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Débat : Mimétisme constitutionnel et déficit démocratique en Afrique

Publié le vendredi 3 février 2006 à 07h14min

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Dans l’écrit dont teneur suit, l’auteur, praticien du droit, revient sur les constitutions africaines "calquées" sur les modèles occidentaux. Pour lui, l’une des causes du dysfonctionnement de la démocratie en Afrique découle de ce "mimétisme constitutionnel".

1- Il peut être admis que la Constitution est le socle de la démocratie (I). Il en découle qu’une Constitution inadaptée, comme c’est souvent le cas en Afrique, ne peut garantir le bon fonctionnement de la démocratie (II). La recherche et l’analyse des causes du déficit démocratique en Afrique (III) peut alors permettre une ébauche de solutions (IV).

1- Constitutionnalisme et démocratie

2- A la faveur de la Révolution de 1688, Guillaume d’Orange et Marie II Stuart accédèrent au trône d’Angleterre en 1689. Avant de monter sur le trône, ils acceptèrent les conditions posées dans le Bill of Rights. Les représentants élus de la nation n’acceptaient le nouveau roi que s’il prêtait serment de respecter les règles définies dans le Bill of Rights qui, inspiré des idées libérales de John Locke, garantit la protection des droits fondamentaux de la personne humaine. Il est généralement admis que cet événement constitue la première manifestation du constitutionnalisme, qui est une conception doctrinale qui lie la notion de Constitution à celle de régime libéral. Il implique la soumission du pouvoir au respect scrupuleux de la Constitution.

3 - Avant 1689, les souverains avaient déjà été contraints à des concessions. C’est ainsi qu’en 1100 fut promulguée la Charte d’Henri 1er, qui en est la première en Angleterre. On retient surtout la Grande Charte du 12 juin 1215 de Jean sans Terre. On peut citer aussi la Petition of Rights de 1628 et l’Habeas Corpus Act de 1679. Chacun de ces pactes a été plus ou moins négociés avec les souverains. Jamais auparavant le futur souverain n’avait été contraint de se soumettre au respect d’un pacte dans l’exercice de ses fonctions comme condition de son accession au trône.

4 - La Constitution est la loi fondamentale qu’un peuple se donne comme cadre d’organisation de la vie en société en fonction des buts poursuivis. Elle garantit les droits et définit les devoirs des uns et des autres, prévoit les principales fonctions, les définit et les encadre pour un meilleur exercice au profit de la société. Elle est un pacte qui régit les relations entre gouvernants et gouvernés d’une part, et entre les gouvernants d’autre part. La Constitution est la meilleure garantie de la vie démocratique.

5 - Dans La République, Platon écrit que dans la cité démocratique « les gens sont libres. La cité déborde de liberté, de libre expression, et l’on y a le droit de faire ce que l’on veut. (...) l’existence de ce droit fait bien entendu que chacun organise individuellement sa vie de citoyen selon son bon plaisir. (...) C’est donc une extrême diversité, ... qui marque dans ce régime la population de la cité ». C’est la Constitution qui définit les règles du jeu pour que chacun puisse organiser « individuellement sa vie de citoyen selon son bon plaisir ».

6 - En Afrique cependant, d’une façon générale, il est difficile d’admettre que la Constitution, même libérale, garantit la vie démocratique. Les gouvernants semblent être au-dessus des Constitutions qu’ils méprisent comme ils le font des peuples qu’ils gouvernent. Ils semblent n’avoir de compte à rendre qu’aux anciennes métropoles et aux institutions internationales. Le diagnostic du mal a déjà été fait, mais les causes ont rarement été sérieusement recherchées. Il ne fait plus de doute que la plupart des Constitutions en Afrique sont inadaptées.

II- L’inadaptation des Constitutions en Afrique

7 - Selon Marcel Mauss, le droit est le signe récognitif de la société. « Ce qui définit un groupe d’hommes, ce n’est ni sa religion, ni ses techniques, ni rien d’autre que son droit. Tous les autres phénomènes, y compris les phénomènes religieux, sont extensibles en dehors des limites de la société. Mais ce qui nous définit n’est pas extensible en dehors de nos frontières. Donc, le phénomène du droit est le phénomène spécifique d’une société ».

