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Elections, séparation des pouvoirs : La IVe République à l’épreuve des faits

Publié le samedi 4 mars 2006 à 07h17min

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Arsene Bongnessan Yé

La session extraordinaire de l’Assemblée nationale a adopté les deux projets de loi qui prorogent le mandat des Conseils municipaux et réhabilitent les démembrements de la CENI par l’amendement des articles 34 et 265 du code électoral. La légalité républicaine est sauvée. Il reste la pertinence du système !

La démocratie républicaine dans son fonctionnement a des principes universels : liberté d’expression et d’opinion, dévolution du pouvoir par les urnes, séparation des pouvoirs - exécutif, législatif, judiciaire -, etc. La mise en œuvre de ces principes généraux est fonction des réalités historiques, socioculturelles et politiques de chaque pays. C’est ainsi que la démocratie française a ses particularités comparées à l’anglaise, canadienne ou américaine...

Ces particularités sont plus ou moins prononcées d’un pays à un autre suivant l’âge des institutions, la culture politique des responsables de partis, de la société civile et des citoyens. On parlera ainsi de "vieilles démocraties" en pensant aux pays européens et américains et de "processus démocratique" pour qualifier les systèmes en expérimentation - si l’on peut ainsi dire - en Afrique.

Légalité et légitimité, deux notions complémentaires dans un Etat de droit

Il n’y a pas un modèle démocratique prêt à être porté par les Etats et à tout moment. C’est pourquoi il est plus juste de parler de "processus". La signification du concept renvoie à un mouvement, un façonnage continu pour en arriver à des institutions républicaines conformes non seulement à la loi - Constitution - mais aussi aux aspirations de la majorité des citoyens. Quand légalité et légitimité se rencontrent ainsi, la conséquence est que le système est pertinent. A savoir que les lois sont conformes aux intérêts des citoyens et à même de fonder le contrat social républicain sur les bases solides de la justice, de l’équité, de la solidarité et du progrès.

Dans un Etat de droit, des institutions illégales, c’est-à-dire non fondées sur la loi en vigueur, sont forcement illégitimes. La légalité précède la légitimité. La légitimité impose la légalité. En effet, quand la majorité des citoyens se reconnaissent dans les institutions - leur forme et leur fonctionnement - le législateur - le peuple qui délègue son pouvoir au Parlement - a le mandat nécessaire pour proposer la loi qui leur conférera la légalité.

Le débat qui a eu lieu sur la rétroactivité ou non de l’article 37 de la constitution avait mis en parallèle la légalité et la légitimité. Les manifestations gigantesques des jeunes, des femmes, des scolaires, etc, encadrées par les Amis de Blaise Compaoré (ABC) avaient conféré au président sortant une légitimité manifeste, largement confirmée depuis le 13 novembre par les urnes. La légitimité et la légalité qui se sont ainsi rencontrées confèrent à Blaise Compaoré l’aura de l’homme qu’il faut à la place qu’il faut.

Le débat qui s’est installé suite à la requête du Nouveau parti républicain (NPR) auprès de la Cour Constitutionnelle est un cas d’école. Les démembrements de la CENI étaient dans l’illégalité complète. Mais leur légitimité n’était pas en cause. C’est-à-dire, cette forme d’organisation (CENI, CEPI, CEDI, CECI, CEIA) n’est pas rejeté.

C’est pourquoi il est tout à fait indiqué qu’une simple révision de la loi leur confère à nouveau la légalité. Si leur légitimité était en cause, la solution du problème eût été tout autre. Il aurait fallu, par exemple, dissoudre la CENI dans sa forme actuelle pour proposer une nouvelle forme d’organisation des élections.

Le groupe des 13 partis d’opposition, amené par le président de l’UNIR/MS, a voulu faire un amalgame. Au lieu de la simple correction de l’illégalité, c’est la légitimité de ces structures qui a été posée. En rappelant le débat sur l’article 37 de la Constitution pour refuser les amendements "retro-actifs" des articles 34 et 265 du code électoral, ce n’est ni plus ni moins poser le problème de la légitimité des institutions républicaines, voire leur pertinence.

