LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Bénin : L’après-Kérékou a débuté hier

Publié le lundi 6 mars 2006 à 07h37min

PARTAGER :                          

Mathieu Kérékou doit se dire, depuis hier dimanche, que toute chose a une fin, et bien des images fortes de son long règne défilent dans son esprit, notamment ce 26 octobre 1972 où, bouillant commandant, il renversait le trio Apithy-Maga-Ahomadegbé. Le Général a donc tenu bon comme nous l’y invitions dans notre "Regard sur l’actualité" du 31 janvier 2006.

Il a respecté sa parole donnée à la mi-juillet 2005 de ne plus rempiler, laissant donc intacts les deux verrous constitutionnels que sont les articles 42 et 44 de la loi fondamentale, qui le frappent, lui et Nicéphore Soglo. Exit l’ère du marxisme léninisme version béninoise et fin de règne également pour Mathieu Kérékou, qui quitte ainsi l’arène politique par la grande porte, peut-être pour une retraite honorifique à Parakou ou un poste international ( ?). Bien malin qui pourra répondre à la place de l’énigmatique "Caméléon".

Le corps électoral béninois s’est donc rendu hier dimanche 5 mars aux urnes pour élire le président de la République pour un mandat de 5 ans. 26 candidats étaient sur la ligne de départ pour le premier tour de cette course à la magistrature suprême. Qui succédera à celui qui totalise 29 ans de pouvoir dans l’ex-Dahomey ?

Les analystes politiques sont catégoriques : aucune personnalité n’est en mesure de capitaliser la majorité des voix pour faire "1er tour K.O.", et l’absence d’un favori fait se profiler déjà l’éventualité d’un second tour que l’on devine âpre, tant le jeu des alliances, souvent contre nature, et les retournements de veste seront criards.

Et ce scénario conditionne les candidats qui subodorent déjà leur présence au deuxième round à se livrer à des tractations avec des adversaires, et "les poids plumes", conscients qu’ils ne franchiront pas le premier tour, mais qu’ils sont quelquefois "faiseurs de président" à se faire courtiser. Parmi les présidentiables qui, électoralement, peuvent faire mouche et être au second tour, il y a :

- Adrien Houngbedji du Parti du renouveau démocratique (PRD). A 64 ans, il a été de toutes les élections de ce genre. Ainsi, en 1991, il est arrivé 4e à la présidentielle après Albert Tévodjèrè, Nicéphore Soglo et Kérékou. En 1996, il s’incruste dans le fauteuil de 3e. A ce scrutin de 2006, le parti des "Tchoco-tchoco", le cri de ralliement du PRD, compte ratisser large dans l’Ouemé (Sud-Est), le fief de son champion, même s’il est vrai que le parti a été fragilisé par des hémorragies, notamment le départ d’un des ténors du PRD, Fassassi Kamarou (autre candidat à la présidentielle). Sans oublier qu’il devra ferrailler dur aussi dans cette zone du Sud-Est, contre le Mouvement africain pour la démocratie et le progrès (MADEP) du président de l’Assemblée nationale, Idji Antoine Kolawolé qui y est aussi présent.

- Boni Yayi : ayant quitté son fauteuil douillet du 7e étage de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD) à Lomé, dont il fut le président (1995-2006), cet originaire de Parakou (même région que le président sortant) veut glaner l’électorat du Nord, soit près de 30% du corps électoral. Il table sur sa "virginité en politique", "les Béninois ont besoin d’un homme neuf", aime-t-il à répéter, et à 54 ans, il affiche un optimisme qui séduit. Son talon d’Achille : il est sans parti politique et on le dit déconnecté des réalités du pays, pour avoir séjourné longtemps à l’extérieur.

