LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

Elections municipales : "Non à un report sournois"

Publié le mercredi 8 février 2006 à 07h36min

PARTAGER :                          

Va-t-on vers un nouveau report des élections municipales ? Cette question que nous posions dans notre édition d’hier n’a encore trouvé la réponse officielle que déjà la classe politique bouge. Comme peut en témoigner cette prompte réaction de Marlène Habata Zébango, vice-présidente de l’UNDD et député à l’Assemblée nationale.

L’Observateur Paalga a annoncé, dans son numéro 6573 du 7 février 2006, la possibilité d’un report des élections municipales suite à une décision du Conseil constitutionnel condamnant la CENI pour n’avoir pas procédé, conformément à la loi, au renouvellement de ses structures avant les élections et à de nouvelles prestations de serments.

Evidemment, si ceux qui ont piloté la procédure, depuis la confection des listes jusqu’à leur validation, n’avaient pas pouvoir de le faire, la conclusion logique, ce serait qu’il faut reprendre obligatoirement tout le travail d’autant plus que la décision du Conseil constitutionnel est sans appel.

Je trouve que c’est un beau gâchis qui pose beaucoup de problèmes, non seulement par rapport à la responsabilité de ceux qui sont à la tête de la CENI, mais aussi par rapport au préjudice que subissent les partis politiques à cause de la CENI, et d’une manière générale, en raison de la mauvaise gouvernance du pouvoir. Mais il se trouve tout particulièrement qu’il faut regarder de près ce qui est annoncé, parce que cela peut cacher une entourloupe.

En effet, il y aurait dans cette décision anguille sous roche, que ça n’étonnerait pas ! Nous sommes au Burkina Faso, où l’expérience montre que lorsque de telles annonces sont faites dans les médias, il y a généralement un coup fumeux qui suit. L’opposition doit sortir de sa torpeur et arrêter d’encaisser, car elle dessert la démocratie. Pour ma part, je dis que s’il faut condamner la CENI, il faut le faire de façon franche en considérant le travail fait en amont et en aval sans s’en tenir à un seul aspect de ce travail.

Je veux dire qu’il y a des faits plus graves dont la CENI s’est rendue coupable et pour lesquels on n’a pas jugé nécessaire de la rappeler à l’ordre, encore moins de la condamner : par exemple, lorsque le pouvoir a charcuté la loi électorale, brisant le consensus autour notamment du mode de scrutin, elle n’a pas « oufé » et rien n’a été entrepris ni contre elle ni contre le pouvoir, malgré la mobilisation de l’opposition à l’époque qui n’a pas hésité à marcher jusqu’au premier ministère avec l’accueil, on s’en souvient, qui a été fait à ces élus, revêtus de leurs insignes.

Une décision téléphonée ? (1)

Plus grave, lorsqu’elle s’est faite complice de la violation de l’article 37 pour permettre au chef de l’Etat de briguer un troisième mandat et lorsqu’elle a conduit une informatisation du fichier électoral qui a révélé des vices graves et notamment des milliers de doublons en dépit de ses assurances qu’il n’y en aurait pas, on n’a pas estimé qu’il fallait reporter les élections ! Comment ne pas relever incidemment les circonstances dans lesquelles Me Yaméogo Hermann s’est désisté de l’élection du 13 Novembre ? On se souvient qu’au Conseil constitutionnel, qui l’avait invité à cet effet, il avait confirmé son désistement, qu’il en avait également informé la CENI et le Conseil supérieur de la communication.

Si ce dernier en a pris acte, la CENI a refusé, alors qu’elle le pouvait, de rayer son nom de la liste, le mettant dans une situation où, candidat malgré lui, il ne pouvait pas davantage bénéficier des médias publics pour s’expliquer aux yeux de l’opinion. Là aussi, on n’a pas trouvé à redire. Mon propos ici n’est pas de minimiser la gravité de la faute commise par la CENI en ne renouvelant pas ses membres ; je dis seulement que la faute est nettement moins grave que celles que je viens de signaler.

Pourquoi a-t-on alors mis en œuvre une telle procédure, suivie d’une condamnation diligente par le Conseil constitutionnel ?

