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Caricatures du Prophète Mahomet : La rançon du « négationisme »

Publié le lundi 13 février 2006 à 08h00min

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Voilà bientôt deux semaines que ce qu’il faut appeler l’affaire des caricatures du prophète Mahomed ne cesse de défrayer la chronique sur fond de manifestations violentes à travers le monde arabo-musulman. Une situation qui n’aurait peut-être pas été, si ladite « affaire » n’était intervenue dans un contexte politique mondial marqué par le refus de l’autre sur fond d’intérêt économique et géostratégique.

Chrétienté et islam sont des civilisations-sœurs, puisant aux mêmes sources : la révélation et la prophétie juives d’un côté, la science et la philosophie grecques de l’autre. Pendant presque toute leur histoire, elles se sont heurtées, mais elles ont toujours révélé une foncière parenté. Cependant, les deux religions n’en présentent pas moins de grandes différences au-delà de celles doctrinaires et culturelles. Les plus profondes de ces différences résident dans l’attitude de ces deux religions et de leurs représentants à l’égard des rapports entre la politique, la religion et la société.

Alors que Jésus recommandait de rendre à « César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu », Mohamed (PSL) créa son propre Etat où sa doctrine était seule de mise. Dès le départ donc, il n’y a pas de séparation entre la mosquée et l’Etat, le spirituel et le temporel. Le « .regnum » et le sacerdotium se rejoignent en islam.

Dans l’Etat islamique universel tel que le conçoivent les musulmans, au-delà du calife commandeur des croyants, il y a Dieu, unique souverain et unique, source du droit et Mahomed est son prophète. Vérité religieuse et pouvoir politique sont indissociables. La sharia, la loi divine, traite de l’accession au pouvoir et de son exercice, des devoirs respectifs du souverain et de ses sujets, ce que les Occidentaux appellent droit constitutionnel et philosophie politique. Mutatis mutandis, les Etats arabo-musulmans sont bâtis sur ces certitudes pour ne pas dire ces vérités multiséculaires culturelles.

C’est le refus des néoconservateurs de Washington de reconnaître aux musulmans ce « trait culturel » qui conduit à toutes ces dérives. Dérives assumées comme en Irak et en Afghanistan à défaut d’être « éradiquées », les enjeux économiques et géostratégiques étant par ailleurs immenses. Au-delà du pétrole qui à lui seul, vaut la chandelle, on imagine les milliards de dollars que l’ouverture culturelle de l’Arabie et de la Perse pourrait apporter à des secteurs comme la cosmétique, la haute couture...bref le tertiaire occidental.

Bagdad vaut bien une « croisade » même ensanglantée, tout comme Kaboul et peut-être Damas et Téhéran, ces deux dernières capitales étant devenues le bastion de la résistance depuis la chute de Saddam Hussein.

Le choc des ignorances

Car, et l’on s’en doute, le monde arabo-musulam refuse d’assister sans lutter à cette négation des fondements même de sa civilisation. Du Premier ministre iranien Mossadegh déposé en 1953 pour refus de « collaborer » avec Hussein, en passant par Nasser, Hafez El Assad, Khomeiny, le monde arabo-musulman a eu ses « raïs » (dirigeants) qui ont incarné le refus de capituler. Au fur et à mesure que le pétrole devenait un enjeu économique mondial et drainait nombre d’Occidentaux en terre sainte d’Arabie, le discours « islamiste » s’est radicalisé. Pour les adeptes de Ben Laden, l’Arabie est « pillée » et ses dirigeants « assujettis » pour assouvir les objectifs religieux et économiques de l’Occident.

Sans oublier les enjeux géostratégiques qui se résument à la protection du « petit-frère » israélien. Une « plate-forme » qui ratisse large dans des contrées où, en dépit des immenses ressources pétrolières, le chômage et la misère sévissent. Face à ce qu’ils considèrent comme des attaques gratuites (cas du nucléaire iranien, dossier irakien, Damas dans l’œil du cyclone) les Arabes se mobilisent donc et, le remodelage du Proche et Moyen-Orient, initié par George W. Bush est en train de produire des effets contraires.

Des législatives égyptiennes avec la percée des Frères musulmans à celles palestiennes où le Hamas a triomphé sans coup férir en passant par l’Iran, l’Irak, le Koweït et l’Arabie Saoudite, les « intégristes » ont pignon sur rue.

L’axe Damas-Téhéran apparaît dans cette nouvelle donne comme la tête de proue de la résistance et l’on comprend l’ire de l’Amérique à l’endroit de ces deux pays. Dans la politique de protection du « petit-frère » isralien, la chute de Damas et de Téhéran signifierait, du même coup, l’affaiblissement du Hezbollah libanais et par ricochet, celui du Hamas, ennemi juré d’Israël. La théorie des dominos chère à Henry Kissinger (ex-secrétaire d’Etat américain) refait donc surface. Deux différences cependant, la première et la plus importante résidant dans le fait que le Proche et Moyen-Orient n’ont rien à voir avec l’Amérique latine.

Seconde différence, même s’il est devenu un allié circonstanciel, Moscou n’entend pas moins faire entendre sa différence chaque fois que de besoin, ce qui a été constaté dans le dossier du nucléaire iranien et après la victoire du Hamas. Dans ce dernier cas de figure, Moscou a clairement laissé entendre qu’il fallait « aider » le Hamas à gagner la paix avec Tel-Aviv, alors que ses « alliés » occidentaux appelaient ce même Hamas à revoir sa plate-forme politique, avant tout dialogue. Lequel Hamas a, lui, indiqué que s’il était prêt à mettre de l’eau dans son vin, il n’en tenait pas moins à Jérusalem-Est comme capitale du futur Etat palestinien.

Une position, qui horribile le haut clergé juif et conséquemment, tous les faucons du judaïsme. C’est dire que le chemin de la paix est encore long en terre sainte de Palestine. C’est dans ce climat politico-idéologique d’intolérance des deux côtés que l’affaire des caricatures est survenue, toute chose qui ne pouvait que lui donner de l’ampleur. Le « choc des ignorances » ainsi que l’avait qualifié Blaise Compaoré à Lyon en avril 2004, se poursuit donc, avec d’immenses dégâts collatéraux. Qui a dit que l’ignorance était la mère de tous les maux ?

Boubakar SY
Sidwaya

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