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Côte d’Ivoire : Le gouvernement de la rue publique

Publié le lundi 23 janvier 2006 à 08h29min

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On avait déjà vu ça. D’abord fin janvier 2003 quand Paris s’était transformée en Canossa pour Laurent Gbagbo. La table-ronde du Centre national de rugby (CNR) de Linas-Marcoussis, sous le magistère du constitutionnaliste français Pierre Mazeaud, venait d’accoucher d’un compromis historique entre les différents protagonistes de la crise ivoirienne.

Et des chefs d’Etat de France et d’Afrique, auxquels s’étaient joints le SG de l’ONU, Kofi Annan, le président de la commission de l’Union européenne, Romano Prodi, et de nombreuses autres personnalités avaient pris le relais pour entériner l’Accord et désigner sur place le chef du futur gouvernement de réconciliation nationale en la personne de Seydou Elimane Diarra, nommé séance tenante à l’ambassade de Côte d’Ivoire en France, pour au moins conserver l’illusion de la souveraineté.

Dans la foulée, on avait commencé les marchandages pour la formation de la future équipe gouvernementale. C’était plus que les disciples du Machiavel de Mama ne pouvaient supporter. Et de fait, l’encre qui avait servi à tracer la feuille de route de Marcoussis n’était pas encore sèche qu’Abidjan s’embrasait, sombrant dans un cycle de manifestations d’une violence inouïe. Principales cibles : les Français, objet de tous les ressentiments, et leurs intérêts, pillés, vandalisés, cassés...

Puis le calme revint, mais la religion des observateurs de la scène politique ivoirienne était désormais faite : quelles que puissent être les promesses qu’on va lui arracher, Laurent Gbagbo s’emploiera méthodiquement à les torpiller, dût-il faire recours au gouvernement comme on dit, de la rue publique (et non celui de la République) et ses "patriotes". Novembre 2004, nouvelle poussée de fièvre du côté de la lagune Ebrié après la bavure programmée des Sukhoï qui ont bombardé une caserne française à Bouaké, en zone rebelle donc, tuant neuf soldats français de la force Licorne et en blessant quelques autres.

Riposte automatique de l’opération Licorne qui détruisit au sol tous les aéronefs militaires ivoiriens. Les émeutes qui se déclenchèrent du 6 au 9 novembre dans la capitale économique ivoirienne provoquèrent alors le rapatriement de nombreux Français et des dégâts matériels immenses. Chirac, excédé au plus haut point, a-t-il voulu, comme on l’a entendu, profité pour déposer le locataire du palais de Cocody ? Ce n’est pas exclu, mais on n’en n’est pas arrivé là, et avec le recul, l’Elysée doit se demander si elle n’aurait pas dû terminer la manœuvre.

Avec le soutien et la bénédiction d’un Mathias Doué par exemple, alors chef d’état-major des FANCI et aujourd’hui dans le maquis. Au fil des mois et des années, Laurent Gbagbo qui, il est vrai, joue sa survie politique voire sa vie tout court dans cette affaire, est en tout cas apparu tel qu’en lui-même, utilisant avec un art consommé la roublardise, le double jeu et l’utilisation de la rue comme méthode de gouvernement. Il a encore donné la pleine mesure de son talent la semaine dernière après que le Groupe de travail international (GTI) eut pris acte de la fin du mandat des députés dont, pourquoi s’en cacher, il ne souhaite pas la prorogation.

L’Assemblée nationale, présidée par un faucon du Gbagboland (Mamadou Koulibaly pour ne pas le nommer) et à majorité FPI, n’a-t-elle pas été jusque-là l’un des principaux obstacles à la paix en bloquant les lois qui fâchent ou en les vidant de leur substance ? Mettre les parlementaires entre parenthèses, en chômage technique, équivaudrait donc à sauter un écueil, ce qui permettrait au nouveau premier ministre, Charles Konan Banny (CKB), d’avoir les coudées plus franches pour faire avancer le processus de paix.