Il en résulte que la Constitution, qui est la loi fondamentale, doit prendre en compte les réalités spécifiques du terroir et ne doit pas être extensible en dehors des limites de la société. Les pays occidentaux ont un long passé commun. Colonisés par Rome, ils ont subi également la domination de Charlemagne et de Charles Quint. Leur culture repose sur les mêmes principes fondamentaux. Cependant, leurs Constitutions qui épousent les réalités spécifiques de chaque peuple diffèrent sensiblement d’un pays à l’autre. Etats-Unis, Royaume-Uni, France, Italie, Allemagne, autant de pays, autant de modèles de Constitution.

8 - Il est donc anachronique et paradoxal de constater que les pays africains dont l’histoire a connu une évolution différente depuis deux mille ans au moins, et dont le fondement culturel est spécifique, ont adopté des Constitutions analogues à celles des anciennes métropoles. Les pays d’Afrique francophone ont des Constitutions pratiquement identiques, calquées pour l’essentiel sur le modèle français. Le mimétisme est tel que si l’on en croit Frédéric Guirma, Maurice Yaméogo, premier président de la Haute-Volta, est revenu de Paris en février 1959 avec un projet de Constitution que Jacques Foccart avait fait préparer « sur mesure et à la carte » à l’intention des pays africains.

Même la Constitution actuellement en vigueur au Burkina aurait vu son texte soumis pour approbation à des "experts" français. Dans le n°604 du 30 mai 1996, l’hebdomadaire français L’Evénement du Jeudi révélait que Pierre Mazeaud, alors président de la Commission des lois de l’Assemblée nationale, avait été chargé par Jacques Chirac, président de la République, de rédiger les nouvelles Constitutions du Tchad, du Niger et du Togo.

9 - Il n’est donc pas étonnant que la démocratie ne fonctionne pas convenablement en Afrique. Elle ne peut pas bien fonctionner avec des règles inadaptées. Comme l’écrit D.G. Lavroff de l’université Montesquieu de Bordeaux, « il n’y a de bonne Constitution que celle qui peut être effectivement appliquée à un peuple déterminé ». Malgré leur belle monture, les Constitutions africaines sont totalement étrangères aux peuples d’Afrique. Ce sont des produits de l’élite occidentalisée, destinés à sa propre contemplation et à rassurer la Communauté internationale de sa fidélité dans le mimétisme. La Constitution en Afrique est généralement un vernis juridique maquillant un pouvoir personnel ou oligarchique.

10 - Les gouvernants peuvent donc manipuler les Constitutions à leur guise, leur faire dire et faire ce qu’ils veulent dans l’indifférence générale de la population. C’est ainsi qu’en Guinée, du Gabon, en Tunisie, au Tchad, en Ouganda, des dispositions constitutionnelles ont été révisées pour supprimer les limitations au nombre de mandats présidentiels et permettre aux chefs d’Etat en place de se représenter indéfiniment. Au Burkina la limitation du nombre de mandats présidentiels avait été supprimée en 1997. Elle n’a été rétablie (et encore dans des termes pas suffisamment précis et donc susceptibles de permettre une interprétation favorable au chef de l’Etat) ¬qu’à la suite de manifestations populaires consécutives à l’assassinat, le 13 décembre 1998, du journaliste d’investigation Norbert Zongo.

11 - Comme dans l’Europe du Moyen Age, les Constitutions en Afrique ressemblent plus à des chartes octroyées dans lesquelles les princes ne consentent que ce qui peut les arranger. Les peuples sont beaucoup plus des sujets que des citoyens. Au regard du résultat désastreux du constitutionnalisme en Afrique, il y a fort longtemps que les "experts" occidentaux auraient déjà parlé de Constitutions "bananières" ou "cotonnières" si ces mêmes Constitutions comportaient quelque originalité. Comme elles ne sont que des répliques des Constitutions occidentales, personne n’ose remettre sérieusement en cause leur inadaptation et leur inefficacité.

III - Eléments d’analyse et d’explication

12- Dans la réalité, le chef d’Etat africain est un vrai monarque des temps anciens. Il apparaît donc que pour une meilleure pratique démocratique, la limitation effective des ses pouvoirs et du nombre de mandats présidentiels est actuellement le problème cardinal à résoudre comme cela fut le cas en Europe à l’orée des Temps Modernes.

