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Droit d’accès aux ressources piscicoles : Enfin, on s’en préoccupe

Publié le mardi 7 février 2006 à 06h38min

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Dans la déclaration dont teneur suit, M. Raymond Ouédraogo, MSc en politique et planification des pêches de son état, qui en est l’auteur, se félicite du fait que le droit d’accès aux ressources piscicoles ait été une des préoccupations lors de la 11e journée nationale du paysan, tenue à Manga le 28 janvier dernier.

La récente journée nationale du paysan, 10e édition, s’est tenue le 28 janvier 2006 à Manga au tour du thème : "Promouvoir la sécurisation foncière pour renforcer le développement des filières agro-sylvo-pastorales au Burkina Faso". La question foncière est plus que d’actualité dans notre pays et son enjeu de taille.

Le titre de l’interview du Dr Salif Diallo, ministre d’Etat, ministre de l’Agriculture, de l’Hydraulique et des Ressources halieutiques est à cet effet éloquent : "Il est illusoire de vouloir moderniser l’agriculture sans régler la question foncière".

A l’occasion de la tenue de cette journée, les représentants des pêcheurs se sont retrouvés pour débattre des contraintes qui entravent le développement de leurs activités. Parmi celles identifiées, la question de l’accès aux ressources est revenue, confirmant ainsi la pertinence du sujet analysé dans L’Observateur n°6452 du mercredi 10 août 2005 et titré : "Systèmes d’accès aux ressources naturelles : le cas des ressources piscicoles au Burkina Faso".

Le problème :

Les pêcheurs sont souvent contraints de migrer d’un plan d’eau à un autre, à la recherche de pêcheries productives. Mais ils sont parfois confrontés à un système de contingentement de l’accès aux pêcheries que leur impose la population riveraine. Comment cela se passe-t-il ? Est-il en conformité avec la législation pêche en vigueur ? Que faut-il en faire ?

La réglementation officielle en matière de pêche

La réglementation officielle de la pêche au Burkina subordonne l’accès aux ressources piscicoles à la seule condition d’en être autorisé, ce qui se matérialise par la détention du permis de pêche (principalement pour la pêche commerciale et pour la pêche sportive). Le permis de pêche est valable du 1er janvier au 31 décembre. Il n’a de valeur que sur l’étendue du territoire de la région administrative dans laquelle il a été émis.

Mais cela veut également dire qu’au pêcheur détenteur du permis de pêche, l’Etat, jusque-là propriétaire des ressources halieutiques, accorde l’accès à toutes les pêcheries situées dans l’espace territorial de ladite région, exception faite des pêcheries qui ont été concédées et de celles qui ont le statut de Périmètre aquacole d’Intérêt économique (Kompienga, Bagré, Sourou et Ziga pour le moment).

La migration des pêcheurs

Certains pêcheurs, exploitants des petites retenues d’eau, migrent à la recherche de meilleures pêcheries à l’instar du berger à la recherche de meilleurs pâturages. Cette transhumance saisonnière est compréhensible : certains pêcheurs n’ont pas de pêcherie "productive" dans leur terroir villageois d’origine ou de résidence.

Pratiquant la pêche comme activité économique de contre saison, ils doivent donc aller vers d’autres horizons en saison sèche lorsqu’ils se sont libérés des travaux champêtres. Ils en reviennent de temps en temps pour diverses raisons. Dès les premières pluies, ils retournent aux champs pour s’y consacrer presque exclusivement.

"L’hostilité" des populations résidentes riveraines des pêcheries

Ces pêcheurs migrants rencontrent souvent une certaine hostilité de la part des pêcheurs et des populations riveraines des pêcheries qu’ils convoitent. Ils peuvent ainsi se voir en interdire l’accès même s’ils sont détenteurs d’un permis de pêche en cours de validité.

Dans certains cas, les pêcheurs nouveaux venus se voient imposés des taxes parfois très élevées, en nature ou en espèces.

Ces taxes ou l’interdiction d’accès aux pêcheries imposées par les communautés locales sont très contraignantes et frustrantes pour les pêcheurs. C’est pourquoi cela est ressorti à l’atelier du groupe des pêcheurs, à l’occasion de la 11e journée du paysan.

Comment se fait-il que les communautés villageoises se donnent le droit d’instaurer un tel système de droit d’accès aux pêcheries situées dans leurs terroirs ?

D’abord on doit se rappeler que les communautés traditionnelles avaient leurs façons de comprendre et de gérer les ressources naturelles (forêts, eau, poisson, gibier, terre,...) contenues dans leur espace territorial. Ce système a été forgé à travers l’histoire, par ces mêmes communautés et pour elles-mêmes : le foncier, objet des débats à Manga, était un bien de la communauté, géré par une autorité reconnue et respectée (le Tengsoba chez les Mossi).

