à l’Assemblée Nationale comme député UDV-RDA, sa non-reconduction au niveau de l’Exécutif de la Haute-Volta indépendante peut être perçue comme un recul pour les femmes.

Cette phase de recul ne verra son terme que 18 ans après. C’est en 1976 qu’ une autre femme, Mme Elisabeth Fatoumata TRAORE est nommée Secrétaire d’Etat aux Affaires Sociales ; elle ne sera pleinement ministre qu’en 1978. Le retour des femmes au devant de la scène a été rendu possible grâce à l’action émancipatrice de l’ONU, qui un an auparavant avait proclamé 1975-1985, décennie internationale de la femme.

Cet acte a eu une portée considérable dans le monde et a obligé bon nombre de gouvernements dont ceux de la Haute-Volta à entrebâiller les portes de l’Exécutif pour y laisser entrer une femme ; le ministère de la condition féminine a d’ailleurs été expressément crée pour leur permettre de se mettre en adéquation avec le discours du moment.

A partir de 1976, toutes les photos de famille du gouvernement arborent la traditionnelle femme ministre de l’Action Sociale et/ou de la Condition Féminine.
On peut reprocher aux femmes voltaïques de n’avoir pas su saisir la perche tendue par l’ONU pour mieux se positionner sur l’échiquier politique de leur pays ; les associations féminines existantes, préférant s’occuper d’intérêts spécifiques plutôt que de la politique.

Le renouvellement de la classe politique amorcé en 1982, est favorable à la cause des femmes ; le Conseil de Salut du Peuple (CSP) crée l’événement en nommant deux femmes dans un même gouvernement ; mais c’est avec l’avènement du Conseil Nationale de Révolution que les femmes abordent un tournant décisif dans leur évolution politique.

Le programme du nouveau régime est rendu public le 2 octobre 1983 ; il consacre un chapitre important à la femme et fait de son émancipation un de ses chevaux de bataille. L’ambition du CNR à l’endroit des femmes peut se résumer à travers ces points suivants :

Opérer un changement de mentalité chez les femmes tout comme chez les hommes qui les prépare à accepter les bouleversements que la révolution ne manquera pas d’apporter au niveau des traditions admises par tous.

Amener les femmes à "avoir une conscience claire de la justesse du combat politique à mener et des moyens à mettre en œuvre pour cela".

Les responsabiliser en les associant à tous les combats pour non seulement briser les tabous mais surtout pour leur donner la confiance nécessaire pour s’engager dans la voie d’une émancipation véritable.

La première phase pour la réalisation de ce programme passe par l’implication des femmes dans les structures créées pour exercer le pouvoir populaire. Les mesures les plus percutantes sur le plan médiatique du moins, concernent le terrain des instances gouvernementales ; plusieurs femmes accèdent à des postes ministériels ; de trois dans un premier temps on atteindra le chiffre record de cinq siégeant dans un gouvernement.

De même, au niveau de la haute administration, quatre au moins des trente provinces du pays ont à leur tête des femmes comme Hauts-Commissaires. Tout comme en 1976, le facteur externe semble avoir guidé la prise de certaines de ces mesures, qui outre l’objectif affiché, entrait dans le cadre d’une opération de charme en direction de l’extérieur et des organismes œuvrant pour la promotion des femmes. Mais la différence d’avec 1976 réside dans l’attitude des femmes elles-mêmes. Il semble en effet y avoir eu du répondant de leur part, elles se sont senties concernées et se sont impliquées.

Aujourd’hui encore, une des choses que l’on met à l’actif des révolutionnaires d’Août c’est d’avoir ouvert plus grand, les sphères décisionnelles aux femmes et de les avoir amenés à s’intéresser à la politique autrement que comme masse de manœuvre électorale dont le suffrage était nécessaire pour asseoir un pouvoir exclusivement masculin.

En 1991, le Burkina Faso s’achemine vers l’Etat de droit à travers une étape de transition mouvementée ; outre l’adoption de la constitution de la IVè République par référendum le 2 juin, on a enregistré un peu plus de deux mois plutôt, au mois de mars, la survenue d’un événement inédit et important dans l’évolution politique des femmes burkinabé : la naissance du premier parti dirigé par une femme le PCLI (Parti de la convergence pour les libertés et l’intégration) de Mme Marlène ZEBANGO. Peu importe s’il est "considéré comme proche d’Herman YAMEOGO qui aurait suscité sa création" (B. A. YE, les fondements de la IVe République.1995), c’est une première.

