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Débats sur la CENI : ce qu’ils en disent

Publié le lundi 6 mars 2006 à 07h34min

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Profitant de la rentrée parlementaire du 1er Mars dernier, le président de l’Assemblée nationale, devant un parterre de personnalités, a saisi l’occasion pour river le clou aux groupes parlementaires qui ont quitté la salle au moment du vote de la loi de validation. Il n’a pas fait que cela : en forme de défi, il a griffé l’opposition qui menace de prendre la rue s’il y a un passage en force en des termes que la presse se plaît depuis à répandre « En dehors du fait que la rue n’appartient à personne, les enjeux sont très importants, et le sort des Burkinabé des communes urbaines et rurales est une affaire sérieuse pour qu’on la confie à la rue ».

Les députés ont quelque peu bougonné mais ont gardé leur calme, eu égard aux étrangers qui assistaient à la cérémonie. Pas comme le président de l’Assemblée qui n’en a eu cure !

Compte tenu de la résonance que ces propos ont eus au sein de l’opposition et dans l’opinion en général, nous avons tendu ici et là le micro pour demander ce qu’inspirent les propos ci-dessus du président de l’Assemblée.

Mathias Liliou, Secrétaire général de la CSB : Je vous remercie tout d’abord de me donner la parole pour recueillir notre point de vue mais je précise que je réponds à cette question en tant que citoyen burkinabé, membre de la société civile.

Je dirai relativement à cette question, que la question est posée. Il n’y a qu’à peut-être l’approfondir parce que, quand une frange de la population se plaint par rapport à l’organisation de ces élections municipales et décide de battre le pavé pour cela, c’est bel et bien une façon de protester et de se faire entendre. On peut même dire que c’est une manière de s’exprimer. Quant à la question de savoir si c’est une bonne ou une mauvaise chose de prendre la rue, moi j’estime que c’est tout à fait normal pour des personnes de l’emprunter pour exiger et se faire entendre.

Mais quand le président de l’Assemblée nationale dit que la rue appartient à tout le monde, cela veut dire qu’il est d’accord que ses camarades-là peuvent aussi prendre la rue. Pour être plus explicite, je dirai que ceux-là qui sont contre cette manière d’organiser les élections prennent la rue et ceux-là aussi qui sont contre peuvent aussi prendre le même chemin pour s’exprimer et dire qu’ils sont d’accord avec ce qui se passe actuellement. Vous voyez donc que l’un dans l’autre, le Président de l’Assemblée nationale aura donné raison aux deux parties qui peuvent chacune s’exprimer dans la rue si c’est les seules alternatives qui leur restent.

Mais au-delà même de toutes ces considérations, je crois qu’étant dans une démocratie ambivalente, il est important que nous fassions en sorte de ne pas mettre en péril ce que nous avons déjà acquis. Et j’ajoute qu’il est important que le gouvernement de la IVème République réfléchisse très profondément à un certain nombre de choses avant de prendre des décisions parce que, de toutes parts, mes lectures à travers la presse, j’avoue que si le PRN n’avait pas été créé, nous allions tous naviguer dans l’illégalité.

Nous avons aussi constaté dans la presse les propos du Camarade Touré (je dis camarade parce qu’il a été secrétaire général d’une centrale syndicale) qui s’insurgeait contre la CENI. Mais si la CENI ne fait pas correctement son travail, soyons sérieux ! On ne peut pas laisser une telle institution naviguer dans l’illégalité, et je suis parfaitement d’accord avec son propos autour des sanctions. On ne peut pas comprendre qu’une aussi grande organisation, qui brasse des milliards pour organiser des élections (ce qui doit crédibiliser d’ailleurs la démocratie dans notre pays) travaille ainsi à la « va-t’-asseoir ».

Mr Issa Tiendrébéogo, Secrétaire général du GDP : Concernant cette déclaration de lui, je crois que personne n’a déjà affirmé que la rue était la propriété d’une personne. La rue est aussi à la disposition de tout le monde et celui qui veut l’utiliser pour manifester doit en avoir le droit, dans le respect des règles établies et c’est ce qu’on a toujours fait. Personne n’a dit que c’était une propriété privée mais s’ils veulent prendre la rue, ils n’ont qu’à la prendre. Mais faut-il aussi savoir pourquoi.

Nous avons vu des périodes où la rue était fréquentée pour certains buts mais aucun d’entre eux n’a osé la prendre. Donc, je pense que c’est plutôt des procès d’intention et nous pensons au contraire que la question des municipales est plutôt assez sérieuse pour qu’on la confie à la rue, puisqu’on n’arrive pas à résoudre ce problème dans les cadres classiques.

En France, il y a présentement des manifestations à propos du travail des jeunes et je ne crois pas que quelqu’un puisse dire que ce qu’on est en train d’y faire ne contribue pas à trouver la solution.

Il est évident que « ces gens-là » (NDLR : le pouvoir burkinabé) font toujours des déclarations pour se faire plaisir et faire plaisir à leur parti parce que chacun veut faire croire qu’il est le défenseur du régime.

San Finna : Ne pouvons-nous pas dire que c’est omettre le fait que la rue a eu à faire ses preuves dans l’histoire politique du Burkina Faso ? N’est-ce pas une manière de faire fi de tout ce qui a été après le drame de Sapouy ?

Mr Issa Tiendrébéogo : Bien sûr, je le disais tantôt : c’est quand il y a une histoire, un problème assez sérieux que les manifestations publiques sont nécessaires. Ecoutez, quand il y a eu cette affaire Norbert Zongo, il y a eu des mobilisations : combien de fois on a marché ? Et c’est grâce à ces mobilisations que par la suite on a eu à parler de consensus. Il a donc fallu la rue pour que les gens comprennent qu’il est temps qu’arrive le consensus.

