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Aperçu historique sur le problème de l’identité jula dans l’Ouest du Burkina Faso

Publié le mardi 7 février 2006 à 06h38min

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Le terme jula est si employé aujourd’hui au Burkina Faso qu’on peut s’interroger sur ce qu’il sert à désigner réellement. Est-il un nom servant à désigner exclusivement des gens investis dans le commerce ? Ou s’agit-il d’un ethnonyme, c’est-à-dire d’un nom servant à désigner des gens se réclamant d’une ethnie particulière ? Qui est jula, et pour qui ? Quelle est l’origine du mot ? Ce sont là des questions très embarrassantes auxquelles le présent article voudrait donner quelques éléments de réponses.

Origine du mot jula

L’origine du mot jula est liée au commerce en Afrique de l’Ouest. Pourtant, si ce commerce est très ancien, cela ne paraît pas être le cas pour le mot lui-même dont la première mention dans une source écrite connue ne remonte pas au-delà du XVIIe siècle. En effet, c’est à Richard Jobson, un explorateur anglais en voyage dans le bassin du fleuve Gambie, que nous devons sa première mention en 1620.

Avant lui, les voyageurs portugais qui furent, à la fin du XVe siècle, les premiers à fréquenter les côtes ouest-africaines, utilisaient le plus souvent le terme “Mandingua”, c’est-à-dire ressortissants du Mandé, pour désigner un groupe de ces commerçants. Rarement, ils se servaient du mot wangara dont l’usage était singulier aux marchands nord-africains, aux voyageurs arabes et aux lettrés-musulmans ouest-africains. Le terme jula était tout à fait étranger aussi bien à leur vocabulaire qu’à celui des locuteurs d’expression arabe. Cela voudrait-il dire que le terme n’était pas connu à ces époques ou qu’il n’existait pas encore ? A qui le doit-on ?

Selon certains informateurs qui fondent leur identité sur ce nom, le mot serait d’origine arabe et évoquerait l’idée de mouvement. Selon d’autres, il serait un nom attribué par les Peuls à cause du fait que les ancêtres des Jula actuels étaient les rares Noirs à pratiquer la prière. Cette hypothèse se fonde sur l’existence dans le vocabulaire des expressions “juldé” et “juldo” qui signifient respectivement “prier” et “croyant”. Des chercheurs européens se sont aussi intéressés à l’origine du mot. S’appuyant sur des informations recueillies sur le terrain, Delafosse a pensé à une étymologie mandingue.

Selon cet auteur se référant au contexte de la crise politique dans l’empire sonrhray au XIVe siècle, jula signifierait “les gens de la souche”, une allusion à la classe des lettrés-musulmans de Tombouctou opposée à l’empereur Ali Sonni. Cette hypothèse a été vivement rejetée par Person à qui on doit un travail monumental sur les Jula. Pour ce dernier auteur, le mot jula est d’origine mandingue et désigne le marchand.

Sans que le problème de l’origine de l’expression soit résolu, il importe de faire remarquer que les mots voyagent dans le temps et dans l’espace, et qu’ils connaissent, par conséquent, une évolution sémantique. Pris donc dans sa dimension sémantique, le mot jula évoque deux réalités : le commerce et l’islam, deux activités si liées en Afrique de l’Ouest pendant la période coloniale.

L’identité jula pendant la période pré-coloniale

Pendant la période pré-coloniale, plus exactement les XVIIIe et XIXe siècles, les marchands de Kong ont constitué de petits îlots au milieu des populations agricoles, elles-mêmes présentant un morcellement ethnique marqué. Cette situation ethnique particulière, ajoutée aux nécessités de la division du travail, leur a permis d’échapper à l’assimilation par les populations voisines et de construire une identité.

Originaires pour un certain nombre du Mandé, du moins pour les premiers commerçants installés, d’où le nom de Mandingua par lequel ils se faisaient désigner par les Portugais, ils parlaient la langue mandingue, et celle-ci allait s’avérer être un des éléments de leur identité. C’est ainsi que le dialecte mandingue parlé par eux, particularisé du fait de son usage comme langue véhiculaire à l’époque, a pris leur désignation socioprofessionnelle.

En plus de l’activité professionnelle et de la langue, ils se distinguaient de leurs voisins cultivateurs par la pratique de l’islam, cette religion leur servant de moule culturel et constituant une sorte de barrière ethnique. Cette trilogie, commerce-islam et langue, a été le fondement à la fois de l’identité socioprofessionnelle et de leur identité ethnique pendant la période pré-coloniale.

Si, déjà pendant cette période, l’usage du jula comme langue véhiculaire par des locuteurs qui n’étaient ni commerçants ni musulmans avait commencé à poser quelques problèmes d’identité, les Jula ont procédé à une clarification du vocabulaire classificatoire en se faisant désigner Mandé-Jula, c’est-à-dire, les Jula ressortissants du Mandé. C’est ainsi qu’ils se sont fait appeler par le Capitaine Binger en 1888. Aux trois critères évoqués, s’est ajouté donc un quatrième, l’origine mandé. Mais les choses sont assez complexes.