Mais le retour à la démocratie est, de l’avis de nombreux observateurs et acteurs de la scène politique burkinabé, préjudiciable à la cause féminine. Certains comme la journaliste Nabila Berrada Gouzi vont même plus loin et affirment sans détour que "le multipartisme a remis en cause les acquis de la Révolution"(JA n°1809, 7-13 sept. 1995).

Il est certain que sous les deux derniers régimes d’exception qui se réclamaient tous du D.O.P., l’instauration d’une forme de quota comme mesure d’accompagnement d’un discours en faveur des femmes plaçait ces dernières dans une situation plus confortable ; avec la démocratie, en même temps que cesse la pression du pouvoir sur les femmes pour les emmener à s’engager, disparaissent aussi ces strapontins réservés ; l’engagement est plus libre mais le résultat devient incertain. Cependant, la démocratie reste le meilleur baromètre pour mesurer non seulement le chemin parcouru par les femmes mais aussi le degré d’évolution des mentalités. La société libérée de toutes contraintes est-elle prête à accorder ses suffrages à une femme ?

Le 24 mai 1992 ont lieu les premières élections législatives à l’issue desquelles les femmes reviennent à l’hémicycle (on y avait déjà enregistré les passages de Mme Ouezzin et de Nignan). Quatre femmes sur cent sept députés et toutes du parti majoritaire, qui avaient décidé d’inclure dans chacune de ses listes au moins une femme. Il est important de relever ici que le mode de scrutin retenu, celui majoritaire de liste, met le sort des candidats entre les mains des instances de leur parti.
Les quatre élues (Mmes Legma, Agaleoue, Sanou, Compaoré) ne sont pas des inconnues, ce qui est un bon point dénotant une constance dans leur engagement politique, même si de l’aveu d’une d’elles, la décision de les présenter est venue de leur parti.

Cette constance se remarque aussi au niveau de l’Exécutif où des trois femmes ministres (ce qui est une régression) une seule est nouvelle dans le sérail politique.
Quatre sur cent sept et trois sur vingt huit, la moisson est maigre mais le contexte troublé n’était pas favorable à l’engagement des femmes. La seconde législative qui elle fait suite à une période de relative stabilité est un indicateur plus sûr pour saisir l’évolution des femmes en politique.

Durant les cinq années écoulées on a noté un début d’organisation des femmes à travers la naissance de nouvelles associations. L’UFB avait été créée pour elles par les tenants du pouvoir ; la convention des femmes engagées dans les partis politiques et l’association des femmes élues du Burkina (AFEB) sont leur création. Ces deux organisations veulent transcender le cadre des partis pour regrouper toutes les femmes politiques en activité ou non, en vue d’œuvrer à une plus grande participation féminine. C’est ainsi qu’à l’approche des élections du 11 mai 1997, l’AFEB exhorte les Etats majors des partis à compter avec les femmes.

A-t-elle été entendue ? ou est ce l’époque elle-même qui veut qu’il ne puisse plus y avoir des consultations électorales sans implication des femmes ?
Quatre vingt femmes sont présentes sur cinq cent soixante neuf candidats dont neuf en tête de liste. Dix femmes sont élues et toutes encore une fois sont du parti majoritaire.

L’équipe gouvernementale elle, affiche quatre femmes ministres dont une de la promotion de la femme (évolution positive dans le concept ; on est passé de la condition à la promotion) Les débuts de la seconde législative permettaient d’afficher un certain optimisme, celui-ci sera vite tempéré par le fait qu’aucune des dix élues ne se verra confier une quelconque responsabilité dans les structures de l’Assemblée, de même le dernier remaniement ministériel est un coup sérieux porté à la cause des femmes qui ne peuvent plus se prévaloir que de deux ministres et une secrétaire d’Etat.

Pour conclure, on peut cependant dire qu’en dépit de leur faiblesse numérique dans les hautes sphères de l’Etat, les femmes burkinabé tiennent le bon bout, malgré une progression en dents de scie. La condition féminine en politique connaît une évolution positive ; certes, le combat pour investir l’espace se trouve plus au stade de l’imposition des quotas que de celui des revendications paritaires, mais, et c’est cela l’acquis le plus important ; il n’est plus possible aujourd’hui au Burkina Faso d’entreprendre des consultations électorales sans aligner des candidates même placées en queue de liste.

Par Denine Badini-Folané

Bendré

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