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Démissions au sein du CDP : prémisses d’un big bang

Publié le samedi 21 janvier 2006 à 09h58min

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Démocratie interne, gestion des cadres, mouvements de balancier des alliances au sein des partis et entre les parties. Ce sont là les quelques points saillants à l’origine des heurts internes ayant entraîné les dernières démissions au sein du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) parti majoritaire. Dans cette logique, ce qui a priori peut paraître ordinaire, peut se révéler être un signe avant coureur d’une redéfinition du paysage politique. Analyse.

Les partis en tant que composante du corps social sont soumis à la dynamique des mutations qui font et défont l’ordre établi. L’évolution des sociétés est ainsi faite. L’immobilisme politique est l’exception dans la gestion des Etats. Il peut signifier sclérose des institutions, manque de dynamisme, d’initiatives et d’audace de la classe politique à même d’impulser des remises en causes, des réformes, voire une révolution dans le mouvement social.

Les crises au sein des partis ne sont donc pas forcément une mauvaise chose à la seule condition, qu’elles transcendent les individus et les subjectivités pour s’attacher à enrichir les formes d’organisation, les méthodes de travail et les idées.

Il y a donc des crises porteuses de progrès mais aussi des remue-ménage totalement improductifs.

On parlera alors de crises de croissance ou de contestations épiphénoménales. Tous les partis politiques traversent ces étapes selon la dynamique naissance, maturité, apogée et déclin.

Le CDP à son apogée

Pour la petite histoire, on sait que le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) est né en 1996 de la fusion-absorption d’une dizaine de partis politiques dont les plus importants à l’époque étaient l’Organisation pour la démocratie populaire/Mouvement du travail (ODP/MT), la Convention nationale des patriotes progressistes (CNPP), le Rassemblement des socio-démocrates indépendants (RSI), le Groupe des démocrates révolutionnaires (GDR), etc.

De toutes ces forces politiques, l’ODP/MT était assurément la plus représentative. Elle passait déjà pour un albatros avec ses 78 députés sur 107 à l’Assemblée nationale. Elle était surtout le parti présidentiel avec comme idée principale du programme politique pour le septennat 1991-1998, le Large Rassemblement. C’est ce qui explique la création du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) le 5 février 1996.

"L’ODP/MT qui était déjà un méga-parti, avait cédé la place à un super-méga-parti". Il n’allait pas tarder à le montrer sur le terrain avec les élections législatives de 1997 où il rafla plus de 68,5 % des suffrages exprimés soit 101 députés sur 111. Le Large Rassemblement était plus que visible. Il était et demeure consistant.

Ils n’ont pas pu éviter le départ des mécontents.

La dernière présidentielle l’a amplement prouvé. Le score de 80,35% du président ré-élu Blaise Compaoré en est la preuve éloquente. Mais on retiendra aussi que la stature du fondateur de la IVe République déborde largement le CDP dont il est le père spirituel pour toucher les autres 26 partis de la mouvance présidentielle mais aussi l’ADF/RDA de Me Gilbert Ouédraogo. Ce dernier qui passait pour le chef de file de l’opposition avec ses 10 députés à l’Assemblée nationale est aujourd’hui le principal allié du CDP ou plutôt de Blaise Compaoré. Cette alliance-allégeance à la politique présidentielle de la première force politique de l’opposition est à priori factuelle. Elle peut se renforcer ou s’effriter avec le temps. Mais parce qu’elle confirme la volonté présidentielle de ne point être prisonnier d’aucun parti , elle ouvre des perspectives dans le remodelage du paysage politique.

En effet, la concurrence est désormais ouverte entre le CDP, l’ADF/RDA et les autres partis de la mouvance présidentielle, voire des mouvements associatifs comme les ABC dans la conquête de l’opinion, des électeurs et des citoyens pour l’exécution du programme présidentiel. C’est à l’honneur du président du Faso d’avoir mis son génie politique à faire de l’émiettement de la scène politique une source d’émulation dans le labourage du champ commun, le développement du Burkina. Le CDP et avant lui l’ODP/MT qui n’a pas le monopole du soutien à Blaise Compaoré doit s’attendre à voir son hégémonie sur la scène politique de plus en plus remise en cause. Cette remise en cause interne et externe est un déclic d’une redistribution des cartes politiques sur l’échiquier national.

Une redistribution qui peut faire naître une concurrence plus forte au sein du CDP entre cadres du parti et à l’extérieur du parti majoritaire avec les autres formation politique. Si cette concurrence est mal gérée, elle pourrait annoncer le déclin d’une certaine génération du CDP, voire du CDP lui-même.

