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Un éducateur social demande la réforme de l’école coranique

Publié le lundi 13 février 2006 à 07h53min

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En contribution à l’article sur « la mendicité des talibés », l’un de nos lecteurs, en l’occurrence M. Yamba Dipama, éducateur social en service à la Croix-Rouge burkinabè, nous a envoyé cet écrit. L’homme fait la relation entre les enfants de la rue et les talibés en appelant les uns et les autres à réformer l’école coranique, et à l’adapter à notre époque actuelle. Lisez plutôt.

Monsieur le directeur général, je viens par la présente, vous présenter tous mes vœux les meilleurs pour cette nouvelle année, souhaiter longue vie à votre journal et à vous même et profiter partager avec vous, et à travers vous tous vos lecteurs, un fait qui nous concerne tous et que, si l’on ne fait gare, va « nous bouffer » un jour ou l’autre.

Monsieur le directeur, ce fait, c’est « le phénomène des enfants de la rue et dans la rue ». Si vous vous promenez dans Ouagadougou, vous les verrez au niveau des feux tricolores le jour, soit en train de quémander avec des boîtes, soit en train de proposer des services qui laissent à désirer aux passants, ou encore se promenant partout et ramassant tout ce qui leur tombe sous la main. On les voit au niveau des restaurants, ramassant les restes des repas, se bousculant autour des plats mal terminés par les clients, ou encore sifflant de la dissolution , fumant de la cigarette ou même de la drogue, achetée avec l’argent quémandé.

La nuit, vous les trouverez couchés au bas des immeubles en construction, sur les tables des restauratrices, sous les halls des maisons près des maquis, ou à la belle étoile, en train de « zoquer » ( c’est-à-dire dormir dans leur langage codé qui veut dire « tomber » en mooré) normalement, sans se soucier de ce qui peut leur arriver là-bas. On les trouve, petits comme grands, les grands faisant semblant de protéger les petits, mais la réalité est tout autre. Le grand problème est qu’on en trouve de plus en plus petits, 5 ans, 8 ans, 12 ans...

Mais qui sont donc ces enfants, d’où viennent-ils, pourquoi sont-ils là, qu’est-ce qu’il faut faire pour les sortir de là, quelles peuvent être les conséquences de ce phénomène sur toute la population ? C’est justement parce que les conséquences d’un tel phénomène peuvent toucher tout le monde monsieur le directeur, que nous nous faisons le devoir de vous adresser cette lettre, pour attirer l’attention de l’opinion publique et susciter un autre regard envers ces enfants dit « de la rue ». Ces enfants que vous voyez dans les rues, y sont très généralement à la faveur d’événements divers.

Vous y trouverez des orphelins du Sida, ou des orphelins tout simplement, des enfants issus de mariages disloqués, des enfants qui y sont parce que les parents les frappent tous les jours, des enfants incestueux, des enfants dont les parents ne s’entendent pas, des enfants issus de familles pauvres et qui y sont à cause de cette pauvreté, des enfants issus de familles riches, des enfants de fonctionnaires, des enfants de cultivateurs, des enfants récalcitrants, des enfants paresseux, etc. et des enfants issus de l’école coranique ou enfants talibés, ou encore enfants « garibous ».

Cette dernière catégorie d’enfants, constitue 44% des enfants de la rue. Et c’est de cette frange que nous voulons parler aujourd’hui. Loin de nous, l’idée de nous attaquer à une religion, mais nous voulons seulement faire partager notre point de vue et démontrer que c’est quelque chose qui nous concerne tous.

Monsieur le directeur, la pratique de l’école coranique telle qu’elle est actuellement, à notre sens, devrait être revue dans le sens de la rendre beaucoup plus profitable à nos enfants car sa pratique actuelle nous fait plus de mal que du bien. Apprendre à lire les saintes écritures est très louable et vivement conseillé. Mais voyons comment la pratique actuelle, favorise la présence des enfants dans la rue selon nous.

La plupart des parents envoient leurs enfants très loin d’eux pour l’école coranique, et cela pour quelques années. Un père de Tenkodogo peut envoyer par exemple son enfant à Bobo, un de Fada à Ouahigouya, un de Kaya à Gourcy ou un de Garango à Gourcy etc. Ainsi un seul maître coranique peut se retrouver avec plus de vingt, trente, voire quarante enfants à sa charge, sans oublier sa propre famille à lui.

Seulement, les parents qui envoient leurs enfants ; n’envoient rien pour soutenir le maître dans la prise en charge des enfants. Ils ne donnent pas de riz, pas de maïs, pas d’argent aux enfants, de telle sorte que le maître coranique est le seul à s’occuper de la santé des enfants de leur hébergement, de leur habillement, de leur alimentation, de leur hygiène, en somme, de leur tout. Or il ne faut pas oublié que très souvent, les maîtres coraniques ont aussi leur propre famille à s’occuper en plus des enfants.

Que voulez-vous qu’il fasse pour s’en sortir puisse que les parents ne donnent rien pour l’aider ? Il est obligé de les faire sortir, pour quémendier, ou encore de faire un grand champ où les enfants doivent travailler comme des esclaves pour pouvoir les nourrir. Et c’est dans ça que beaucoup d’enfants vont fuir de chez le maître, pour ne plus retourner à la maison car en partant, les parents leur ont dit ceci « si tu ne finis pas d’apprendre le coran, je ne veux pas te voir chez moi » .

