Véritable caisse à armes ambulante, ce globe-trotter de la
déstabilisation des régimes a longtemps troublé le sommeil et
fait trembler plusieurs chefs d’Etat, notamment africains.

Des
Iles Comores en passant par le Bénin, le Biafra (Nigeria), le
Katanga, le Tchad et même le Yemen, Bob Denard, comme un
ouragan, a ravagé sur son passage plusieurs palais
présidentiels. Bob Denard comparaît actuellement devant le
tribunal correctionnel de Paris pour répondre d’une tentative de
coup d’Etat aux Comores en 1995.

Si Bob Denard a traîné ses
godasses partout, c’est que manifestement, il a été chaussé par
la France. Aux Comores, il poussera l’audace au point d’installer
son propre gouvernement et sa propre garde présidentielle.
Plusieurs fois, il a été libéré par des parachutistes français.

Plus
grave, si Bob Denard a réussi à recruter, armer des putschistes
et parcourir des distances pour accomplir ses forfaits, c’est avec
la caution des services officiels français. Va-t-on assister au
procès de la France, de Bob Denard ou à celui des deux ?
Autrement dit, le tribunal devra donner une réponse claire à la
question de savoir si Bob Denard avait agi seul, mû par sa
seule volonté, à la manière de Don Quichotte, de redresser les
torts, ou s’il était le bras armé d’une France surprise de voir son
empire néocolonial lui échapper, du fait des velléités
d’indépendance de certains dirigeants de ses ex-colonies.

Sans
préjuger des conclusions de ce procès, il faut rappeler que Bob
Denard avait été acquitté en 1999 par la cour d’assises de Paris,
suite à un procès intenté par la France contre lui, pour
l’assassinat du président comorien, Ahmed Abdallah. Il ne faut
pas oublier que les actes posés par Bob Denard en Afrique se
situaient dans la période de la guerre froide où la rivalité entre
l’Est et l’Ouest était vive.

Certains dirigeants africains avaient eu
le tort d’avoir voulu se laisser influencer par les thèses
marsistes-léninistes qui avaient pour foyers incandescents,
Moscou et Pékin. De quoi réveiller les réflexes et les nostalgies
néocoloniaux d’une France qui entendait continuer à
domestiquer son précarré dans une sorte de rapports du cheval
et du cavalier.

Ainsi, aucun régime français, qu’il ait été de gauche ou de droite,
n’a pu échapper à cette dialectique qui consistait à faire de
l’Afrique, au besoin par la force, un comptoir ou un mirador sur
lequel se juchait la France pour surveiller son domaine
géostratégique et géopolitique.

Pour un procès équitable et
crédible, et qui grandirait son image, la France gagnerait à ne
pas occulter le lien entre les actions répréhensibles de Bob
Denard en Afrique et celles de la politique postcoloniale
française sur notre continent. Encore faut-il que tout le monde
s’accorde sur la définition du mot mercenaire. Selon le mensuel
français, "Billets d’Afrique et d’ailleurs", le mercenaire est défini
comme "un soldat qui sert à prix d’argent, un gouvernement
étranger". Le journal ajoute que le mot soldat désignait à
l’origine celui qui est embauché et payé pour faire la guerre...

Vu sous cet angle, même si l’on se mettait dans l’hypothèse que
Bob Denard agissait seul, on ne saurait exclure la complicité
des autorités françaises, dans la mesure où rien n’a semblé
avoir été fait pour empêcher ce récidiviste d’accomplir ses coups
tordus en Afrique. Bien au contraire, la connivence entre Bob et
un certain Jacques Foccart, l’énigmatique et controversé homme
des réseaux mafieux, ce partenaliste fouettard qui savait
parfaitement manier la verge néocoloniale devant sa troupe,
était manifeste.

Malgré les contorsions diplomatiques de Paris,
les coups tordus de Bob Denard étaient trop gros pour être
exécutés par un individu.
Tout chef d’Etat africain qui ne dansait pas au tango de l’Elysée
était contraint à l’exil ou simplement liquidé comme ce fut le cas
au Comores.

De deux choses l’une : ou bien la France s’est
enfin décidée à se plier à son devoir de mémoire en
reconnaissant sa propre responsabilité dans les actes posés
par un de ses citoyens, ou bien elle écorne son image en
trimbalant et en condamnant un vieillard de 77 ans, atteint par la
maladie d’Alzheimer. En tout cas, même malade, Bob Denard
aura certainement les ressorts nécessaires pour rebondir et
affirmer qu’il agissait par procuration pour l’image et les intérêts
de la République française.

Mais, quelle que soit l’issue de ce
procès, il faut espérer qu’il mettra fin à une époque, celle où
Paris pouvait tout se permettre en Afrique. Si tel n’était pas le
cas, alors la France aurait raté l’occasion de regarder dans son
propre rétroviseur pour découvrir son tumultueux passé
néocolonial. Il serait cependant utopique de croire à la fin du
mercenariat.

Certains chefs d’Etat africains, se prétendant
démocratiquement élus, semblent avoir pris le relais des
grandes puissances au nom de la raison d’Etat. Sans états
d’âme, ils payent à prix d’or des mercenaires qui, comme des
trappeurs, prennent leurs primes au passage.

"Le fou"

Le Pays