En effet, Kong a bâti un système politico-commercial dans lequel marchands et guerriers formaient un tandem. Les guerriers, connus sous le nom classificatoire de Sonongui, étaient commandés par une aristocratie dont les membres revendiquent l’origine mandingue. Ils sont islamisés même si l’islam qu’ils pratiquent est un islam à fleur de peau.

L’aristocratie guerrière est identifiée à la classe des Jula-gouè, c’est-à-dire de Jula blancs, les Jula qui sont propres, qui ne vivent pas du travail de la terre, tandis que les simples Sonongui, partagés entre la guerre et travail de la terre, sont reconnus comme des Jula-djon (sujets des Jula) ou des Toubi-djon, des roturiers.

Dans ce classement fait sur la base du prestige social, de l’avoir, où l’on peut distinguer deux catégories de jula, les Jula-gouè et les Jula-djon, on voit donc que des guerriers, dont la plupart sont issus des populations agricoles, deviennent des Jula. Cette identification vient compliquer le problème de l’identité jula. Les choses se compliquent davantage pendant les périodes postérieures.

L’identité jula aujourd’hui

En effet, déjà, en 1897, l’Almamy Samory Touré porte un coup fatidique au système politico-commercial jula en détruisant Kong, la métropole, et la plupart des garnisons. Le commerce jula s’en trouva ébranlé. La colonisation française ne fit qu’aggraver cette situation en écartant les chefs watara du pouvoir et en réorganisant la région tant sur le plan administratif que sur le plan économique. La mort du Kong-Kènè, c’est-à-dire l’espace politico-commercial de Kong, a d’énormes conséquences sur l’identité jula.

En effet, ruinés, les marchands en furent réduits au travail de la terre. Déchus, les conquérants, aristocrates et roturiers, en vinrent à n’être que de simples sujets dans un système politique qui favorisait désormais les “races”, c’est-à-dire les autres ethnies. Cependant, contrairement à l’esprit de la politique des races, l’islamisation commença à toucher les autres ethnies.

Au total, destruction du système politico-commercial de Kong, déclin des aristocraties, conversion des Jula au travail de la terre, promotion politique des anciens dominés, islamisation d’une partie importante des populations agricoles, apparition de nouveaux commerçants, reconnaissance du jula comme langue nationale, ce sont autant de mutations sociales qui font qu’aujourd’hui l’identité jula constitue un problème. Si, sur le plan ethnique, il est aisé d’identifier les Jula de la période pré-coloniale, il est toufefois difficile de faire du nom jula un monopole de ceux-ci ou même d’en faire simplement un ethnonyme, c’est-à-dire le nom d’une ethnie.

Aujourd’hui, dans l’Ouest du Burkina Faso, sont apparus dans les centres urbains en formation, à la faveur du commerce colonial, de nouveaux Jula, présentant souvent des origines mandingues et dont l’assimilation par ceux de la période pré-coloniale a échoué. Par ailleurs, un nouveau dialecte jula, différent de celui de Kong et reconnu comme une des trois langues nationales du pays, est parlé par toutes les populations de la région. Même s’agissant de ces Jula dits de Kong, c’est-à-dire ceux de la période pré-coloniale, bien des choses restent encore en suspens.

En effet, par exemple, un des critères essentiels de leur identité aujourd’hui est le fait d’être originaire de Kong. Or nous savons que certains lignages et non des moindres parmi les Bolon sont également originaires de Kong, que certains masques bolon sont venus de Kong, et que Dé-Maghan, l’ancêtre des Watara, serait venu de Téoulé ou de Dé, un village bolon. Les Jula dits de Kong accepteraient-ils aujourd’hui pour autant que ces gens soient considérés comme des leurs ?

Bakary TRAORE
Attaché de recherche
à l’IN.S.S./C.N.R.S.T.
03 BP. 7047 OUAGADOUGOU 03

Pour plus d’informations :

GREEN, K.L., The foundation of Kong ; Dyula and Sonongui ethnic identity, Ph D Dissertation, University of Indiana, 1984.

KODJO, N.G., Le royaume de Kong : des origines à 1897, thèse pour le doctorat d’Etat, Université de Provence, 1986, 4 t.

QUIMBY, L.G., Transformation of beliefs : Islam among the Dyula of Kongbougou from 1880 to 1970, Ph D Dissertation, University of Wisconsin , 1972.

TRAORE, B., Histoire sociale d’un groupe marchand : les Jula du Burkina Faso, Thèse pour le Doctorat unique, Université de Paris I, 1996, 2 t.

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