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Corruption de la justice : La mercuriale de Guy Hervé Kam (1)

Publié le lundi 23 janvier 2006 à 08h17min

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Savez-vous ce que c’est qu’une mercuriale ? Dans la vieille tradition française, c’est un discours soulignant les "abus commis dans l’administration de la justice". C’est donc à une véritable mercuriale que s’est livré dans son message de nouvel an, le secrétaire général du Syndicat burkinabè des magistrats (SBM), M. Kam Hervé Rommel Guy.

Dans son réquisitoire sans concession qu’on lira par ailleurs, il dénonce, exemple à l’appui, ce qui, à ses yeux, passe comme autant de prime à l’impunité et d’encouragement à la corruption dans le corps même de la magistrature.

Une année nouvelle commence et il est de coutume qu’on se présenter les vœux. Le SBM s’en voudrait de déroger à cette coutume. Aussi, son Conseil syndical, réuni le 14 janvier 2006 à Ouagadougou, forme le vœu que l’institution judiciaire porte bien son nom pour le bonheur de tous les justiciables. Une année nouvelle, c’est aussi l’occasion de jeter un regard rétrospectif sur l’année écoulée afin d’aborder avec sérénité celle qui commence. L’année 2005 retiendra l’attention d’abord en raison du traitement réservé à la corruption dans la Justice.
En effet, après les critiques récurrentes qui ont mis en mal la Justice en 2004, le président du Faso a décidé de la mise en place d’une commission d’étude sur ce fléau. Cette commission qui a suscité de réels espoirs, tant au sein de la famille judiciaire qu’au sein des justiciables, a déposé son rapport depuis avril 2005. Malgré la concordance et la précision des faits à l’encontre de certains magistrats, l’on attend toujours les suites à donner.

Pendant ce temps, il y a comme une prime à l’impunité à l’égard des mis en cause. Cela rappelle étrangement cette fable de La Fontaine : les animaux malades de la peste. Un mal, la peste, répandait la terreur dans le monde des animaux. Il les frappait tous. Le lion, roi avisé, tint conseil. Il invitat le plus coupable à se dénoncer en sacrifice pour obtenir la guérison commune. Puis, donnant lui-même le ton, il avoua avoir dévoré force mouton et même le berger. Et le renard de s’exclamer : « - Sire, vous êtes trop bon roi ; Vos scrupules font voir trop de délicatesse ; Et bien, manger moutons, canaille, sotte espèce, est-ce un péché ? Non, non. Vous leur fîtes seigneur en les croquant beaucoup d’honneur.

Et quant au berger l’on peut dire qu’il était digne de tous maux, étant de ces gens-là qui, sur les animaux, se font un chimérique empire ». Et tous les flatteurs d’applaudir. Ainsi, toutes les puissances de la brousse, (tigre, ours, etc.) passèrent pour des saints. Quant au pauvre âne qui a avoué avoir mangé de l’herbe tendre d’un pré pour calmer sa faim, sa peccadille fût jugée un cas pendable. Manger l’herbe d’autrui ! Quel crime abominable... Comme pour donner de l’actualité à cette fable, le ministre de la Justice, à l’occasion de la rentrée judiciaire placée sous le thème : « La déontologie du juge », n’a pas une seule fois prononcé le mot corruption.

Pour lui, la corruption ne constitue pas un problème dans la justice, en tout cas, pas du point de vue déontologie. Au contraire, si la justice burkinabè va mal, selon lui, c’est parce que des magistrats font des études et donnent des consultations. Ensuite, 2005 a battu le record des violations de la loi faisant du ministère de la Justice, le seul qui porte le nom d’une vertu, le nid où se conçoivent et s’envolent les plus graves entorses à la légalité. L’illégalité y a la vie dure.

Quid du Conseil supérieur de la magistrature ?

Ainsi, l’on a pu assister à des nominations (récompenses) de magistrats en violation flagrante du statut du corps de la magistrature, à des déplacements de magistrats en dehors de toute session du CSM, chose jamais vue dans la magistrature depuis 1993, c’est-à-dire au sortir de l’Etat d’exception. Le point culminant de ces violations a été atteint lorsque, par la presse interposée, notre syndicat, pourtant représenté au CSM, a appris la nomination d’un magistrat au Conseil constitutionnel.

Face à l’énormité de la situation, le SBM s’est d’abord assuré que la nomination en cause était faite sur le quota de magistrats à propos duquel l’article 2 de la loi organique n°11-2000 AN du 27 avril 2000 portant composition, organisation, attribution et fonctionnement du Conseil constitutionnel et procédure applicable dispose : « Le Conseil constitutionnel comprend : ... trois magistrats nommés par le président du Faso sur proposition du ministre de la Justice après avis du Conseil supérieur de la magistrature... ».

Après avoir obtenu la certitude que tel était le cas, le SBM s’élève contre cette pratique attentatoire à l’indépendance de la Justice par la banalisation du CSM, car en vérité, le CSM n’a jamais été saisi à l’effet d’émettre avis sur cette question. Il ne serait pas étonnant qu’au lieu de se conformer à la loi, la chancellerie, comme à son habitude, la modifie pour éviter à l’avenir de telles critiques.

De nombreux exemples fondent cette appréhension : Nous en retenons principalement trois.
- lorsqu’en 2001, le SBM a engagé une grève, il a été inscrit dans le statut au cours de la magistrature de la même année que « l’exercice du droit de grève est interdit aux magistrats » ;
- Après avoir contesté le droit pour le ministre de la Justice de noter les magistrats en service dans les juridictions, le texte a été relu immédiatement pour prévoir « qu’il n’y a de note chiffrée qu’attribuée par le ministre » ;
- De même lorsqu’il a été dénié au ministre de la Justice le droit de limiter le nombre de magistrats pouvant avancer en grade, le ministre a fait prendre un décret pour prévoir...

La feuille de route pour 2006

Qu’il en soit ainsi ! Mais les auteurs intellectuels et matériels de cette pratique auront à souvenance qu’à force de raboter les textes de loi pour les appliquer à des situations particulières (les lois étant des dispositions générales impératives et impersonnelles) l’on finit par les vider de leur substance et par créer une insécurité juridique qui du reste n’est pas nuisible à terme aux seules personnes qu’on entendait réprimer.

Dans leur discours préliminaire sur le projet de code civil de 1804, les pères du code civil faisaient remarquer fort à propos que : Les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison... au lieu de changer les lois, il est presque toujours plus utile de présenter aux citoyens de nouveaux motifs de les aimer ». Le SBM fait sienne cette sagesse.

Aussi, en tant que regroupement de magistrats, gardiens de la loi, il ne se lassera jamais de dénoncer l’illégalité quoique cela en coûte. Il y va de l’enracinement d’une Justice vraie au Burkina Faso._Dans le même temps, il diversifiera ses efforts pour renforcer ses actions entrant dans le cadre d’une meilleure connaissance de la justice et ses institutions. Le SBM est convaincu qu’en sortant de sa tour d’ivoire, l’on ne banalise pas la Justice, on la fait mieux connaître pour mieux la faire aimer.

Aussi, après l’accessibilité à la justice à travers la lutte contre la corruption, le SBM s’attaquera au cours de cette année à l’accessibilité à la justice à travers la simplification du langage judiciaire. Le SBM espère et souhaite vivement que les justiciables burkinabé sauront saisir ces occasions pour se rapprocher de leur justice. Bonne et heureuse année 2006.

Pour le Conseil syndical Le secrétaire général Guy Hervé Rommel Kam

Note (1) : La titraille est du journal

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