13- Les autorités actuelles de la Mauritanie pensent avoir trouvé la solution, du moins en partie. Le 3 août 2005, un coup d’Etat a balayé le régime du président Maouya Ould Taya qui pourtant venait d’être largement réélu. Une nouvelle Constitution est en préparation. Pour limiter définitivement le nombre de mandats présidentiels, il est prévu, sauf erreur, d’inscrire dans la Constitution que la disposition limitant le nombre de mandats présidentiels ne pourra jamais faire l’objet de révision.

14 - A l’image de la Constitution française, une telle mesure de précaution existe dans pratiquement toutes les Constitutions des pays d’Afrique francophone, mais elle s’applique à des domaines différents. Ainsi, l’article 165 de la Constitution burkinabè prévoit qu’« Aucun projet ou proposition de révision de la Constitution n’est recevable lorsqu’il remet en cause :

la nature et la forme républicaine de l’Etat ;
le système multipartiste ;
l’intégrité du territoire national. Aucune procédure de révision ne peut être engagée ni poursuivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ».

Il se trouvent des gens pour croire et des enseignants, aussi bien en France qu’en Afrique ; pour apprendre aux étudiants qu’une telle mesure de précaution est efficace et imparable. Ce faisant, ils perdent de vue quelques notions fondamentales du droit constitutionnel.

15 - A partir de la Révolution française de 1789, il a été généralement admis que chaque peuple est souverain. C’est-à-dire qu’aucune autorité ne lui est supérieure et il décide librement de son destin. C’est pourquoi la Constitution, qui est la loi fondamentale que le peuple se donne, est généralement adopté par lui-même au référendum. L’histoire est en perpétuelle évolution et il faut s’adapter en permanence. Or, il n’est pas toujours facile de réunir le peuple pour, chaque fois, procéder aux ajustements nécessaires de la Constitution. C’est pourquoi les Constitutions prévoient que des révisions peuvent se faire par un vote du Parlement, généralement à la majorité qualifiée pour être sûr que le projet de révision est largement partagé.

16 - Le Parlement est constitué d’élus du peuple, c’est-à-dire de gens que le peuple qui se trouve dans l’impossibilité matérielle de se réunir chaque fois que nécessaire pour délibérer sur les questions le concernant, choisit pour le représenter et agir en son nom. Le Parlement est donc dépositaire de la souveraineté du peuple. A ce titre, sauf éventuellement à rendre compte au peuple, il bénéficie de tous les attributs de la souveraineté. Or, aucune autorité ne s’impose au souverain qui ne connaît de limite que celle qu’il se fixe à lui-même.

Le Parlement peut donc modifier ou abroger n’importe quelle disposition de la Constitution, même celles pour lesquelles il est dit qu’elles ne peuvent faire l’objet de révision. On peut penser à la cour Constitutionnelle pour éventuellement retenir la main du Parlement. Dans sa décision n°2003-469 du 26 mars 2003, le Conseil constitutionnel français a jugé qu’il n’est pas compétent pour exercer le contrôle en matière de révision constitutionnelle. Ce qui est logique, car ce n’est pas lui qui fait la Constitution. En outre, le Parlement peut décider de supprimer la Cour constitutionnelle comme le problème s’est posé diversement aux Etats-Unis en 1803 après l’arrêt Marbury V. Madison et en France en 1962 à l’occasion du référendum sur la révision constitutionnelle relative à l’élection du président de la République au suffrage universel.

17- Dans sa décision n° 92-312 du 2 septembre 1992 relative à la ratification du Traité sur l’Union européenne, le Conseil constitutionnel français reconnaît que le pouvoir constituant est souverain et qu’ « il lui est loisible d’abroger, de modifier ou de compléter des dispositions de valeur constitutionnelle dans la forme qu’il estime appropriée... qu’ainsi rien ne s’oppose à ce qu’il introduise dans le texte de la Constitution des dispositions nouvelles qui, dans le cas qu’elles visent, dérogent à une règle ou à un principe de valeur constitutionnelle... que cette dérogation peut être aussi bien expresse qu’implicite ».