En bons opposants, Sankara Bénéwendé, Issa Tiendrébéogo, Christian Koné et autres font feu de tout bois à même d’ébranler l’adversaire d’en face. Mais comme à leur habitude, ils bottent en touche. Le problème de la pertinence du processus démocratique burkinabè est ailleurs. Pas dans cet oubli de proroger le mandat des démembrements de la CENI imputable à tous.

Pourquoi ne pas revoir le calendrier électoral et le système du multipartisme intégral ?

Le CERPRADE, Centre d’étude et de réflexion sur les pratiques démocratiques, a recommandé au cours de sa dernière rencontre, la limitation des partis politiques au Burkina. Cette proposition selon le CERPRADE se justifie par le souci de limiter à défaut d’empêcher le nomadisme politique.

Nomadisme politique : Voilà un concept ou plutôt un vocabulaire secrété par les réalités politiques burkinabè. En effet, quitter un parti pour un autre est monnaie courante au Burkina. Au nom de la liberté des citoyens à changer d’opinion, on ne peut pas l’interdire. Mais pour une plus grande crédibilité des partis et du système démocratique, il convient de codifier cette possibilité laisser aux citoyens de changer de partis quand ils jugent cela nécessaire. A défaut d’une réglementation stricte acceptée par tous les acteurs politiques, aucun parti n’est à l’abri d’une déstabilisation.

Cela passe encore quand les politiciens "nomades " sont des citoyens ordinaires, mais quand il s’agit d’élus, il se pose la question de savoir si le suffrage des électeurs n’a pas été dévoyés. Pire, c’est à se demander si nos politiques ont des idéaux ou plus simplement, des idées à défendre.

La force d’une démocratie, outre la stabilité et la flexibilité des institutions qui la régissent, réside dans la crédibilité des acteurs politiques. Cette crédibilité transparaît à travers la formation de partis bien structurés, bien implantés, avec un projet de société et un programme d’action. Pour la grande majorité des partis au Burkina, c’est tout à fait le contraire que l’on observe.

Les textes réglementaires favorisent le pullulement de formations politiques sans envergure, ni idées originales, ni moyens d’actions. Conséquence, le débat politique n’est pas riche d’une densité de point de vue à la mesure du nombre de partis - environ 120 en tout. Ce sont toujours les mêmes qui gesticulent dans les médias. On en déduit que la multiplicité des partis n’est pas une multiplication de la force du système ou de sa pertinence.

Au niveau de l’organisation des scrutins, l’expérience plutôt bonne que mauvaise du Burkina ne doit pas occulter les problèmes réels qui existent. Ces problèmes sont liés d’une part, à la jeunesse de la CENI et à sa déconnexion prononcée des structures administratives décentralisées de l’Etat.

D’autre part, ces problèmes découlent de la faiblesse organisationnelle et des difficultés financières de presque tous les partis. Ces difficultés les empêchent de s’impliquer véritablement dans les structures de la CENI pour occuper la place qui est la leur dans l’organisation des élections.

Dès lors, les partis, surtout d’opposition pensent que leur insuffisante implication dans le processus d’organisation du scrutin est voulue par l’Etat et la CENI pour favoriser le parti majoritaire. Et pourtant le CDP est aussi victime des bourdes de la CENI comme l’atteste "l’oubli" grave de sa part qui a nécessité une session extraordinaire de l’Assemblée nationale. Il serait donc bon pour renforcer la pertinence du système, de coupler élections législatives et municipales.

L’Etat et les partis y gagnent ne serait-ce que dans l’économie d’argent. Ils y gagnent aussi par une meilleure implication aux côtés de la CENI pour éviter les suspicions de fraudes, talon d’Achille des scrutins en Afrique. En somme, la balle est dans le camp de tous les acteurs, Etat, CENI, partis politiques et citoyens électeurs.

A chacun de jouer sa partition. Le processus démocratique gagnera en maturité.

Djibril TOURE

L’Hebdo

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