Démocratie interne et gestion des cadres

On ne fera pas l’injure au CDP de lui voir une quelconque orientation de gauche qui plus est, pourrait être marxiste léniniste. Mais ce n’est pas propre au Burkina que des partis centristes ou de droite, prennent des méthodes d’organisation ou des idées de gauche et vice-versa. Le Centralisme démocratique par exemple est une méthode de gestion des partis largement répandue. Il suppose des initiatives prises au sommet qui les soumet à discussions à la base avant de prendre les décisions qui s’imposent en se fondant sur la synthèse des avis recueillis. La méthode a ses avantages et ses inconvénients.

L’avantage c’est d’instaurer la communication entre la direction du parti et les structures de base. Les inconvénients viennent de la difficulté à garder un équilibre acceptable entre le centralisme et la démocratie. Quand la direction du parti est très centraliste, elle étouffe les aspirations de la base. Quand la démocratie à la base mue en démocratisme, voire au désordre et à l’anarchie, le parti tangue et tend vers son déclin. Dans la pratique, le CDP n’échappe pas à ces deux grands pièges.

La désignation de ses candidats aux différents scrutins à mandat électif donne toujours à constater à la fois du centralisme voire du trafic d’influence qui ne prend pas toujours en compte les aspirations des militants de base. A l’inverse, trop de démocratisme s’observe dans certaines structures décentralisées du parti au mépris des grandes orientations définies par les instances dirigeantes. L’une des graves conséquences de ces dérives c’est qu’aujourd’hui, au CDP, la confusion est grande entre électeurs, sympathisants et militants du parti.

Des personnes ressources ont-elles à peine été sollicitées par le parti présidentiel qu’elles veulent tout de suite des postes de direction ou un mandat électif au titre du parti. Des électeurs ont à peine participé à faire élire des candidats CDP qu’ils se découvrent une vocation de militants incontournables. Des militants ont à peine participé à un congrès du parti qu’ils se voient aux avant-postes de la direction.

Quand s’y ajoute le fait que le CDP est le parti majoritaire donc aux affaires, cela suscite des ambitions légitimes de compétences diverses prêtes à servir le parti et l’Etat. Conséquence le parti regorge de ressources humaines inégalées dans les tous domaines. Les postes de responsabilités n’étant pas extensibles à souhait ni au niveau de l’Etat ni au niveau des partis, il y a des frustrations compréhensibles. C’est la manière de gérer ces frustrations ou de récompenser les efforts de militantisme et les investissements physiques, moraux, matériels et financiers qui peut provoquer les démissions du genre de celles qui ont cours actuellement.

En effet, du Houet au Yatenga en passant par le Zondoma, les personnalités en rupture de ban ou en instance de démission dénoncent la gestion approximative de l’établissement des listes électorales pour les élections municipales.

Quand on connaît les querelles de tendances et de leadership qui s’expriment dans ces trois régions, les dernières démissions sont une demi surprise. L’incapacité des commissaires régionaux et de la direction du parti à gérer ces différends, vieux de plusieurs années, est la preuve que les crises qui en résultent sont d’ordre structurel.

Elles traduisent bien "l’étroitesse" des structures du parti à gérer un trop plein de cadres dont la plupart n’ont pas l’esprit de parti, la capacité de sublimation des ambitions personnelles pour les intérêts tactiques et stratégiques du parti ou de l’Etat. Quand on sait que ces antagonismes dans les structures régionales au sein du parti majoritaire ont des soutiens au niveau central, l’éternelle question sur la cohésion au sein du parti présidentiel reste posée.

Blaise Compaoré ne l’ignore pas. Entre ses lieutenants civils il y a beaucoup de calculs pour le court, le moyen et le long terme. Il regarde, laisse faire tout en gardant le sifflet d’arbitre dans la poche. L’heure n’est pas à la distribution des cartons rouges même si certains tacles sont franchement méchants et sont donnés par l’arrière.

Célestin Koussoubé, Tahéré Ouédraogo... quel avenir ?

M. Célestin Koussoubé, le maire de Bobo-Dioulasso, sait dans quelles conditions, il a succédé à Alfred Sanou Comme édile de la ville de Sya. Il y avait eu mort d’hommes dans une bataille rangée entre tendances rivales. Aujourd’hui, sa situation est comme un retour du bâton. Qui entretien les querelles de tendances en est victime tôt ou tard. Sa démission aujourd’hui est le moindre mal pour la sérénité de la section Houet du CDP. Que les lieutenants du député Tahéré Ouédraogo se rangent sur les listes de l’ADF/RDA, c’est là aussi un “mal” nécessaire pour éviter le pire des chasses-poursuites des protagonistes dans les rues avec les fusils, pistolets, machettes et gourdins. Cela s’est déja vu.

