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Soumane Touré : "Appel à la mobilisation citoyenne"

Publié le vendredi 17 février 2006 à 04h51min

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Dans la déclaration qui suit, Soumane Touré lance un "appel à la mobilisation citoyenne", car "l’histoire retiendra la responsabilité de chacun et de tous, et chacun sera comptable de ses actes". Même s’il est par endroits dépassé, car rédigé avant la décision prise mercredi en Conseil de ministres de reporter une nouvelle fois les municipales, l’écrit ne manque pas d’intérêt dans l’ensemble.

Avant la proclamation des résultats de l’élection présidentielle du 13 novembre 2005, pour dénoncer le caractère illégal et scandaleux du scrutin, le PAl avait adressé une lettre ouverte au président du Conseil constitutionnel le 24 novembre 2005. Dans cette lettre, largement diffusée dans la presse, le PAl avait développé quatre arguments imparables portant sur la CENI, ses démembrements et les bureaux de vote, sur le fichier électoral informatisé, sur l’exclusion des représentants des candidats ou des partis politiques des bureaux de vote et sur la manipulation des procès-verbaux. Sur la CENI, ses démembrements et les bureaux de vote le PAl écrivait :

Le PAl, dans une lettre ouverte au président de la CENl le 4 août 2004, demandait la dissolution des démembrements de la CENI qu’il venait de mettre en pIace, pour non-conformité aux dispositions de la Constitution et à celles du décret n°2000-333/PRES du 21 juillet 2000 promulguant la loi n°007-2000/AN du 25 avril 2000 portant statut de l’opposition. Nous démontrions que la CENI faisait application d’une loi non promulguée. Il s’en est suivie une polémique dans la presse, à laquelle est venu se mêler le secrétaire à la communication du groupe parlementaire CDP.

Le PAl a répliqué par une 2e lettre ouverte en septembre 2004 pour non seulement apporter les preuves légales de la justesse et du bien-fondé de sa demande de dissolution des démembrements de la CENI, mais aussi pour apporter la preuve qu’il n’était pas le seul à avoir formulé une telle demande au président de la CENI, puisque bien avant lui, le président de l’ADF/RDA, chef de file de l’opposition, dans sa lettre n°2004-008/ADF/RDA du 14 mai 2004 demandait aussi : « pour une question de principe et de respect des institutions, la suspension de la procédure jusqu’à la promulgation de la loi du 27 avril 2004 portant révision du code électoral... ». L’ADF/RDA, dans cette demande, était appuyée par dix partis de l’opposition non parlementaire.

Le président de la CENI, soutenu par le groupe parlementaire CDP à travers son secrétaire à la communication, a maintenu les démembrements de la CENI irrégulièrement mis en place, malgré les protestations de certaines organisations de la société civile.

Ce sont des démembrements de la CENI mis en place de façon illégale et irrégulière au regard des procédures constitutionnelles qui ont mené toutes les opérations ayant concouru au scrutin du 13 novembre 2005, les entachant toutes de ce fait d’illégalité et d’irrégularité constitutionnelles. Le plus grave est que la CENI avait donné la preuve qu’elle abdiquait toute indépendance en se mettant au service du CDP en contrepartie de la suppression des CERI, avec lesquelles elle était en conflit.

Aujourd’hui, tout le monde sait qu’il était possible juridiquement, en introduisant un recours d’obtenir l’annulation pure et simple du scrutin parce que les démembrements de la CENI qui ont effectué toutes les opérations y concourant avaient été mises en place de façon illégale, sur la base d’une loi qui n’avait pas été promulguée.

Mais compte tenu du climat de l’époque et du fait que les esprits n’étaient pas préparés à l’annulation de tout le scrutin présidentiel, et dans un souci pédagogique et de préservation de la paix sociale, le PAl s’était limité à interpeller le président du Conseil constitutionnel en ces termes : « Nous n’avons pas non plus voulu introduire une requête, parce que cela aurait pu être banalisé et classé comme des propos et des arguties de mauvais perdant.