Pour autant, et quand bien même le pays d’Houphouët serait de facto sous tutelle onusienne, le GTI n’a pas le pouvoir de proroger ou pas le mandat des élus et pas davantage celui de dissoudre l’Assemblée comme on l’a entendu dans un glissement sémantique voulu à dessein. Car les têtes pensantes du camp présidentiel semblent avoir choisi exprès d’entretenir ce malentendu et de l’exploiter politiquement, en brandissant l’épouvantail Blé Goudé, pour éviter que l’avis ne se transforme en décision.

Ce fut donc une semaine de mauvaise foi où on a fait dire au GTI ce qu’il n’a pas dit. Et comme il n’est pas pire sourd que celui qui ne veut pas entendre... La précipitation avec laquelle le FPI a suspendu sa participation au gouvernement Konan Banny (pourtant formé au forceps fin décembre après 3 semaines de dures négociations) et s’est mis en marge du processus de paix tout en appelant à la mise sur pied d’un gouvernement de réconciliation nationale est même assez suspecte.

Tout se passe comme si Pascal Affi N’Guessan, qui déclarait déjà que son parti "ne reconnaîtra aucune décision ou recommandation du GTI qui serait contraire aux dispositions de la Constitution et tendrait à porter atteinte à la souveraineté de la Côte d’Ivoire" , cherchait la moindre occasion pour ruer dans les brancards et engager l’épreuve de force avec la communauté internationale.

Mais il est au moins honnête en optant de ne plus louvoyer, préférant courageusement quitter le plat gouvernemental pour mieux cracher dans la soupe concoctée par CKB et torpiller l’œuvre de réconciliation et de pacification. Ce qui est marrant, c’est que c’est la même ONU, dont le GTI est une émanation, qui avait décidé le 31 octobre 2005, de proroger le mandat de Gbagbo, autrement plus important dans l’architecture institutionnelle et politique.

Alors, on n’avait pas vu le moindre éléphant sortir de la forêt pour détruire tout sur son passage. Les Forces nouvelles ainsi que le RDR et, dans une certaine mesure, le PDCI, qui y étaient opposés auraient pourtant pu, eux aussi, contester bruyamment, ou même violemment. Mais on peut être sûr que ce sont les matraques voire les balles réelles des forces de sécurité qui les auraient accueillis ; alors que dans le cas présent, c’est à peine si les policiers, gendarmes et militaires, qui avaient reçu l’ordre express de ne pas intervenir, n’ont pas fait une haie d’honneur à Charles Blé Goudé et ses hommes.

Le parallélisme des formes aurait voulu que le FPI et les patriotes, qu’on ne se rappelle pas avoir vu s’opposer aux prolongations de Gbagbo décidées par l’ONU, ne se piquent pas de s’en prendre aux Casques bleus quand la maison de verre de Manhattan ne va pas dans le sens qu’ils souhaitent. Mais une telle chose doit être au-dessus de leurs forces. Quoi qu’il en soit, si le Gbagboland voulait tester la détermination de la communauté internationale, eh bien, c’est réussi.

Car non seulement Pierre Schori, le représentant spécial de Kofi Annan à Abidjan, a déclaré qu’il n’est pas question que les militaires onusiens s’en aillent, mais l’ONU envisage de plus en plus sérieusement de prendre enfin des sanctions contre les fauteurs de guerre. Il ne reste plus qu’à souhaiter qu’elle ne faiblisse pas et que les sourdes rivalités entre les grandes puissances (les Etats-Unis et la France en l’espèce), malgré l’entente apparente sur le dossier ivoirien, ne viennent mettre un grain de poussière dans la machine.

Dans tout ça, c’est Charles Konan Banny qui doit regretter son bureau douillet de la BCEAO. Quand, après s’être fait longtemps désiré, il a enfin accepté ce poste périlleux, espérant in petto entrer dans l’histoire comme l’homme providentiel qui a apporté la paix à son pays, il se doutait bien que la tâche ne serait pas facile, mais même dans ses cauchemars les plus cauchemardesques, il n’imaginait peut-être pas que ce serait ainsi.

Observateur Paalga

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