C’est là, la question que je me pose, et beaucoup avec moi. On peut en effet y suspecter une décision téléphonée, montée de toutes pièces pour arriver au report de ces élections vis-à-vis desquelles le pouvoir a des inquiétudes ; inquiétudes parce que, si elles se tenaient à la date prévue, elles risqueraient de montrer qu’il n’est pas le maître absolu qu’il veut paraître dans tout le pays ; inquiétudes parce que des élections peuvent aussi exposer le pays à des violences identitaires parce que le pouvoir a joué inconsidérément avec des cordes sensibles comme les oppositions ethniques.

Le report de ces élections ne serait, dans ces conditions, dicté que par le souci de permettre au pouvoir de reculer pour mieux sauter. L’opposition n’étant pas à la base de la demande du report, le pouvoir ne pouvant le faire lui-même, c’est le Conseil constitutionnel qui lui sauve ainsi la mise. En principe, on ne peut que féliciter la décision courageuse du Conseil constitutionnel, le flair et la responsabilité d’un petit parti qui a réussi à faire dire le droit, bref, la bonne administration de la justice dans notre pays.

Décagouler notre démocratie

Mais l’envers du décor de la mise en scène, c’est que ce sont une fois encore les partis d’opposition qui seront brimés, et la démocratie, écornée. Il faudra à tous ces partis de l’opposition véritable, à tous ceux qui ne sont pas de la galaxie présidentielle et surtout qui ne bénéficient pas, comme l’UNDD, le RDEB.., de la subvention de l’Etat, dépenser encore de l’argent, de l’énergie, endurer des angoisses, pour tout recommencer parce que tout simplement, la CENI aurait mal fait son travail ! Quid de la réparation du préjudice qu’ils subiraient ?

On n’en parle pas. Pourvu que le pouvoir obtienne ce qui l’arrange.

Lui n’a pas les mêmes problèmes ; ce qu’il cherche, c’est le temps pour colmater les brèches, pour parer au désagrément de la surprise. Il pourra maintenant mettre à profit le temps qu’il se donnera, pour mieux désorganiser les partis, avantager ceux qu’il veut...

Si c’est un report pour cela, je dis non, non pas parce que ces élections sont bien organisées, pas du tout ! Le véritable report pour lequel je milite, c’est le report franc, pour permettre que la CENI fasse mieux son travail en informant comme il faut les électeurs (on ne sait pas encore à ce jour, combien de partis compétissent par département), en leur permettant d’être en mesure de mieux contrôler le scrutin par la publication des listes dans les bureaux de vote..., bref pour aider à poser les bases d’un véritable dialogue démocratique qui permettra de « décagouler » notre démocratie pour lui assurer un bon départ à la base.

Un tel travail ne peut se faire correctement que dans les conditions qui permettent de repenser les structures électorales (CENI, CSC...), de revoir le mode de création et de fonctionnement des partis politiques, de revisiter les textes électoraux afin de mieux protéger le droit de vote, donc le suffrage populaire.

Les multiples demandes de l’opposition, et particulièrement de l’UNDD, sur ces demandes essentielles, sont demeurées jusqu’à ce jour insatisfaites, démontrant que le souci du pouvoir est loin d’être la démocratisation véritable dans le pays. C’est ce qui fait que notre démocratie, malgré les apparences, malgré ceux qui sont payés pour polir son image, est si bancale.

Remettons tout sur le tapis , obtenons que, faute d’avoir pu impulser par le sommet une démocratie véritable, on rattrape les choses par le bas, en y expérimentant une démocratie plus juste, plus respectueuse du suffrage universel. Mais ce n’est sans doute pas pour cela que le pouvoir manœuvre en sous main pour un report ; ce serait pour lui se faire hara-kiri.

Ouagadougou, le 07 février 2006

Marlène Habata Zébango Vice-présidente de l’UNDD Députée à l’Assemblée nationale

(1) Les intertitres sont du journal

L’Observateur

PARTAGER :                              
 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique
Burkina Faso : Justice militaire et droits de l’homme
Burkina Faso : La politique sans les mots de la politique
Le Dioula : Langue et ethnie ?