Du jour au lendemain, l’Etat français, puis l’Etat burkinabè s’en est déclaré propriétaire. Ainsi la terre et les autres ressources naturelles sont devenues des biens publics. En ce qui concerne la pêche, jusqu’à un passé très récent, c’est l’Etat seul qui avait le droit de gérer les ressources halieutiques, c’est-à-dire d’en rationaliser l’exploitation.

Cependant la politique de contrôle de l’exploitation des ressources a connu et connaît toujours beaucoup d’insuffisances. Par exemple environ 75 % de pêcheurs n’ont pas d’autorisation de pêche délivrée par l’Etat, seule autorité actuellement habilitée à délivrer les permis de pêche. Autant dire que le système de contrôle de l’accès aux ressources est inefficace, par "absence" de l’autorité qui en est chargée. Il y a donc un vide à combler.

La nature ayant horreur du vide, quoi de plus normal que cette absence soit comblée par une autorité que se donneraient des organisations de la communauté locale. Et elles n’y vont vraiment pas de main morte : le permis de pêche officiel est valable sur toute l’étendue du territoire régional et coûte actuellement 8000 F CFA par an et pour toutes les pêcheries de la région. Cela semble dérisoire par rapport aux taxes imposées par les communautés villageoises : on a vu des taxes de 1000 F/jour de pêche.

Il semble qu’une communauté locale a exigé que la moitié des captures des pêcheurs migrants leur revienne. Il semble même qu’il est arrivé que des villageois aient carrément loué la pêcherie toute entière à un ou plusieurs pêcheurs. Ces derniers l’exploitent, on l’imagine, à volonté, sans aucune autre restriction, ce qui est contraire à l’étique d’une pêche responsable et à la réglementation pêche de notre pays. _L’Etat face à la nécessité d’associer les communautés "de pêches" à la gestion des pêcheries :

L’Etat explore plusieurs pistes de solution qui toutes, ont pour finalité le partage des responsabilités dans la gestion des ressources halieutiques avec les communautés de pêches et leurs partenaires.

La concertation (périodique)

La journée nationale du paysan est un bon cadre de concertation générale qui peut permettre d’asseoir des bases permettant le développement de l’halieutique au Burkina Faso. C’est l’occasion pour les acteurs des pêches de discuter franchement avec les plus hautes autorités de notre pays et de discuter de questions épineuses. Ceux qui ont participé à la rencontre avec le chef de l’Etat peuvent témoigner que la pêche, secteur émergeant, n’a pas été occultée.

Blaise Compaoré, Président du Faso, a accordé des yeux et des oreilles attentifs à la pêche lors de la journée. Ici il visite le stand des pêcheurs, en lunettes, El Hadj Souleymane Ouédraogo, président de la Fédération nationale des acteurs de la filière pêche (FENAFIP).

A Manga, une de ces questions abordée lors de la rencontre avec le Président du Faso a été celle des crocodiles. Les crocodiles sont intégralement protégés parce qu’ils avaient été estimés en danger de disparition, pas seulement au Burkina mais dans bons nombre de pays.

Toutefois, de nos jours, ils ont proliféré au point de devenir une menace sérieuse pour l’exploitation des ressources piscicoles : ils attaquent les pêcheurs, endommagent les filets de pêche, retirent le poisson pris dans les filets, endommagent les digues des barrages en y creusant des trous, entravent même les autres activités exploitatrices des plans d’eau (comme le prélèvement de l’eau des barrages par les femmes). C’est pourquoi les pêcheurs ont demandé aux autorités de bien vouloir considérer une réduction des populations de ces bêtes dans notre pays.

Les concertations (périodiques) n’auront de valeur que celle qu’on veut bien leur donner. A Manga on a vu des gens qui ne savent ni où manger, ni où dormir la nuit venu, vu qu’ils n’ont pas eu de perdiems.

Dans de telles conditions, ces personnes ne peuvent-elles apporter aucune contribution ? Au contraire, si elles peuvent quitter les lieux elles le feront le plus tôt possible. Il conviendrait alors d’en revoir l’organisation si l’on veut qu’elle soit réellement bénéfique pour toute la nation entière.

Sur un plan beaucoup plus technique, le profil des participants devait absolument tenir compte du sujet à l’ordre du jour de la concertation. Chez les Mossi (et chez bien d’autres groupes ethniques), la gestion de la terre et des autres ressources naturelles ne relève pas des compétences des chefs de village mais de celles des chefs de terre.

Toutefois on peut se demander si le choix des participants en a tenu compte. Car il y avait beaucoup de ces "bonnets rouges" mais pas ou très peu de chefs de terre. On peut alors s’attendre à ce que les décisions prises soient remises en cause plus tard au sein de ces communautés ethniques.

Dispositions législatives

L’Etat reconnaît qu’il y a de l’inefficacité dans son rôle de gestionnaire exclusif des ressources naturelles. C’est pourquoi il ressent la nécessité de partager cette responsabilité, c’est l’essence même de la gestion participative ou de la cogestion des ressources naturelles ; et des dispositions législatives sont prévues à cet effet.

