LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Soyez un repère de qualité. Certaines personnes ne sont pas habituées à un environnement où on s’attend à l’excellence.” Steve jobs

Grèves estudiantines : Repenser l’Université africaine

Publié le mercredi 22 février 2006 à 07h43min

PARTAGER :                          

Aussitôt après l’université Cheikh Anta Diop de Dakar, c’est au
tour de celle de Saint-Louis d’être en proie à une poussée de
fièvre. En grève, les étudiants sénégalais réclament de
meilleures conditions de vie et de travail. Ils n’en sont pas à
leurs premières manifestations, car en 2000, les mêmes
mouvements d’humeur avaient paralysé le milieu estudiantin,
pratiquement pour les mêmes raisons.

Cette année encore, le
scénario a été reproduit presque à l’identique, où l’on a assisté
à une violation des franchises universitaires, suivie
d’affrontements entre forces de l’ordre et étudiants. Bilan des
échauffourées : des étudiants grièvement blessés. Ces
derniers, visiblement déterminés à aller jusqu’au bout de leurs
revendications, n’entendent faire de concessions que si
l’ensemble de leurs problèmes trouve des solutions,
c’est-à-dire la satisfaction d’une vieille plate-forme revendicative
qui ne date pas d’aujourd’hui.

A la fois compréhensible et pas surprenant est le coup de
colère de ces étudiants qui se disent désabusés.
Compréhensible, tout d’abord, au point que le Premier ministre
sénégalais dise comprendre les étudiants grévistes, tout en les
invitant à œuvrer pour un retour au calme. Compréhensible
ensuite, dans la mesure où - si l’information est avérée - ces
étudiants grévistes ne doivent pas consommer de la nourriture
avariée. C’est ce qui, d’ailleurs, aurait été l’élément déclencheur
de la fronde estudiantine. Comment former des étudiants de
qualité, si ceux-ci n’évoluent pas dans un cadre sain ?
Même si leurs revendications sont, dans l’ensemble,
défendables, ces étudiants doivent toutefois savoir raison
garder.

Ils doivent apprendre à mesurer à leur juste valeur les
efforts déjà faits par les autorités sénégalaises pour leur offrir
un cadre adéquat de travail. Autant il est vrai que pour espérer
le maximum, il faut placer la barre des revendications très haut,
autant il semble trop facile de demander à l’Etat sénégalais
d’aller vite en besogne. Car, ce n’est tout de même pas chose
aisée que de gérer une université qui compte l’impressionnant
effectif de 52 mille étudiants. Faire face à un effectif aussi
pléthorique n’est pas évident.

Ce n’est pas que des efforts n’ont pas été faits par l’Etat (même
s’ils ne sont toujours pas à la hauteur des exigences des
étudiants qui critiquent, par exemple, le fait de ne pas avoir
assez de professeurs et de matériels pour les travaux
pratiques) : bâtiments en construction (activités dans lesquelles
il aurait, en 5 ans, investi plus de 40 milliards de F CFA) pour
pallier le problème des effectifs pléthoriques, des restaurants
universitaires supplémentaires, si l’on en croit du moins le
ministre sénégalais de l’Education. Et puis, les étudiants
sénégalais devraient relativiser leurs souffrances dans la
mesure où tous ceux qui ne remplissent pas les conditions
d’excellence reçoivent au moins 60 000F CFA par an, soit une
marge financière de près de 20 milliards qui "est sans
équivalent dans toute la sous-région", si l’on s’en tient aux
propos du ministre.

C’est dire que, quoi qu’on dise, les autorités
ne dorment pas sur leurs lauriers. Pour autant, les grévistes se
sont-ils inscrits dans la logique du "réclamer tout et tout de
suite" ? Si oui, ils devraient faire preuve d’un peu plus d’esprit de
discernement en évitant d’être maximalistes. Toutefois, à la
décharge des étudiants en question, on peut se demander
pourquoi l’Etat n’a pas eu une vision prospective, face à un
nombre d’étudiants qui croissait, passant, en l’espace de cinq
années, de 20 mille à 52 mille ?

Certes, comme le relève le
ministre, ces problèmes sont extrêmement complexes. Mais
comment comprendre que les logements estudiantins soient
un "souci majeur" des autorités sénégalaises depuis
seulement deux ans, alors qu’un tel "souci", de même que bien
d’autres, constituent, depuis bien des années, une grosse
épine aux pieds de milliers d’étudiants ?
Le Sénégal consacre 40% de son budget à l’Education. Il y a de
quoi applaudir des deux mains. Mais il y a, parallèlement à cela,
que le nombre d’étudiants n’a de cesse d’augmenter.

Toute la
question est alors de savoir si ce budget-là est toujours en
phase avec le nombre croissant des étudiants ? Et si,
finalement, il n’y a pas lieu de le revoir à la hausse ? D’autant
que ces autorités affirment n’avoir jamais assez fait pour la
formation qu’elles estiment être un "investissement rentable", et
qu’elles disent miser sur la qualité des hommes.
La manifestation de ras-le-bol des étudiants n’est pas
surprenante aussi pour des raisons historiques.

L’université de
Dakar, comme le milieu sénégalais en général, a toujours été
un haut lieu de production et d’agitations d’idées. Elle est, par
conséquent, un grand foyer de contestations et de protestations.
Des bouillonnements et agitations qui, du reste, entrent dans la
longue tradition de l’université de Dakar.

A ce propos, on irait
même jusqu’à affirmer que de bouillantes personnalités du
monde politique africain et sénégalais en particulier ont fourbi
leurs armes de la harangue, de la rhétorique et de l’éloquence
dans cette université qui accueillait, dans le temps, beaucoup
de nationalités, et qui en accueille aujourd’hui une quarantaine.
Certaines d’entre elles auraient même donné des insomnies à
des dirigeants, tellement elles dérangeaient.
Cela a-t-il quelque peu été à la base de la création d’autres
universités dans la sous-région ? Une certitude : les atavismes
ont la peau dure.

Cela dit, une université publique paisible
n’existe pas, dans l’absolu. Qu’elles soient d’Afrique ou
d’Occident, beaucoup d’entre elles ont connu leur déferlante de
contestations. Une dialectique entre étudiants et autorités qui,
au fond, n’est pas mauvaise, si, bien sûr, la finalité est que les
choses bougent dans le sens à créer un meilleur cadre de
travail aux étudiants.

Reste que la plupart des universités africaines semblent à bout
de souffle pour ne pas être en mesure de faire face au flot sans
cesse croissant d’étudiants qui empruntent tout nouvellement le
chemin des amphithéâtres, et aux réalités nouvelles que ce
gonflement d’effectifs engendre. Face à l’environnement sans
cesse changeant, quel contenu est mis dans le programme de
coopération entre universités de la sous-région ?

Y est-il prévu
des actions de solidarité qui puissent conduire une université à
voler au secours d’une autre ? Face aux nombreux problèmes
qui les assaillent, l’état des universités africaines appelle une
réflexion approfondie et intégrée dans la zone ouest- africaine.
La nécessité de repenser l’Université africaine s’impose donc. Il
y va de la qualité de notre enseignement supérieur.

Le Pays

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique