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Enseignement : La pédagogie occulte des villes

Publié le mardi 3 février 2004 à 06h53min

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L’exceptionnelle concentration humaine provoquée par l’urbanisation rapide des localités a, entre autres avantages ou inconvénients, créé sur des espaces géographiques parfois confinés, une forte demande de services et produits divers à laquelle une multitude d’acteurs économiques s’efforce de répondre comme elle peut.

A la différence de la demande qui, la plupart du temps reste muette, l’offre en revanche a besoin d’être exprimée en vue d’attirer l’attention ou simplement susciter l’intérêt. C’est ainsi qu’on peut noter dans les grandes villes un foisonnement de panonceaux, réclames et enseignes de tous types dont les objectifs sont pratiquement les mêmes à savoir : proposer des produits ou des services, indiquer une place, annoncer un événement etc. A cela s’ajoute, au gré des manifestations, des banderoles et autres affiches ayant elles aussi leur lot de messages à délivrer aux passants. Le résultat de toutes ses initiatives est que partout en ville, il y a à lire.

Ici, le problème majeur est que ce paysage scriptural insidieusement présent, comporte dans plus de 60 % des cas, des fautes graves, des altérations, des non-sens, des erreurs et autres qui ne sont pas sans effet sur les citadins. En effet, hormis les analphabètes (y compris ceux qui sont montés en voltige via bantaaré) et les lettrés de niveau supérieur, cette pédagogie de la rue affecte négativement une bonne frange du lectorat avec en tête de liste les élèves des enseignements primaires et de plus en plus, une bonne partie de ceux des enseignements secondaires.

A terme, on peut redouter pour ceux-ci une perte de la maîtrise de la langue française, perçue comme langue de grande communication et d’acquisition du savoir contemporain. Le déjà vu est une forme d’apprentissage d’autant plus redoutable, qu’il incruste la chose perçue non pas dans l’intelligence mais plutôt dans l’inconscient duquel elle devient inexpugnable.

A titre d’exemple, on a vu des turfistes, totalement illettrés au départ, qui se sont montrés capables au bout de quelques années, de tracer correctement les chiffres des combinaisons sur lesquelles ils entendent miser à force de déjà vu. Or, ces turfistes, déjà adultes pour la majorité, apprennent moins vite que les enfants qui eux, en pleine éclosion, sont curieux de tout, lisent tout et mémorisent tout. Si le paysage scriptural des villes reste tel qu’il est avec toutes les insuffisances qu’on lui connaît, alors il y a fort à parier qu’on notera dans les années à venir, une baisse notable du niveau et de la qualité de la langue lue et parlée.

Sans être un francophil invétéré, on ne peut pas s’empêcher de sursauter surtout lorsqu’on a été à bonne école, en lisant des messages du genre :
« - ici proc au fourre - minis villas à louer - trouné la prochaine route àdroite - bon taillieur sans pour sans - café chaut - véné mangé voire etc. »

Ce jeu de massacre confine à la poésie chez les tradipraticiens qui, ayant trop à dire sur peu de place, sont passés directement aux dessins.
Aussi, on peut voir côte à côte une bouche grande ouverte présentant une dent gâtée, une paire de fesses avec, dessous, quelque chose symbolisant le décollage d’une fusée, un pied, un œil avec de temps en temps quelques mots en clair, genre « kôkô, jokajo », : le tout composant un message de choc sous lequel s’installe paisiblement notre quimboiseur.
Sans commentaire !

Dans tous les cas, il se fait comprendre. Pour le reste…
Seulement, ce reste-là va poser problème si rien n’est entrepris pour remanier cet enseignement par la vue.
Dans quelques mois se tiendra ici le sommet de la Francophonie et c’est peut-être l’occasion rêvée pour lancer un micro-projet à très faible budget grâce auquel des équipes procéderont au recensement et à la correction de certains messages proposés à la sagacité des citoyens.
Ce serait une action salutaire qui aura entre autres avantages de nous soustraire tous à un occultisme qui ne dit pas son nom.o

Par Luc B. NANA
L’Opinion

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