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Ouganda : une déplorable exception

Publié le jeudi 23 février 2006 à 07h34min

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En principe, c’est aujourd’hui que les Ougandais se rendent aux
urnes pour désigner leur président. Pour la première fois depuis
plus de 20 ans, ils ont à choisir entre plusieurs candidats, celui
qui leur semble le mieux qualifié pour présider aux destinées de
l’Etat.

Mais pour bon nombre de citoyens du pays de Mutesa
(père de l’indépendance), notamment les militants des
formations politiques de l’opposition et les journalistes, cet
apprentissage du multipartisme ne se déroule pas dans de
bonnes conditions. En effet, depuis quelques mois, le pouvoir
de Kampala a mis en branle une batterie de mesures visant à
intimider l’opposition et à museler la presse indépendante.

C’est depuis sa prison que Kizza Besigye, principal adversaire
de Yoweri Museveni (président sortant), a signé, en début
décembre 2005, les documents officiels de son acte de
candidature. Accusé de trahison et de viol, il doit sa sortie de
prison qui lui a permis de battre campagne, à une décision de la
haute Cour de justice. Cette institution a estimé illégal le
précédent jugement de la cour martiale condamnant M. Besigye.
Mais l’élargissement du leader du Forum pour un changement
démocratique (FCD) était loin d’être la fin de ses ennuis
politiques.

A plusieurs reprises, des militants de sa formation
politique ont été victimes d’exactions de la part des forces de
l’ordre pendant la campagne électorale. Dans le pays de Yoweri
Museveni où tout opposant ou apparenté est assimilé à un
ennemi de la République et traité comme tel, il ne fait pas du
tout bon être membre ou proche de l’opposition. La presse de
son côté n’échappe pas à cette militarisation de la vie politique.

Emprisonnement de journalistes, intimidations diverses, mise
au pas des organes de presse ont émaillé toute la campagne.
Le fait le plus déplorable dans cette tentative de contrôle de la
presse par les autorités de Kampala, a été, sans doute, la
nomination du chef des services secrets du régime, Noble
Mayombo, au poste de président du Conseil d’administration du
principal quotidien public du pays, New vision.

Toutes ces
manoeuvres participent de la stratégie des dirigeants de
l’Organisation du mouvement de résistance nationale (O-MRN),
parti au pouvoir, d’assurer au président Museveni, dont la
popularité s’est émoussée, une victoire à l’issue du scrutin. En
effet, de nombreuses questions comme l’emprisonnement de
Kizza Besigye (ancien compagnon de lutte du président sortant),
la modification décriée de la Constitution permettant ainsi à
Museveni de se présenter pour un 3e mandat, la corruption et la
non-résolution du conflit du Nord, etc., rendent aujourd’hui
hypothétique une réélection du candidat de l’O-MRN.

Comme s’il
craignait le pire, le pouvoir ougandais semble avoir cru bon
d’activer des mécanismes dignes des Etats d’exception, foulant
au pied les principes élémentaires de la démocratie. Au point
que l’ouverture du multipartisme suite aux pressions des
bailleurs de fonds risque bien de ne pas produire les effets
escomptés, à savoir la liberté d’expression, l’alternance
politique, etc.

La multiplication des officines de sécurité, le
renforcement de l’emprise gouvernementale sur les médias et
autres démonstrations de force traduisent manifestement la
volonté du président sortant de conserver le pouvoir à tout prix.
Le plus étonnant dans cette situation ougandaise, c’est la
passivité, sinon la complicité des puissances occidentales
(Etats-Unis et Grande-Bretagne notamment) vis-à-vis du pouvoir
de Kampala. Elles qui n’ont pas hésité à qualifier Robert
Mugabé du Zimbabwe de dictateur pour avoir entrepris une
réforme agraire, et à prendre des sanctions économiques
sévères contre son pays.

La logique voudrait qu’elles observent
la même attitude de fermeté face à Yoweri Museveni. Au lieu de
cela, ce sont des condamnations verbales et timides qui sont
proférées contre l’ancien maquisard. Washington et Londres
semblent visiblement avoir choisi, pour des raisons
géostratégiques et économiques, de fermer les yeux. Pendant
ce temps, des défenseurs de la liberté d’expression chère aux
pays occidentaux, continuent de croupir dans les geôles
ougandaises. Il faut dire que l’Ouganda de Museveni constitue
un cas à part dans la situation actuelle des anciennes colonies
anglaises d’Afrique. Il a délibérément opté de ramer à
contre-courant du vent démocratique qui souffle sur les Etats
anglophones du continent.

De l’Afrique du Sud au Ghana en
passant par la Zambie, pour ne citer que ces cas, l’alternance
politique n’est plus un mythe. Seule consolation démocratique
du côté de Kampala, les velléités d’indépendance de certaines
juridictions qui n’hésitent pas parfois à aller à l’encontre des
directives du parti présidentiel. Mais elles sont généralement
étouffées dans l’oeuf par le président ougandais et ne suffisent
pas, à elles seules, à constituer un véritable contre-pouvoir au
régime Museveni. La situation politique de l’Ouganda
aujourd’hui est telle que l’on pourrait légitimement se demander
si elle est meilleure à celle du temps du parti unique.

Dans ce
contexte, le triomphe du parti présidentiel à ce scrutin paraît
irréversible, même s’ils sont aussi nombreux les observateurs
qui n’excluent pas un second tour. Mais en attendant, on ne peut,
dans l’intérêt supérieur de la paix dans le pays et la région, que
souhaiter que les opérations de vote se passent dans le calme,
la sérénité et la transparence.

"Le Pays"

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