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Le grand défi de la femme : à l’image de la princesse Yennenga

Publié le mercredi 8 mars 2006 à 08h16min

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Quand mon père nous racontait l’histoire de la princesse Yennenga, c’était toujours d’un ton solennel pour souligner les grands mérites de cette femme. Il m’a semblé que mon père ne parlait de Yennenga qu’au masculin. Il disait : « Nous sommes des descendants de Naba (Roi) Yennenga, venu de Gambaga,... etc ».

Ce n’est que plus tard que je compris que ce Yennenga était une femme, une brave fille unique mais qui a fait la fierté de son père le roi Nedega de Gambaga. C’est de ce genre d’enfant qu’on dit qu’il est « digne successeur de son père ». Mais comment cette Yennenga a pu devenir ce qu’elle fut dans un contexte où les pesanteurs socio culturelles ne militaient pas en sa faveur ? Quelle inspiration l’image de Yennenga peut donner à tous (hommes et femmes) dans la promotion de la jeune fille aujourd’hui ?

Yennenga acceptée comme un enfant à part entière.

Le roi Nedega a cherché longtemps un enfant, de préférence un garcon qui deviendrait son héritier. Quand Yennenga naquit, son père le roi Nedega surmonta rapidement sa déception de ne pas avoir un garçon ; et il célébra une fête généreuse pendant quarante quatre jours à Gambaga. L’enfant né était une fille, mais pour le roi Nedega, un enfant est un enfant. Rapidement, le sexe féminin de Yennenga fut « oublié » par le roi et aussi par le peuple. Yennenga reçut une éducation d’héritier (pardon ! héritière). Elle fut mise à l’école (1), apprit le métier des armes. Très vite elle prit des galons. Les éléments descriptifs laissés par la tradition orale (chants et citations) laissent penser qu’elle a du être chef d’état major de l’armée de Gambaga ou, à défaut, un membre influent de l’équipe des généraux. Son charisme, sa bravoure et ses hauts faits de guerre ont fini de convaincre le roi Nedega qu’il avait eu effectivement un digne héritier. Et il ne voulait pas la marier. Pourtant, Yennenga était une fille.

Et si Yennenga n’avait pas été traitée comme un enfant à part entière ?

Aujourd’hui, une grande partie de la population Burkinabe se réclame de Yennenga. Elle est célébrée par tous comme une femme qui vécut pleinement et mourut dignement (2). Et les observateurs se demandent souvent comment la société Moaga qui est patriarcale a pu faire de cette princesse (femme) le centre de gravité et le point de convergence de toutes les références. Mais c’est très simple ! Pour que Yennenga devienne ce qu’elle a été, il a fallu lui donner l’occasion de se faire valoir.

Son père n’a pas fait d’elle un être faible, moins important. Son père lui a donné toute l’éducation sans restriction. Il ne l’a pas tout de suite promis en mariage à un prince ou à un roi ami. Le roi Nedega a vu en la princesse Yennenga une fille qui avait les capacités intrinsèques et qui pouvait aller à l’école, et apprendre même le métier des armes, un métier qui semblait réservé aux hommes.

Si la princesse Yennenga a pu avoir ce parcours, quel obstacle naturel peut empêcher aujourd’hui une femme d’accomplir des prouesses ? Si déjà, dès le 11ème siècle, le roi Nedega a eu cette vision, comment pouvons-nous dire que nous respectons la tradition tout en traitant les filles comme si elles n’étaient pas dignes d’être des enfants à part entière ?

En 1132, le royaume de Tenkodogo fut fondé par Naba Ouedraogo, fils de Yennenga. Les descendants de Ouedraogo ont conquis un grand espace, ont bâtit des royaumes aux populations à la bravoure légendaire reconnue en Afrique de l’Ouest. Il a fallu que Yennenga relève la première le défi, le défi de « se mettre en selle » pour affronter son destin, comme les autres enfants, et même plus, car elle a transcendé tous les autres hommes et femmes de son temps pour devenir une référence.

Mais il a fallu que son père lui donnât l’occasion. C’est dire que si nous donnions l’occasion à toutes les filles d’aujourd’hui, elles se feront valoir sans complexe ; elles mettront leurs compétences au service de toute la société. De ce point de vu, nous comprenons que la nécessité de la célébration de la journée de la femme est la preuve que nous n’avions pas suivi ce qu’a tracé notre ancêtre le roi Nedega à travers l’image de sa fille, la princesse Yennenga.

K. Maurice Ouédraogo.

Les Enfants de 2008

Notes :

(1) En plus de l’éducation ordinaire donnée à tous les enfants, l’orientation militaire de la princesse Yennenga a fait d’elle une grande sportive, svelte et d’une souplesse remarquable. On dit que c’est au regard de sa forme que le peuple lui a donné le nom de Yennenga (« la mince » ?).

(2) Sa tombe à Gambaga (au nord de la République du Ghana actuel) est un lieu de pèlerinage et de recueillement, jusqu’à ce jour.

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