Si nous avons pris sur nous de faire cette lettre ouverte, c’est parce que nous savons que constitutionnellement, vous êtes le dernier recours pour sauver notre processus démocratique. Au vu de manquements et d’insuffisances moins graves lors du scrutin des législatives de 2002, la Chambre constitutionnelle de la Cour suprême dont votre institution prit la place avait fait des recommandations. Nous espérons que vous en ferez autant pour donner une crédibilité à notre processus démocratique, sinon aujourd’hui, personne, pas même ceux qui ont gagné, ne croit à la sincérité du scrutin et des chiffres provisoirement proclamés ».

Un encouragement à continuer dans l’égalité (1)

A la proclamation des résultats de la présidentielle, le Conseil constitutionnel a fait des recommandations. Le PAl a estimé que le Conseil constitutionnel avait compris son message même si ses réactions et ses recommandations manquaient de fermeté. C’est cette absence de fermeté qui a été interprétée comme un encouragement du président de la CENI à poursuivre dans ses manquements aux lois et aux dispositions constitutionnelles.

C’est alors qu’il s’est payé le luxe de prendre un arrêté pour prolonger la vie des démembrements installés illégalement depuis 2004, sans que ni la Constitution, ni aucune loi ne l’y autorisent, et de se donner le droit d’interpréter selon son bon vouloir l’article 246 de la loi portant Code électoral, ce qui a suscité une réaction indignée et vigoureuse du PAl par une lettre ouverte le 4 janvier 2006, diffusée largement par la presse.

Le PAl salue la clairvoyance et l’esprit républicain du Président du Rassemblement politique nouveau (RPN), qui a produit des recours auprès du Conseil constitutionnel pour stopper les dérives du Président de la CENI. Il salue le courage et la fermeté dont le Conseil constitutionnel a fait montre dans ses deux décisions suivantes :
Décision n°2006-001/CC/EM portant annulation de l’arrêté n°2005¬055/CENI/SG du 13 décembre 2005 portant reprise des activités des démembrements de la CENI ;
Décision n°2006-002/CC/EM déclarant illégal le refus de la Commission électorale indépendante de l’arrondissement (CElA) de Bogodogo de recevoir le dossier de candidature du Rassembleraient politique nouveau (RPN).

La première décision du Conseil constitutionnel est simple, claire et précise en son article 2 :« L’arrêté 2005-055/SG du 13 décembre 2005 portant reprise des activités des démembrements de la Commission électorale nationale indépendante (CENI) est contraire à la loi n°014-2001/AN du 3 juillet 2001 portant code électoral ; en conséquence ledit arrêté est déclaré nul et sans effet ». La deuxième décision du Conseil constitutionnel est elle aussi simple et claire en son article 3 :

« Le dossier de candidature du RPN doit être reçu par la CEIA de Bogodogo, contre récépissé, sans que cela ne préjuge de sa validité » ; ce qui veut dire que l’interprétation restrictive et erronée que le président de la CENI a faite de l’article 246 du code électoral et consignée dans sa lettre n°2005-511/CENI/SG du 23 décembre 2005 portant directives relatives à la réception des déclarations de candidatures aux municipales est nulle et de nul effet. On se rappelle que l’application de cette directive a donné lieu à des empoignades entre les partis politiques et la CENI et ses démembrements, et a suscité un important contentieux qui engorge les tribunaux administratifs et le Conseil d’Etat.

Il faut tout reprendre

Les deux décisions du Conseil constitutionnel sont salutaires et sans appel ; elles sont une aubaine pour mettre à plat tout ce qui avait été fait de travers dans le cadre des préparatifs de la tenue des élections municipales. Il faut donc tout reprendre conformément à la loi. Par conséquent, le débat sur un report ou non des élections municipales est sans objet. En vérité, la décision du Conseil constitutionnel frappe de nullité les démembrements de la CENI et les actes posés par ceux-ci ; elle entraîne donc le report des élections municipales du 12 mars 2006.

Le débat ne doit même pas porter sur la durée du report, mais plutôt sur ce qu’il faut faire et comment le faire légalement pour aboutir à la tenue du scrutin des municipales dans la légalité, la transparence et l’équité. Tout au plus, nous comprenons ceux qui parlent de coupler les municipales et les législatives qui doivent avoir lieu en 2007, car cela a l’avantage d’apaiser et de donner des délais suffisants pour réaliser sereinement et correctement les opérations concourant à la bonne tenue du scrutin, en évitant les précipitations préjudiciables au processus en cours.

Le PAl et d’autres partis politiques, comme des organisations de la société civile, ont chacun à sa façon tiré la sonnette d’alarme sur le manque de fiabilité des opérations, notamment le recensement des électeurs et l’établissement du fichier électoral national (cf. lettre ouverte du PAl au Président du Faso, relative à la publication et à l’affichage des listes électorales), la mise en place des démembrements de la CENI, l’implantation des bureaux de vote et la délimitation correcte des circonscriptions électorales par le MATD dans le cadre des élections locales.

L’organisation des élections municipales doit être reprise pour être conforme à la loi et aux revendications légalement fondées de l’ensemble de la classe politique. Au lieu d’emprunter la voie indiquée par le Conseil constitutionnel, le gouvernement, devant toute la classe politique invitée le 14 février 2006 dans la salle de conférences du ministère des Affaires étrangères, annonce qu’il va prendre des décisions en usant de ses prérogatives constitutionnelles pour introduire un projet de loi en vue de modifier des dispositions du code électoral, dans l’unique but d’exonérer rétroactivement le président de la CENI de sa responsabilité d’avoir violé la loi.

Nous ne saisissons pas bien ce qui sous-tend cette manœuvre de décrédibilisation du Conseil constitutionnel, mais il s’agit d’une violation de la Constitution en ce que ce serait refuser de reconnaître la place du Conseil constitutionnel dans le dispositif du jeu institutionnel républicain, et c’est bafouer ses prérogatives. C’est pourquoi, le PAI, à travers son représentant à cette rencontre, s’en est démarqué pour s’en tenir à la décision du Conseil constitutionnel et des conséquences de droit qui en découlent.

Le gouvernement étale ses carences au grand jour

Nous ne savons pas non plus pourquoi, brusquement, le gouvernement n’admet plus toute idée de report des élections municipales, d’autant plus qu’à son initiative et pour impréparation grave reconnue par lui, mais sur la base d’arguments prétendument techniques, il a effectué deux reports : d’abord en inversant les scrutins, entraînant le report des municipales de septembre 2005 au 12 février 2006, puis une deuxième fois, du 12 février 2006 au 12 mars 2006.

Le gouvernement réalise-t-il seulement que, par les impréparations et les manquements à la loi du MATD et de la CENI, sont étalées au grand jour ses carences et ses insuffisances dans l’organisation des scrutins ? La classe politique entretenait déjà une suspicion légitime vis-à-vis des actions du gouvernement dans le processus électoral. Par ses deux décisions, le Conseil constitutionnel a donné une base légale à cette suspicion.

C’est dire donc qu’il est interdit au gouvernement toute action hasardeuse et précipitée, car même s’il lui venait de vouloir s’imposer, d’autres recours devant le Conseil constitutionnel pour des manquements à la loi dans les opérations de préparation du scrutin pourraient l’amener à revenir sur ses pas, donc à se chercher encore des délais. En effet le Conseil constitutionnel, dans sa décision n°2006-CENI déclarant illégal le refus de la Commission électorale indépendante de l’arrondissement (CEIA) de Bogodogo de recevoir le dossier de candidatures du Rassemblement politique nouveau (RPN), se dit compétent en disant ceci :

« Considérant que le code électoral apporte une clarification dans ce partage de compétence, en réservant spécialement aux juridictions administratives la connaissance des recours contre l’éligibilité d’un candidat (article 259), des recours contre la régularité du scrutin (article 260) et des recours contre la régularité du dépouillement (article 261), tout en laissant par interprétation déductive compétence au Conseil constitutionnel de connaître de tous les actes préparatoires qui ne rentrent pas dans les champs d’application des articles 259, 260 et 262. Le gouvernement est donc prévenu.