Ces démissions et peut-être celles à venir dans d’autres régions, vont contribuer à la clarification du jeu politique et du rapport de forces. Les démissionnaires ayant proclamé leur foi jurée au programme présidentiel, on en déduit que les têtes de proue, Célestin Koussoubé, Tahéré Ouédraogo... restent dans la ligne du Large Rassemblement. C’est un signe que le camp présidentiel ne s’affaiblit pas des querelles internes du noyau dur. Au contraire, on peut y voir la compatibilité idéologique des partis partenaires : CDP, ADF/RDA, UFR, etc. Quant à la direction du CDP, notamment les commissaires politiques des régions affectées par les démissions, ils ne devraient s’en prendre qu’à eux-mêmes. On les voulait arbitre au dessus de la mêlée, ils n’ont pas su le rester.

Somme toute, à défaut d’avoir organisé des primaires dans les régions sujettes aux crises de tendances, le CDP devrait éviter de jeter la pierre aux démissionnaires qui, quoi qu’on dise, ont fait preuve de courage politique. Ils ont décidé de crever l’abcès. Qu’ils se retrouvent à l’ADF/RDA ou dans d’autres partis du camp présidentiel. Ils assument et assuméront le conséqtenses de leur choix. Le verdict des prochaines municipales va en effet départager ces tendances qui se querellaient de manière récurrente chacune avec la prétention d’être plus représentative que l’autre. Dans la défaite, on espère que les va-t-en guerre reviendront à de meilleurs sentiments de modestie.

Djibril Touré
L’Hebdo

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Vos commentaires

  • Le 21 janvier 2006 à 19:50, par Deberez En réponse à : > Démissions au sein du CDP : prémisses d’un big bang

    Tres bonne analyse de la situation qui prevaut actuellement au sein du CDP. Les conflits de tendances, qui se melent aux conflits d`interets, sont des signes evidents de la maturite et de l`apogee de ce mega-parti.Les defections actuelles sont une sonnette d`alarme. Elles appellent a une meilleure gestion des conflits interpersonnels dans le parti mais surtout a un examen attentif des sources de ces conflits et des frustrations qui poussent certains a claquer la porte. Si aucun effort n`est fait en ce sens, c`est la decomposition du parti qui s`annonce. Souhaitons qu`elle se passe pacifiquement si cela doit etre le cas !

  • Le 22 janvier 2006 à 03:41, par tBelem En réponse à : > Démissions au sein du CDP : prémisses d’un big bang

    Très bel article et très bon choix de son titre incluant le terme « big-bang » dont tout le monde connait la définition scientifique. Quand une structure organisationnelle quelle qu’elle soit croît, autour de son noyau dur, à un stade MÉGA puis à SUPER-MÉGA, il va s’en dire qu’il y aurait une forte necéssité de sa restructuration. La raison étant qu’avec le très grand nombre de cadres au sein d’un même parti, les ambitions individuelles ainsi que les frustrations accumulées commenceront à faire jour. Comment règle-t-on généralement ce genre de situation ? Eh bien en recentrant le parti sur son « noyau dur » ou en créant de nouvelles alliances de sorte à entraîner le départ forcé de certains membres sans toutefois leur indiquer la porte de sortie. Autrement dit, laisser faire une sorte de « sélection naturelle » des cadres du parti. Cette analyse corrobore le fait que l’Alliance pour la Mouvance Présidentielle, malgré le nombre de partis qui la compose, n’a obtenu qu’un seul porfeuille ministériel, à l’opposé de l’ADF/RDA qui en a obtenu deux. « Que ceux qui ne sont pas satisfait débarquent du navire CDP ». Tout porte donc à croire qu’à l’issue de cette élection les stratèges du CDP ont décider d’effectuer un « auto-toilettage » du parti : "personne n’a viré personne ; il y a simplement des démissionnaires". Au final, le CDP risque de devenir une structure de taille « normal » de façon à être plus gérable. C’est seulement de cette façon que les objectifs du programme du chef de l’État pourraient être atteints sinon il faudrait d’abord satisfaire (ou récompenser) tous ceux qui ont soutenu le CDP. Or, permettre cela en plein jour serait une autre gifle au peuple Burkinabè quant au leure que pourrait représenter le visage de la démocratie au Burkina.

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