La mesure de précaution dont entendent se prévaloir les autorités actuelles de la Mauritanie est donc sans objet. Elle traduit plutôt une méconnaissance des principes fondamentaux qui gouvernent le droit constitutionnel. Tout le monde a encore en mémoire la manière et la rapidité avec laquelle, en février 2005, sur les conseils du professeur Charles Debbasch, les autorités togolaises ont contourné tous les obstacles constitutionnels pour imposer Faure Gnassingbé à la tête de l’Etat au décès de son père Gnassingbé Eyadéma.

18 - Le Parlement peut même décider de suspendre ou d’abroger la Constitution. Il peut décider aussi sa propre dissolution. C’est ce qu’a fait la Knesset, le Parlement israélien, en novembre 2005 après que les travaillistes ont décidé de ne plus soutenir le gouvernement de coalition du premier ministre, Ariel Sharon. Le problème consiste donc à savoir comment avoir un Parlement crédible. Comment avoir des élus qui soient de vrais représentants du peuple.

19 - De façon générale, il y a fort longtemps qu’en Afrique le parlementaire a cessé d’être le représentant du peuple pour devenir un homme d’affaires. Comme tel, il se préoccupe surtout de ce qui peut faire avancer ses affaires. C’est ainsi que, l’un de ses principaux soucis est de se couvrir d’avantages, de primes et d’indemnités de toutes sortes. C’est ainsi qu’au moment même où des poches de famine sévissaient dans certaines régions du Burkina, les parlementaires n’ont pas hésité à relever leur indemnité de session de 21 000 F à 30 000 F par jour.

Hormis le traitement mensuel, qui correspond à la part du lion, les primes et autres avantages, le parlementaire burkinabè perçoit par jour de session une indemnité qui est supérieure au salaire mensuel d’un travailleur payé au SMIG. Sur ce plan, il convient de reconnaître le mérite du gouvernement malien qui, face à la boulimie des parlementaires, a saisi la Cour constitutionnelle qui, en 2004, a marqué son opposition à l’application de la loi augmentant les indemnités de session et de logement.

20 - Au Burkina, la situation est telle qu’après une analyse des dépenses de l’Assemblée nationale, l’hebdomadaire Journal du Jeudi du 25 juillet 2002 écrivait que « Le législatif donne l’impression qu’il y a de l’argent à jeter par la fenêtre, donnant l’image d’une Assemblée gabégique ». En novembre 1997, au cours de son intervention à l’Assemblée nationale, le président John Jerry Rawlings du Ghana n’avait pas hésité à faire remarquer aux députés que l’eau qu’ils utilisent pour leur toilette est plus propre que celle que boivent les populations rurales du Burkina.

Dans un tel contexte de luxure, le but de l’élection est dévoyé. Ce sont plutôt les courtisans et autres spécialistes des manoeuvres d’appareil à la recherche d’avantages et de prestige artificiel qui prennent la place de ceux qui auraient pu être de vrais représentants du peuple. Quand il trouve une situation encore plus avantageuse, conformément à sa logique, l’honorable député n’hésite pas un seul instant à abandonner le peuple et le Parlement. Pour défendre et faire prospérer ses affaires, le parlementaire ne se préoccupe que de sa réélection. Son attention et son action sont tendues vers cet objectif. Il se rangera toujours du côté où cette réélection peut être assurée.

Le parlementaire africain n’a donc pas besoin de réfléchir pour savoir comment il doit voter. Ces propos peuvent peut-être être légèrement relativisés, mais, pour l’essentiel il en est ainsi. Il convient donc de remettre en cause cet état de choses pour espérer avoir des parlementaires quelque peu crédibles et pallier le déficit démocratique en Afrique.

IV- Esquisse de solutions

21- Dans le contexte actuel, il semble préférable de rendre gratuit le mandat du parlementaire. Cette mesure permettra l’accès au Parlement d’élus plus soucieux de l’intérêt national. Ayant peu d’avantages à préserver, ils seront sans doute moins manipulables et plus convaincus de la cause pour laquelle ils ont été élus. Bougouraoua Ouédraogo, homme de principe et de conviction, rapporte qu’à l’époque coloniale, les mandats de conseiller territorial et de grand conseiller de l’A.O.F. étaient gratuits au moment où il les assumait.

« L’élu à ces deux mandats ne percevait pas une rémunération spéciale en rapport avec sa nouvelle fonction de représentant du peuple. Si l’élu est fonctionnaire, il reste à son service et poursuit ses activités professionnelles et perçoit son salaire pour sa carrière normale. Il s’absente de son service dès qu’il est convoqué pour une session ordinaire ou extraordinaire de l’Assemblée territoriale ou du Grand conseil de l’A.O.F. à laquelle il appartient. Si l’élu n’est pas fonctionnaire, après avoir pris part aux sessions, il retourne à ses occupations civiles quotidiennes ». Les élus percevaient des indemnités de session dérisoires.

22 - Au Burkina, sous la lIe République, l’article 55 de la Constitution disposait : « Le mandat de député est gratuit. Les membres de l’Assemblée nationale reçoivent pendant la durée des sessions, à l’exclusion de toute autre indemnité, une indemnité journalière fixée par référence au taux le plus bas de l’indemnité de même nature accordée aux fonctionnaires en déplacement à l’extérieur et calculée par jour de présence effective. » Malgré la gratuité du mandat et le montant dérisoire de l’indemnité de session, le Parlement comportait des députés de grande valeur et la vie parlementaire fut des plus passionnantes. Pour être stable et durable, la république doit se fonder sur la vertu.

23 - Prétendre que la gratuité du mandat parlementaire affecterait son indépendance et qu’il pourrait ainsi facilement être mis sous influence et/ou corrompu est un argument qui, s’il n’est pas dépourvu de réalisme, n’est pas pour autant fondé. Généralement, ceux qui soutiennent un tel argument sont ceux-là même qui sont à l’affût de toutes les opportunités pour s’enrichir. L’engagement, l’idéal et la conviction ne se marchandent pas. L’histoire fourmille d’exemples de personnes, qui, au contraire, ont choisi une vie de pauvreté pour faire prévaloir leur conviction et transformer leur entourage et le monde : Moïse, Bouddha, Confucius, Socrate, Marc Aurèle, Jean-Jacques Rousseau, Léon Tolstoï, le Mahatma Gandhi, Luther King, Nelson Mandela, Thomas Sankara. La liste est infinie, car elle comprend également d’innombrables illustres inconnus.

24 - Dans les pays où cela n’existe pas, il conviendrait d’instituer une deuxième chambre qui pourrait être le Sénat et dont les membres devraient être choisis différemment des députés. Il pourrait être composé de personnalités politiques élues au suffrage indirect et des représentants de la société civile comme des membres élus des professions libérales, des associations à caractère culturel et/ou scientifique, des ONG, des mouvements des droits humains, des syndicats, des communautés religieuses. Les modalités pratiques resteraient alors à définir en tenant compte de la représentativité. Toute révision de la Constitution nécessiterait alors un vote en termes identiques à la majorité qualifiée de l’Assemblée nationale et du Sénat. Un tel procédé, par la difficulté de la mise en œuvre, sera déjà suffisamment dissuasif en lui-même, sans oublier qu’un tel Sénat sera difficilement manipulable.

25 - Pour contrebalancer les pouvoirs excessifs des chefs d’Etat africains et améliorer le sens de l’éthique dans la gestion de la chose publique, il pourrait être prévu que les nominations dans les hautes fonctions de l’Etat comme celles de ministre, ambassadeur, président d’institution, magistrat des juridictions suprêmes, gouverneur, secrétaire général de ministère, directeur général de service central, directeur général de société d’Etat, doivent au préalable être soumises à l’approbation du Sénat.

L’Etat composé fédéral est un bel exemple de contrepoids, d’équilibre et de participation des populations à la gestion de la chose publique. Si le choix est fait pour un Etat unitaire, la décentralisation devrait alors être effective et approfondie. La gestion des intérêts locaux devrait relever de la compétence effective des collectivités locales avec une méthode précise de répartition des ressources et des charges entre l’Etat et la collectivité locale.

26 - Dans un Etat composé fédéral ou un Etat unitaire fortement décentralisé et doté d’un Parlement composé d’une Assemblée nationale et d’un Sénat tel que prévu_ avec un droit de regard sur le pouvoir de nomination, nul doute que les manipulations des Constitutions seront moins fréquentes. Pour limiter davantage les tentatives de modification du nombre de mandats présidentiels, il conviendrait d’adopter le régime parlementaire avec un président élu soit au suffrage universel, soit par le Parlement, soit par un collège électoral composé du Parlement et des élus locaux et dont l’essentiel des prérogatives consisterait à représenter la nation, à être le garant de son unité, à assurer le respect de la Constitution, à nommer le premier ministre en fonction de la majorité parlementaire et à recevoir sa démission.

27 - Dans le difficile chemin vers la justice, la démocratie et l’alternance au pouvoir, gages d’épanouissement social et de progrès certain et durable, les organisations régionales, comme l’Union africaine et sous-régionales, comme la C.E.D.E.A.O. et l’U.E.M.O.A. pour l’Afrique de l’Ouest, devraient jouer un rôle significatif. Elles pourraient prévoir dans leur Charte des dispositions faisant obligation à chaque État membre de respecter et faire respecter les principes fondamentaux de la démocratie et de l’alternance avec obligation pour l’organisation et tous les États membres de contraindre chaque État membre au respect de ces principes.

28 - Dans un monde de compétition de plus en plus acharnée, les Africains doivent avoir le courage d’innover ou d’accepter de périr sans gloire. L’Afrique ne peut s’épanouir réellement avec les vêtements des autres. C’est pourquoi, Samir Amin avait parlé de la nécessité de déconnecter de l’Occident. Cette déconnexion devrait d’abord être constitutionnelle et donc politique et rationalisée. Comme l’a dit Joseph Ki-Zerbo, « Si nous choisissons d’être des singes, nous serons toujours en retard d’une grimace ».

Apollinaire J. Kyelem de Tambèla

Enseignant-chercheur
Avocat au Barreau du Burkina Faso

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Vos commentaires

  • Le 3 février 2006 à 19:42, par Nogo En réponse à : > Débat : Mimétisme constitutionnel et déficit démocratique en Afrique

    Excellent article qui rehausse le niveau du débat démocratique. A juste titre l’auteur déclare que l’inadaptation des règles qui régissent nos sociétés est à l’origine d’un certain nombre d’écart de conduite et même d’un certain désintérêt pour le débat politique. Toutefois je pense que les solutions qu’il propose aussi bien que son diagnostique ne vont pas au fond des choses et donc n’aboutiront qu’à de simples variantes des systèmes que nous connaissons actuellement. Par ailleurs la quasi totalité des arguments utilisés, des exemples cités, soit pour définir la démocratie et la constitution, soit pour énoncer même les règles du droit se réfèrent une fois de plus à l’occident. Cela témoigne de la difficulté que nous avons à penser de nous mêmes. Elaborer de nouvelles constitutions selon des critères et suivant des principes que le peuple ignore ne conduira probablement qu’à la même chose.

    Je pense que ce qu’il faut faire, c’est de reprendre les institutions anciennes, les repenser et les faire émerger de la léthargie et du mépris dans lesquels elles gisent, pour y intégrer tous les principes modernes de la démocratie. Cela est possible et faisable. Patrick Chamoiseau à ce titre disait qu’un peuple défaille et meurt quand pour lui s’invalident ses traditions, s’il les perçoit comme archaïques et réfuse d’avancer, riche d’elles, pour se créer un monde nouveau.

    • Le 4 février 2006 à 22:43 En réponse à : > Débat : Mimétisme constitutionnel et déficit démocratique en Afrique

      Je ne serai pas long, dans la mesure où il s’agit ni plus ni moins d’un bon cours de droit constitutionnel suivi de critiques et suggestions ! Mais en fait le mimétisme, il faut le reconnaitre, il n’ya que Bado qui fait un étalage là- dessus de façon concrète. Le hic, c’est que les solutions ont du mal s’écarter d’un minimum de mimétisme !
      Une question se pose, devons combattre le mimétisme en gros, ou encourager un certain mimétisme ?
      Bien, je me suis exprimé !

  • Le 23 mai 2016 à 03:09, par katulondi bantu guylain En réponse à : Débat : Mimétisme constitutionnel et déficit démocratique en Afrique

    j’ai beaucoup aimé cette analyse sur le mimetisme

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