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Rentrée politique d’Alassane D. Ouattara : Peut-on faire campagne dans un container ?

Publié le lundi 6 février 2006 à 08h18min

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Alassane Dramane Ouattara

« Lorsqu’on est un leader politique, on est comme un berger et on doit accepter de mourir pour son troupeau », phrase lâché par Me Yawo Agboyibor en 1993 alors qu’on venait de brûler sa maison dans le quartier Adewi à Lomé et qu’une chasse aux opposants battait son plein au Togo. Il a été presque le seul opposant à demeurer à l’époque au pays. Ce qui, du reste, lui valut de capitaliser politiquement.

Alassane Dramane Ouattara (ADO), le berger du RDR, s’est finalement résolu à faire siens ces propos de l’opposant togolais. ADO, dont le retour a été maintes fois annoncé et reporté, est rentré à Abidjan (pour de bon ?) le 25 janvier après un exil de trois ans, qu’il a passé entre Mongins au Sud de la France, la rue Victor-Hugo à Paris, les Etats-Unis, si ce n’est les monarchies arabes.

Ainsi en ce mercredi 1er février 2006, à l’hôtel du Golf à Abidjan, où pendant longtemps ont logé les ministres des Forces nouvelles, toutes les sommités du RDR ont choisi de se rencontrer dans le cadre du secrétariat général, présidé par ADO en personne. Lors de ce raoût politique, le premier du genre depuis la crise ivoirienne, il a été question bien sûr de remonter davantage le moral de la troupe, de faire l’état des lieux, et d’envisager les perspectives d’avenir, particulièrement l’échéance fondamentale de fin 2006, la présidentielle.

Mobilisation des finances et sensibilisation autour du programme « vivre ensemble » ont été au cœur de cette communion entre ADO et ses ouailles. Pour le premier point, à en croire le leader du RDR, la moisson a été acceptable, au vu des résultats présentés par le trésorier du parti, le ministre Hamed Bagayoko, et Adama Bictogo, président de la commission mobilisation des ressources.

L’arbre ne devant pas cependant cacher la forêt, l’ancien et unique Premier ministre d’Houphouët Boigny est conscient qu’il faudra ferrailler dur pour être prêt pour ce qui est désormais une quasi -obsession pour lui : la présidence ivoirienne. Un détail de taille aura marqué les esprits lors de cette rentrée politique du patron du RDR : l’image d’un ADO entouré d’une escouade de militaires de l’ONUCI et de soldats en béret rouge alors qu’il s’adressait aux secrétaires généraux et aux membres de son parti, dans une Côte d’Ivoire où la sécurité est de nos jours une denrée rare.

Un tel décor ne peut que rappeler les lendemains du 19 septembre 2002, plus exactement la chasse aux opposants qui a suivi le coup d’Etat manqué de ce jour. Alors que les rebelles battaient en retraite vers Bouaké après avoir échoué dans la prise du pouvoir des mains de Gbagbo, en déplacement en Italie, le destin de certains leaders étaient scellés : Robert Guéï et toute sa famille seront massacrés, Emile Boga Doudou, ministre de l’Intérieur, sera, lui aussi, envoyé ad patres. Bédié et ADO ne durent in extremis la vie sauve qu’à leurs jambes et à la baraka.

En effet, ce 22 septembre 2002, alors qu’un blindé de la gendarmerie s’apprêtait à faire sauter la grille de la propriété des Ouattara (sise au quartier Cocody) ADO et son épouse, la blonde Dominique Ouattara, escaladeront le mur mitoyen de la résidence de l’ambassadeur d’Allemagne, et, de là, gagneront le domicile du n°2 de l’ambassade de France, Dominique Pin, bras droit de l’ambassadeur de France d’alors en Côte d’Ivoire, Renaud Vignal.

Reclus dans cette enclave diplomatique française, où, selon ses termes de l’époque, « Je fais des économies et ma sécurité, finalement, est mieux assurée que celle de Laurent Gbagbo », ADO y passera plus de 4 semaines, au cours desquelles il lira beaucoup, naviguera sur Internet et regardera la télé, sans oublier les trois coups de fil passés entre lui et son allié d’avant-hier, Laurent Gbagbo. Ce dernier, entre ses « Conseils de ministres » et « ses prières avec ses pasteur », soufflera le chaud et le froid sur le sort du patron du RDR.

Après avoir donné l’ordre que cessent les fouilles des coffres des véhicules diplomatiques français, dans lesquels pourraient se cacher le couple Ouattara, le fondateur du FPI lâchera in fine : « Ouattara ne doit pas quitter la CI, les Ivoiriens ne l’admettraient pas ». Il aura fallu la tournée-marathon de Dominique de Villepin, le ministre français des Affaires étrangères, dans 5 pays africains dont la Côte d’Ivoire, pour exfiltrer ADO vers Libreville en fin novembre 2002.

La scène du 1er février dernier ne peut donc que faire penser à la problématique de la sécurité physique d’ADO. Pendant longtemps, on a fait grief à ce dernier de vouloir accéder à la présidence, en restant dans les salons douillets à des milliers de km de la lagune Ebrié : « Ouattara n’est jamais là, c’est facile d’être à l’abri et de dire aux militants de tenir bon... Un général doit toujours être à la tête de ses éléments... » Les critiques ne manquent pas sur le fait que le président des Républicains ivoiriens ne met pas la main dans le cambouis, ou plus exactement qu’il est déconnecté des réalités du pays.

Il est pourtant de bon ton de mettre un bémol aux propos de ceux qui voient en ADO un couard, quant on sait que chat échaudé craint même l’eau froide. ADO peut être courageux sans être ... téméraire. En décidant de rentrer au bercail 36 mois après avoir échappé de justesse à la mort, ADO minimise-t-il les risques qu’il court, ou a-t-il pris toutes ses précautions ?

La chose élémentaire pour un présidentiable est de battre campagne à travers tout le pays. ADO devra donc aller à la conquête des voix de son électorat. Villes, villages de la Côte d’Ivoire devront donc l’accueillir et l’écouter exposer son programme politique. Est-il assuré d’être à l’abri d’une agression ? Nulle part au monde, le risque zéro n’existe, et même en ayant ses armoires à glace onusiens chevillés au corps, son poitrail est-il pour autant à l’abri d’attaques « d’éléments incontrôlés » ?

En tout cas le problème des tristement célèbres escadrons de la mort demeure une réalité, et rien ne dit qu’une nuit des longs couteaux ne sera pas rééditée. Du nord au sud, d’est en ouest, ADO devra prendre des bains de foule, échanger avec ses militants, communier avec ses mandants ; fera-t-il plutôt campagne dans un container ? D’ailleurs, le peut-il ?

La certitude est qu’il a gravé dans la mémoire les propos de Gbabgo, qui, interrogé sur le fait qu’il doit garantir l’ordre public et la sécurité de ses concurrents, a répliqué :»S’ils attendent (Bédié et Ouattara, Ndlr) cette garantie pour venir, ils ne viendront pas. Nous sommes 16 millions à vivre dans ce pays. Plusieurs milliers d’entre nous ont perdu la vie depuis le 19 septembre 2002... Si deux individus assis depuis plusieurs mois dans les salons douillets de Paris pensent que je vais consacrer mon temps à les protéger, ils se trompent. Qu’ils ne comptent pas sur moi, alors que des centaines d’Ivoiriens sont tous les jours victimes de l’insécurité qu’ils ont créée ». On ne peut être plus limpide sur la question.

Observateur Paalga

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