Au niveau de la pêche, le Code forestier (1997) a prévu le système de concession des petites pêcheries et celui de gestion concertée des grandes pêcheries. De ces deux approches de partage de responsabilité, la concession semble proche de l’initiative des populations locales décrites plus haut. Elle mérite donc d’être décrite.

La concession est un droit d’accès exclusif que l’Etat accorde à une personne physique ou morale de droit privé pour l’exploitation des ressources halieutiques d’un plan d’eau. C’est-à-dire que seule cette personne a le droit de pêcher les poissons contenus dans la pêcherie.

Mais elle peut autoriser une tierce personne à exploiter ces ressources, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux. Et c’est exactement ce que font ces populations riveraines de certaines pêcheries.

Malgré le non respect des dispositions législatives Ces populations riveraines se sont accordées un droit d’accès exclusif aux pêcheries ; droit qu’elles "revendent" même à d’autres. Cela ne semble pas légal du point de vue du droit républicain puisqu’elles ne sont pas officiellement concessionnaires. On peut alors être tenté de le condamner.

Toutefois, il ne faut pas aller vite en besogne au risque de jeter le bébé avec l’eau du bain. Pour cela, il est opportun de rappeler que c’est à partir de 1997 que la validité du permis de pêche a été limitée à l’étendue du territoire de la région qui l’a délivré. Cela a été rendu nécessaire par le besoin de limiter la migration des pêcheurs.

En effet, en les sédentarisant, on espère qu’ils pratiqueront une pêche responsable, c’est-à-dire une pêche qui permet de tirer les profits socio-économiques optimaux tout en assurant aux générations futures des ressources nécessaires à la satisfaction de leurs besoins.

Car il semble que, plus que les pêcheurs allochtones, les pêcheurs autochtones sont prédisposés à protéger les pêcheries qu’ils exploitent, étant entendu qu’ils sont attachés à leur terroir. En instituant des taxes d’accès ou en interdisant l’accès aux pêcheries situées dans leurs terroirs respectifs, les communautés locales contribuent d’une façon ou d’une autre à la sédentarisation des pêcheurs.

Ensuite dans les faits, les communautés locales se sentent de plus en plus responsables de la gestion des ressources naturelles. Il faut les y encourager, cela est conforme à l’esprit du processus de la décentralisation en cours dans notre pays. Mais les efforts de ces populations doivent être stimulés et canalisés. Celles-ci ne devront pas se contenter d’en contrôler et d’en limiter l’accès : il y a beaucoup plus à faire.

Une pratique cautionnée ?

Cette pratique, bien qu’illégale, semble cautionnée par les autorités. Bien d’autorités politiques et administratives locales pourraient bel et bien être au courant de ces pratiques. Mais elles laissent faire, peut-être par ignorance, peut-être intentionnellement si cela leur est personnellement favorable. Mais il faut le savoir : cette pratique est illégale malgré qu’elle soit bonne en soi et qu’elle aille dans le sens de l’esprit de la législation en vigueur. Il faut simplement que les communautés formalisent la concession qu’elles se sont accordées.

Pour le moment, seules deux pêcheries sont concédées : celle de Moussodougou (province de la Comoé) et celle de Bapla (province de la Bougouriba), celle de la Léra (province de la Léraba) pourrait en être la 3e. Exception faite de ces pêcheries et pour le moment, il y a "usurpation" de titre de concession sur toutes les autres pêcheries où ces pratiques ont cours.

Redresser la barre

Il est probable que l’unique motivation de ces populations soit la collecte de l’argent. Encore faut-il que ces fonds soient bien gérés, c’est-à-dire de façon transparente et au profit de toute la communauté. Mais il faut souligner que bien d’autres aspects doivent être analysés : ces populations sont-elles réellement soucieuses de la conservation et du développement des ressources piscicoles qu’elles exploitent ou/et font exploiter ?

Si oui quelles mesures techniques de protection mettent-elles en œuvre (ex : interdiction de pêcher les petits poissons) ? Quelles mesures techniques de développement de ces ressources ont-elles mise en place (ex : aménagement des zones de reproduction des poisson) ? Prennent-elles soins de réduire l’envasement de leur plan d’eau ? Alors une idée de projet germe : accompagner ces populations dans leur désir de gérer et d’exploiter les ressources halieutiques.

On pourrait alors recenser les pêcheries dont les populations locales ont pris l’initiative de réglementer l’accès, susciter en elles le désir de se conformer à la légalité, c’est-à-dire acquérir légalement la concession et les accompagner aux plans organisationnel, technique et financier. Avis aux bailleurs de fonds.

La pêche, il faut le rappeler, n’est pas suffisamment prise en compte lors de la planification des projets de développement rural, cela a été analysé dans l’Observateur, n°6234 du vendredi 24 septembre 2004. Cela a également été identifié comme étant une contrainte au développement de l’halieutique au Burkina Faso.

Raymond Ouédraogo MSc en politique et planification des pêches Tél. Service. : 50 35 60 36 Tél. Mobile. : 76 67 23 66 Email : ouedray@yahoo.com

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