- Bruno Amoussou, qui est le leader du Parti social démocrate (PSD). Il a été président de l’Assemblée nationale, et est actuellement ministre d’Etat de Kérékou. Il a été 4e à la présidentielle de 1996. Lors des législatives de 2003, le PSD s’est sabordé dans un grand ensemble, l’Union pour le Bénin futur (UBF) qui détient 31 sièges à l’hémicycle. Amoussou est électoralement fort dans le Sud-Ouest (région du Mono et Couffo) et nul doute qu’à ce scrutin le "Renard de Djacotomey" (nom de son village) peut encore surprendre en dépassant les 17%, son score plafond depuis qu’il participe aux présidentielles. A côté de ces "grands" potentiels prétendants au second tour, il y a ceux qui vont jouer les trouble-fêtes ou "faiseurs de président". On peut citer :

- Idji Antoine Kolawolé, l’actuel président de l’Assemblée nationale. Transfuge du PSD de Bruno Amoussou, il a créé le MADEP. En 2001, le MADEP s’est aligné derrière Kérékou, mais en 2006, il compte "faire mal" pour son propre compte, avec les voix de la partie septentrionale du pays. De l’avis de certains Béninois, la récolte du MADEP peut être intéressante, surtout que cette formation politique est l’œuvre de l’homme d’affaires, le richissime Sefou Fagbehoun, un protégé, dit-on, de Kérékou.

- Daniel Tawema : il a été directeur de cabinet de Kérékou et ministre des Affaires étrangères. Patron du Front d’action pour le renouveau démocratique, la liberté et le développement (FARD-ALAFIA), autre composante de l’UBF, il va devoir disputer les voix à Boni Yayi dans le Nord du Bénin, son fief. Il pourrait reporter ses voix sur Bruno Amoussou, au second tour.

- Les frères Soglo : Lehady Soglo et Ganiou Soglo, les deux fils de Nicéphore Soglo, sont candidats, mais seul le premier a reçu l’onction du parti la Renaissance du Bénin (RB). A ces deux candidatures qui se neutralisent s’ajoute celle de Richard Adjoho de la RB aussi. En fait, ce vote permettra à Lehady, 1er adjoint au maire de Cotonou, son père, de se faire un prénom, car même avec les voix des Fon, son ethnie, sa présence au second tour est improbable. Il pourrait donc donner un "ndjiguel" (consigne de vote) à la sénégalaise en faveur d’un Amoussou ou Houngbédji, question de négocier des maroquins en contrepartie.

- Lazare Sehoueto. Il est le leader de Force clé, son parti, qui dispose de 5 députés à l’Assemblée nationale. Il pourrait partager la poire à égalité avec la "dynastie" Soglo, puisqu’ils ont le même électorat, à savoir les gens du plateau d’Abomey au centre du pays.

- Raphiou Toukourou. Il est sans parti comme Boni Yayi. Président du Conseil économique et social (CES), il espère créer une "recomposition du paysage politique", selon son propos.

Deux femmes se sont lancées dans ce combat, dont l’une est presque familière à la chose, tandis que l’autre met le pied à l’étrier :
- Me Marie Elise Gbedo, qui a été ministre du Commerce sous Kérékou et a participé à la présidentielle de 2001.
- Célestine Zanou, ex-dircab de Kérékou, qui se lance dans cette course pour un essai qu’elle espère transformer.

Alea jacta es ! Les dés sont jetés au Bénin, pourvu que le jeu se déroule dans la sérénité, certains craignant que des candidats mettent leurs partisans dans la vue pour soi-disant dénoncer des fraudes qu’ils estiment massives, à partir de la confection des listes électorales, estimations démenties, bien sûr, par la Commission électorale nationale autonome (CENA), que dirige Sylvain Nouwatin.

En tout cas, si ce vote se déroule dans les règles de l’art, la démocratie béninoise, qualifiée de trésor bien gardé, en sortirait grandie, et au finish, la communauté internationale n’aurait pas eu tort de mettre la main à la poche pour financer une présidentielle qui risquait d’être reportée, faute de moyens.

Observateur Paalga

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique