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Côte d’Ivoire : GBAGBO et les siens veulent-ils la paix ?

Publié le vendredi 27 janvier 2006 à 08h04min

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On croyait le processus de paix résolument remis en scelle en Côte d’Ivoire avec la formation du gouvernement au forceps du nouveau Premier ministre Charles Konan BANNY accepté par tous. Un groupe de travail international (GTI) a même été constitué pour suivre et faciliter l’application de la résolution 1 633 des Nations unies. Mais hélas, mille fois hélas, le pays de feu Houphouët BOIGNY, l’apôtre de la paix, semble aujourd’hui se complaire dans la déchirure, le chaos.

Face à l’impossibilité de tenir des élections libres et transparentes en Côte d’Ivoire prévues pour octobre 2005, la communauté internationale dans son ensemble a décidé de la prolongation du mandat du président Laurent GBAGBO pour un délai d’un an supplémentaire à la tête du pays.

Pour donner un coup de fouet au processus de réconciliation en cours, un nouveau Premier ministre accepté de tous a été désigné en la personne de Charles Konan BANNY, ancien gouverneur de la BCEAO. Ce dernier devrait bénéficier de pouvoirs élargis et a pour mission de réunifier le pays et le conduire à des élections libres et transparentes au plus tard le 31 octobre 2006 et ceci sous la supervision du GTI (Groupe de Travail International) qui regroupe les Nations unies, la CEDEAO et des personnalités ivoiriennes.

Bras de fer GBAGBO-BANNY

Charles Konan BANNY, qui a remplacé Seydou DIARRA cet autre Premier ministre de consensus issu de l’accord de Marcoussis, n’aura pas les coudées franches de la part des dirigeants du FPI, parti au pouvoir. En effet, la formation de son gouvernement se fera dans la douleur avec le parti du président GBAGBO qui ne voulait pour rien au monde lâcher certains portefeuilles-clés comme ceux de l’Economie et des Finances, de la Défense, etc.

Mais le premier grand test du nouveau chef du gouvernement aura été sans conteste l’attaque au matin du 02 janvier dernier du camp militaire d’Akouedo. Pendant que tout Abidjan et même la Côte d’Ivoire entière se réveillait peu à peu d’un réveillon de fin d’année bien arrosé, la ville plonge dans la stupeur d’un vrai-faux complot de coup d’Etat.

D’aucuns parlent d’une attaque venue d’éléments extérieurs, qui chercheraient à déstabiliser le régime en place. Les doigts accusateurs sont pointés d’une part vers le général Mathias DOUE et son frère d’arme le colonel Jules YAO YAO, en disgrâce depuis peu avec le président GBAGBO, et qui vivent dans la clandestinité et de l’autre vers le Sergent Ibrahim COULIBALY dit IB qui, on le sait, ne cesse de réclamer à Guillaume SORO la paternité de la rébellion. Mais certains voient en cette attaque, une mutinerie en réaction contre des arriérés d’indemnités et de salaires de recrues qui reprochent au président de mal les traiter sur le plan salarial que les mercenaires libériens, angolais et autres.

Dans tous les cas, cette situation aura permis au président GBAGBO de revenir au-devant de la scène politique et de démontrer à ses concitoyens qu’il demeure le seul maître à bord et reste le chef de l’exécutif. Il faut dire que le « Woody de Mama » voit d’un mauvais œil le fait de se délester d’une grande partie de ses prérogatives au profit du nouveau Premier ministre qui, somme toute, prend sa mission très au sérieux et commence déjà à gagner des galons sur le terrain politique. Cela est de bonne guerre d’autant plus qu’on prêterait à Charles Konan BANNY des ambitions présidentielles.

Donc conduire à bon port le processus de paix augmenterait certainement ses chances pour les élections de 2015. Ce monsieur, comme on le voit, joue aussi sa future carrière politique dans cette mission et ne veut alors pas se laisser distraire. Pour situer les responsabilités une enquête sera diligentée pour éclairer cette affaire de vrai-faux complot.

Confiné à un poste de président sans tous les pouvoirs, Laurent GBAGBO ne pouvait que compter sur le Parlement ivoirien, acquis à sa cause, comme levier de son pouvoir pour exercer une pression ou pour contrarier quelque peu le travail du nouveau Premier ministre comme cela a été le cas avec l’ancien, Seydou Elimane DIARRA.

Conscient du danger que pourrait constituer l’Assemblée nationale pour le processus de paix actuellement en cours en Côte d’Ivoire, le GTI chargé de superviser l’opération a effectivement constaté le 15 janvier dernier la fin du mandat des députés ivoiriens qui était arrivée à expiration le 16 décembre 2005, et il a en outre recommandé la non-prorogation de celui-ci.