Il ne peut plus faire ce qu’il veut quels que soient les prétextes techniques, il ne doit faire que ce qui est légal et propre. L’impréparation et la non-fiabilité des opérations concourant au scrutin sont les revendications de la classe politique et cela militait déjà pour un report. Maintenant que les décisions du Conseil constitutionnel qui sont sans appel prescrivent le report, nous ne comprenons pas pourquoi le gouvernement décide de s’arc-bouter sur des délais pour la tenue de ces élections et de s’opposer aux décisions du Conseil constitutionnel au point de vouloir se lancer délibérément dans une violation de l’esprit et des dispositions de la constitution relatives au Conseil constitutionnel.

Chacun sera comptable de ses actes

Il y a péril en la demeure, car la crédibilité de notre processus démocratique et l’Etat de droit républicain sont en danger. C’est pourquoi, le PAI lance un appel à la mobilisation citoyenne, qui ne doit laisser personne indifférent car l’histoire retiendra la responsabilité de chacun et de tous et chacun sera comptable de ses actes.

Cet appel s’adresse à l’ensemble des citoyens de notre pays mais particulièrement :
à l’ensemble de la classe politique, sans sectarisme, car l’acte salutaire posé par l’un des derniers-nés des partis politiques en l’occurrence le RPN prouve si besoin en était qu’en acceptant de s’assumer et d’assumer courageusement et honnêtement ses responsabilités, tout parti politique peut contribuer à l’animation saine de la vie politique nationale comme la prescrit la constitution ; la classe politique doit savoir que ce dont il est question sur le report des élections, c’est la légalité des opérations devant concourir à la tenue d’un scrutin légal, équitable et transparent ;

à tous les groupes parlementaires, c’est-à-dire à chaque député et à l’ensemble des députés pour qu’ils assument de façon républicaine leur rôle de législateur et de contrôle de l’action gouvernementale, afin qu’ils travaillent dans le sens de l’ancrage de notre processus démocratique et de la consolidation de l’Etat de droit ; c’est le lieu de mettre sur pied des commissions d’enquête parlementaire sur la gestion de la CENI et sur la conduite de la décentralisation par le _MATD avant d’accepter tout projet de loi que le gouvernement viendrait à introduire sur à l’organisation des élections ;

à toutes les organisations de la société civile dont la responsabilité est fortement engagée par la CENI et ses démembrements qui les rendent comptables des manquements et des dérapages de notre processus démocratique puisque la loi électorale leur confie la présidence de la CENI et de tous ses démembrements (article 10 alinéa 2, article 15, article 23 alinéa 2 et article 25 alinéa 2) ;

au Conseil constitutionnel, au Conseil d’Etat et aux tribunaux administratifs dans la mesure où leurs décisions dans les contentieux qui leur sont soumis sont importantes non seulement pour l’ancrage de notre processus démocratique, mais aussi et surtout pour la préservation et le maintien de la paix sociale, car les élections mal organisées sont à l’origine de nombreuses guerres civiles en Afrique ;

aux structures de contrôle que sont la Cour des comptes, l’Inspection générale d’Etat, la Haute autorité de lutte contre la corruption, la Commission nationale d’éthique pour arrêter la dilapidation des deniers publics dans notre processus électoral et pour lui éviter des blocages à la béninoise dans la mesure où des milliards sont engloutis pour des résultats peu fiables, tels ceux de la confection du fichier électoral national.

Mobilisons-nous pour sauver et crédibiliser notre processus démocratique et pour la consolidation de l’Etat de droit ! Mobilisons-nous en vue d’obtenir le respect des institutions républicaines, de la Constitution et des lois !

Mobilisons-nous pour des scrutins légaux, équitables et transparents ! Mobilisons-nous afin que ne soient pas décrédibilisés aux yeux de l’opinion nationale et internationale, nos institutions républicaines et notre processus démocratique avec le risque d’ouvrir une crise politique majeure !

Pour le bureau exécutif central

Le secrétaire général,
Soumane Touré

(1) Les intertitres sont du journal

Observateur Paalga

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