Comme il sait qu’il n’a pas fini et que le maître peut en informer à son père, il reste dans la rue, en contact avec ceux qui y sont déjà et le tour est joué. Pour ceux qu’on envoie pour quémander avec des boîtes, le contact avec les anciens de la rue est très direct ,et de jour en jour, les enfants s’habituent et finissent par abandonner le maître pour élire domicile dans la rue avec les autres car ils y ont pris-goût, et ne veulent plus retourner à la maison. Voilà donc monsieur le directeur général, quelques faits de la pratique qui favorisent l’entrée des enfants dans la rue et si l’on n’y prend garde, peuvent devenir de grands bandits, des coupeurs de routes et autres, et rendre la vie impossible à tous.

Monsieur le directeur, voilà mon cri de cœur. A qui la faute à qui ? Est ce que quand on a faim on peut apprendre quelque chose ? Est ce que quand on est malade on peut apprendre quelque chose ? Est ce que quand on est nu, on peut apprendre quelque chose ? Est ce quand on ne sait pas où est son enfant, on peut rester et dormir tranquillement sans se soucier ? Pensez-y.

Quand vous sortez la nuit pour voir comment ces enfants dorment nus dans le froid, à la merci des moustiques, sous la pluie, collés aux murs des immeubles, tout grelottants et si petits, tout sales et pleins de poux ou couverts de gale, la tête pleine de cheveux non coiffés et si l’on pense qu’ils ont des parents qui eux ne se soucient même pas d’eux, cela fait très mal. Pout notre part, la faute est très largement partagée et elle est beaucoup plus perceptible chez les parents.

C’est comme si les parents profitaient de l’école coranique pour jeter au loin leurs enfants, et se décharger d’eux, pour le seul maître qui n’a pas encore fini avec ses propres problèmes. Certains parents même n’apprennent que la mort de leurs enfants pour chercher la maison du maître, afin de connaître et de voire la tombe de leur enfant. C’est écoeurant.

Il y a donc nécessité de reformer l’école coranique et l’adapter à notre époque actuelle, pour le bonheur des enfants et de tout le monde, car l’enfant est l’homme de demain. Cela nous concerne tous, monsieur le directeur. La publication de cet écrit témoignera de votre engagement pour la cause des enfants.

Je vous en remercie à l’avance.

Yamba DIPAMA
Educateur Social au CAERS de la Croix-Rouge
tél. : 50 37 12 87/ 76 63 91 90

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Vos commentaires

  • Le 13 février 2006 à 11:36, par TIENTEKA Karim En réponse à : > Un éducateur social demande la réforme de l’école coranique

    Bien parlé M. DIPAMA ; je suis tout à fait d’accord avec votre réflexion.
    Tout en restant dans le même ordre d’idées, c’est-à-dire, les enfants "talibés", voici ma contribution qui porte surtout sur des propositions de solutions.

    Nous vivons tous dans une société où chacun à des droits et des devoirs ; l’état est par excellence l’organe régulateur de toutes nos aspirations, par conséquent il est de son devoir d’apporter des solutions à tous nos problèmes de société. Malheureusement les moyens lui faisant defaut, certains maux de la société demeurent de vrais casse-têtes ; le cas des "talibés" est-il dans ce cas ?

    Pourquoi ne pas convoquer une table ronde impliquant tous les acteurs directs (parents, maîtres coraniques, communauté musulmanne et les structures habilitées de l’état) pour discuter du problème et formaliser cette école ; ainsi l’état pourra par la suite prendre des mesures coercitives contre la mendicité des "talibés" ? Ce n’est peut-être pas si simple que ça au regard du caractère "réligieux" du phénomène, mais il faut tôt ou tard faire quelque chose.

    Mon idée ne vise pas une ingérance de l’état dans les affaires réligieuses, mais d’amener les pratiquants (de toutes les réligions) à prendre conscience de leurs responsabilités vis à vis de notre société sur certaines formes de pratiques religieuses ; ils pourront ainsi proposer eux-mêmes à l’état, des solutions dans la mesure de ses capacités afin qu’il les aident à résoudre ces problèmes (solutions administratives, juridiques ou si possibles financières).

    Je propose que la communauté musulmane mette en place des commissions sur toute l’étendue du territoire à travers ses répresentations ; ces commissions délivreront des attestations aux maîtres coraniques sur la base de critères qu’elles définiront consensuellement ; ceci permettra aux titulaires de ces attestations de demander aux structures habilitées de l’état des autorisations d’ouverture d’écoles coraniques qui devra à son tour répondre à des critères propres à la pratique de l’islam, incluant entre autres l’obligation de participation des parents à l’éducation de leurs enfants, la sédentarisation des écoles, l’éxoneration fiscale (pourquoi pas), le droit d’accès aux programmes ou organismes publics de financements des écoles (s’il y en a), etc.

    Mieux, je propose que la communauté musulmanne sollicite l’aide des fidèles musulmans et des bonnes volontés pour instituer "une mosquée, une école coranique" : les élèves coraniques pourront résider chez leurs parents et suivre l’enseignement réligieux dans les dites mosquées. Cela est possible et plus profitable pour tout le monde ; cette formalisation contibuera à extraire de notre réligion les abus et toutes les formes avilissantes de l’homme, condamnées par le saint coran.

    De Abdoul Karim TIENTEKA s/c 01 BP 1582 Ouaga 01 <hottienteka@hotmail.com>

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