Lookman Sawadogo, Président du MJUP : Tout d’abord, mes remerciements pour m’avoir donné l’occasion de réagir sur ce que je constate aussi comme une surchauffe en ce moment-là sur bien entendu la relecture du code électoral et le report des élections.

Je pense sincèrement qu’à travers les propos qu’il y a eu d’une part de la majorité et d’autre part de l’opposition (Roch Marc Christian Kaboré ayant fait allusion à la rue, parlant de l’opposition, et Me Sankara traitant l’Assemblée nationale de brouette), il y a des choses qui vont dans le sens d’envenimer les choses.

A chaque fois qu’il y a des questions de relecture du code électoral ou des questions de la Constitution, il y a toujours eu des crises. Alors, je me pose des questions et j’aimerais que vous la posiez à vos lecteurs : quel est le rôle de l’Assemblée nationale et quel est le rôle des députés ?

Je crois savoir qu’aujourd’hui, l’on confond ou dévie les choses. L’Assemblée aujourd’hui existe pour le peuple ou est pour le gouvernement ? Je me le questionne parce que je pense au départ qu’une assemblée de pareil acabit est composée d’une majorité et d’une opposition. Un projet de loi pour une initiative émanant du gouvernement, à mon sens, avec ce que l’on a comme majorité, généralement passe sans problème. C’est ce que certains ont nommé « une mécanique ». Mais en même temps, quand une initiative émane du gouvernement, cela semble aussi faire l’objet d’un rejet systématique de la part de l’opposition ; cela suscite pour ma part une interrogation : entre ce ping-pong majorité opposition par rapport à ce qui émane du gouvernement et par rapport à nous, en tant que citoyens, qui perd quoi et qui gagne quoi ?

Pour dire tout simplement que les acteurs politiques sinon la classe politique gagnerait à donner à l’Assemblée son rôle qui est celui de contrôler l’action gouvernementale et de défense du citoyen. Il ne faudrait pas que l’on transporte les règlements de compte politiques dans l’hémicycle, sinon ce n’est plus l’intérêt du peuple qui y est défendu, qui motive l’action de nos parlementaires.

Professeur Augustin Loada, président du CGD, Professeur de droit à l’Université de Ouagadougou : Le droit de manifester, c’est un droit qui est reconnu par la Constitution, c’est un droit qui est consacré en droit positif. Pour moi, cela fait partie des droits qui sont reconnus aux citoyens, donc il est tout à fait normal que des citoyens dans une démocratie puissent manifester pour s’exprimer politiquement. Mais en même temps, l’expression politique, à travers la manifestation publique, doit se faire conformément aux règles parce qu’il y a des règles qui posent les conditions dans lesquels ce droit doit être exercé comme toute forme de liberté. Pour moi, tant que ces règles sont respectées, les citoyens ont parfaitement le droit de manifester sur n’importe quel sujet.

San Finna : Mais quand ces propos nous viennent d’un président de l’Assemblée Nationale ?

Pr. Loada : Il sait pourquoi il le dit mais je me dis qu’il y a des questions qui doivent faire l’objet de discussions au sein de l’hémicycle parce que, quand il s’agit de légiférer, il y a la possibilité de s’exprimer mais en même temps, on ne peut pas empêcher les citoyens de choisir les formes dans lesquelles ils veulent s’exprimer. Il n’y a pas lieu, à mon avis, de s’en offusquer aussi bien pour ceux qui ont une conception restrictive des libertés que pour ceux qui ont une conception extensive .

Sondé Kader, Etudiant à l’UO : Je pense tout simplement qu’il n’y a pas à hésiter à dire que la rue est le lieu de toutes les expressions. Les mauvaises s’y trouvent et les importantes, aussi. Mais remarquons que, pour peu qu’on se retrouve dans des pays comme les nôtres en Afrique, l’on se rend compte qu’il est nécessaire d’inclure dans nos habitudes les revendications par les manifestations publiques.

Je ne peux pas jeter l’anathème sur le président de l’Assemblée nationale parce que je n’ai pas cerné tout le contour de sa réflexion et le contexte dans lequel il a prononcé ces mots. Mais il est certain que même dans les démocraties les plus primaires, le droit est donné aux citoyens de dire non par le biais de la rue, s’ils respectent les règles préétablies.

Les élections municipales sont pour bientôt et si les opposants sont insatisfaits mais capables de manifester dans les règles, je pense que ce n’est pas anormal. De l’autre côté, c’est la même donne. S’il faut continuer à corriger du côté de la loi parce qu’on a les moyens de décider en sa faveur, je ne sais pas si cela est très intéressant politiquement. Il faut en toutcas voir du côté de l’intérêt général.

Paul Ouédraogo, Etudiant : C’est parce qu’il y a des élections municipales qui ne sont pas loin mais surtout aussi des législatives. Roch Kaboré doit commencer à montrer qu’il est le patron du CDP et qu’il n’est pas moins radical que les autres. Il sait aussi que la majorité à l’Assemblée ne sera pas seule à soutenir le Gouvernement sur la question du report. Le Conseil Constitutionnel va lui aussi suivre le mouvement. Face à cette situation, l’opposition, qui menace d’appeler au secours la rue, ne pourra pas faire grand chose.

Alors, le président Kaboré parle comme il veut sinon, je trouve que ce n’est pas bien pour un président de l’assemblée au moment de la rentrée parlementaire de se comporter comme ça. C’est vrai qu’ils ont la majorité à l’assemblée mais il y a aussi des députés de l’opposition. Les attaquer devant des présidents d’institution et le premier Ministre sans qu’ils ne puissent répondre, ce n’est pas démocratique.

Thierry Nabyouré

San Finna

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