Il n’en fallait pas plus pour que les jeunes patriotes avec à leur tête Charles Blé GOUDE envahissent les rues d’Abidjan et de certaines villes sous contrôle des Forces loyalistes. Pendant près de quatre jours, des manifestations de protestation, de violence, d’actes de vandalisme, de provocation et d’affrontement avec les forces Licornes et Onusiennes se succèdent.

La défiance de la communauté internationale
Les jeunes patriotes s’en prennent à cœur joie aux biens des Casques bleus. Ainsi, le domicile du chef de l’Onuci à Abidjan est mis à sac, les intérêts de la France ne sont pas épargnés, on s’attaque même à des ressortissants Ouest africains ; les manifestants font le siège de l’ambassade de France et de la représentation des Nations-unies à Abidjan, ils réclament en outre le retrait des Casques bleus et de la Force Licorne.

La chienlit s’installe et le pays est dans un état presque insurrectionnel. Et pourtant un décret présidentiel interdit tout mouvement de foule, marches, sit in et autres mais tout se passe presque dans l’indifférence totale des Forces de défense et de sécurité (FDS) si ce ne sont pas elles-mêmes qui encadrent ces jeunes patriotes.
Au demeurant comment cela pouvait-il en être autrement quand on sait que Simone GBAGBO épouse du chef de l’Etat ivoirien, Président du groupe parlementaire FPI, marraine des patriotes, avait déjà donné le ton en affirmant qu’elle n’accepterait jamais une telle décision du GTI quelques jours auparavant ?

On comprend alors l’attitude de Pascal Affi N’GUESSAN président du Front Populaire Ivoirien (FPI) qui a appelé au départ de toutes les forces étrangères de Côte d’Ivoire, Casques Bleus et Licorne notamment, et la mise en place d’un Gouvernement de libération nationale (GLN). Dans la foulée, il annonce le retrait de son parti du processus de paix et du gouvernement BANNY. Est-ce à dire que le FPI s’inscrit dans une logique de guerre ? Rien n’est moins sûr. Dans tous les cas, le processus de paix se trouve une fois de plus sérieusement menacé et il n’en fallait pas plus pour que le président Nigérian Olesegun OBASSANJO se déplace à Abidjan pour calmer le jeu.

Lors de sa visite, le président nigérian a rappelé aux Ivoiriens que le GTI n’a pas autorité pour dissoudre le parlement de Côte d’Ivoire, qu’il a fait des recommandations mais qu’il appartient au Premier ministre et au président de la République ensemble de redéfinir la mission des députés. Cependant, de ce qui a filtré des entretiens entre les deux présidents, OBASSANJO, dépité, n’a pas manqué de crier à GBAGBO, le ras-le-bol de la communauté internationale agacée par son comportement assimilable à celui du pyromane. Il lui signifiera, semble-t-il, qu’il n’était pas à l’abri du scénario à la TAYLOR. L’ancien président du Libéria s’est vu contraint à l’exil par la communauté internationale.

Le secrétaire général de l’ONU, Koffi ANANN, non plus n’a pas mâché ses mots à l’endroit des dirigeants ivoiriens en leur rappelant d’avoir à l’esprit qu’ils pourraient être appelés à répondre plus tard de leurs actes. Le Conseil de sécurité, quant à lui, a réitéré son soutien au GTI tout en étant ferme face aux acteurs ivoiriens qui bloquent le processus de paix et de brandir une fois de plus la menace des sanctions ciblées qui vont de l’interdiction de voyager au gel des avoirs.

Tout semble se passer en Côte d’Ivoire comme si cette situation de ni paix, ni guerre arrangeait les dirigeants, surtout le camp présidentiel qui dans cette situation peut jouir ainsi en toute impunité des biens de l’Etat notamment l’argent de la filière café-cacaco. D’où le point d’achoppement entre le président GBAGBO et Charles Konan BANNY à propos du ministère qui détient le cordon de la bourse, celui de l’Economie et des Finances.

Le président GBAGBO, il faut le dire, n’est-il pas en train de se faire prendre à son propre jeu ? En tout cas, à force d’actionner sur ses « jeunes patriotes » pour se donner la légitimité du pouvoir et contraindre la communauté internationale à de perpétuels reculs dans la résolution de la crise ivoirienne, il s’inscrit lui-même sur un tableau de bord (ou de chasse) qui a enregistré d’illustres noms tels Bertrand ARISTIDE d’Haïti ou Charles TAYLOR du Libéria.

Défier la communauté internationale (notamment l’ONU) est un risque qui n’était pas à courir.

Par Claude ROMBA
L’Opinion

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