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Côte-d’Ivoire : Gbagbo fait son beurre avec le cacao

Publié le mercredi 18 janvier 2006 à 07h45min

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Laurent Gbagbo

Un rapport de l’Union européenne accuse le clan du Président de rançonner les planteurs à son profit.

Alors que les partisans de Laurent Gbagbo engagent un nouveau bras de fer avec la communauté internationale, voilà un rapport qui tombe mal pour le président ivoirien. Commandé par l’Union européenne, l’audit juridique de la filière cacao se révèle dévastateur pour ceux qui la contrôlent.

Ce document de plus de 200 pages, que Libération s’est procuré, décrit un secteur clé de l’économie ivoirienne livré au règne de l’arbitraire, géré en toute opacité. « Les structures actuelles ne peuvent être que liquidées », concluent les auteurs. Ils disent avoir eu toutes les peines du monde à mener à bien leur mission. L’un d’entre eux, l’avocat parisien Xavier Ghelber, a même été brièvement enlevé en novembre 2004 à Abidjan par des hommes en armes, avant d’être remis à des militaires français.

Ce rapport au vitriol pourrait affaiblir un peu plus Laurent Gbagbo, dont le mandat, qui s’est formellement achevé en octobre, a été prolongé d’un an par la résolution 1633 de l’ONU. Le cacao, dont la Côte- d’Ivoire est le premier producteur mondial, assure 15 % du produit intérieur brut (PIB) du pays, et fournit du travail à environ 6 millions de personnes. Il est aussi la principale source de financement occulte du régime, notamment pour ses achats d’armes.

Une filière hors la loi

Sous la pression de la Banque mondiale et des bailleurs de fonds étrangers, la filière cacao a été libéralisée à la fin des années 90. Avec pour objectifs de favoriser la concurrence entre producteurs, de garantir la transparence de la filière, de promouvoir les petites et moyennes entreprises et coopératives et d’assurer un revenu minimal aux planteurs. En lieu et place de la défunte Caisse de stabilisation du café-cacao (Caistab, créée sous l’ex-président Félix Houphouët-Boigny) a été mis en place, essentiellement après l’élection de Laurent Gbagbo en octobre 2000, toute une série d’organismes : l’Autorité de régulation et de contrôle du café-cacao (ARCC), la Bourse du café et du cacao (BCC) et le Fonds de régulation et de contrôle (FRC). Principal enseignement du rapport : « Ces structures évoluent en dehors de tout cadre légal. » Les qualifiant de « monstres juridiques », les experts signalent qu’elles se prévalent du statut « exorbitant » de sociétés commerciales privées, tout en fonctionnant exclusivement sur fonds publics grâce aux taxes fiscales et parafiscales prélevées sur les ventes de cacao, puis distribuées par l’Etat aux différents organismes....

Une gestion opaque

Les auteurs du rapport soulignent qu’« aucune convention de concession de service n’a été passée avec l’Etat (...), aucun budget type n’a été établi (...), aucun contrôle ne s’exerce sur l’engagement de sommes considérables (...) » par ces organismes. En octobre 2004, un comité de pilotage censé remettre de l’ordre dans la filière a été créé à l’initiative du ministre de l’Economie (un proche de Gbagbo). « Présidé par une personnalité proche de la présidence, mais étrangère aux problèmes de la filière (...), ce comité semblerait tendre à court-circuiter le comité interministériel (chargé de la filière, ndlr). » A plusieurs reprises dans leur rapport, les experts dénoncent les effectifs pléthoriques des structures, évoquant à mots couverts l’existence d’emplois fictifs. Ils notent aussi l’absence de statistiques fiables sur les volumes et les prix du cacao, ce qui autorise tous les détournements possibles.

Des fonds détournés en toute impunité

En dehors de toute procédure de contrôle public, les acteurs de la filière utilisent donc comme bon leur semble les sommes qui leur sont allouées par l’Etat. A propos de la Bourse du café-cacao (BCC), les experts notent que « le montant de ses ressources disponibles se révèle le plus souvent excédentaire par rapport aux tâches à remplir. Ce qui conduit parfois à engager des dépenses contestables ou superflues, notamment en matière d’études sur les questions les plus diverses et parfois les plus étrangères à l’objet social de la BCC ».

Les experts évoquent par exemple l’achat d’une société de production d’oeufs qui, notent-ils, « n’entretient que des rapports lointains avec la promotion et le développement des cultures du café et du cacao »... Gérée par le Fonds de régulation et contrôle (FRC), la Réserve de prudence, censée soutenir les cours du cacao en faveur des petits producteurs a, entre autres, servi à financer l’achat d’armes par le régime Gbagbo. Au début du conflit, le FRC a octroyé à cette Réserve près de 30 milliards de francs CFA, sans même l’aval de son conseil d’administration.

Placé à l’origine sur un compte séquestre à la Banque des Etats d’Afrique de l’Ouest, l’argent de la Réserve a, par la suite, été transféré à la Banque nationale d’investissement (BNI), établissement commercial... géré par le clan Gbagbo. En septembre 2005, une mission conjointe du FMI et de la Banque mondiale avait conclu que sur les 400 milliards de CFA prélevés sur le dos des planteurs entre 2002 et 2004, seuls 130 milliards avaient été dépensés au bénéfice de la filière cacao....

Les multinationales étrangères prospèrent

La libéralisation de la filière a considérablement fragilisé les petits producteurs qu’elle était censée aider. Selon les experts, « elle a provoqué une réduction notable du nombre des exportateurs, au détriment des petites et moyennes entreprises ». Entre 1997 et 2003, les multinationales étrangères (américaine, hollandaise, etc.) ont vu leurs parts de marché passer de 10 % à 30 %. « Ces grands groupes n’ont jamais été aussi puissants et prospères qu’aujourd’hui en Côte-d’Ivoire », note un observateur.

Théoriquement, les redevances versées aux organismes de régulation devaient permettre d’assurer un prix minimum aux paysans. Il n’en a rien été. Alors que les cours mondiaux du cacao sont à la baisse depuis plusieurs années, le niveau des prélèvements, inchangé, incite les planteurs à écouler clandestinement leurs productions au Ghana.

Des suites possibles

Notant ces multiples manquements, les auteurs du rapport évoquent la mise en cause éventuelle de l’Etat ivoirien à l’étranger. « Le statut privé, même artificiel, des structures de la filière ne leur permet pas d’invoquer une quelconque immunité », menacent-ils. Parmi les sanctions possibles, le gel des avoirs détenus par ces organismes à l’étranger. Dans un premier temps, le rapport risque de repousser pour longtemps toute reprise de la coopération entre les institutions financières internationales et la Côte-d’Ivoire de Laurent Gbagbo.

par Thomas HOFNUNG
Libération (www.liberation.fr)


Extraits choisis du rapport européen

« On avait assisté à la disparition de l’Etat dans certains pays. Mais, dans le secteur de la filière cacao, on voit un Etat qui ne liquide pas ses propres services d’intérêt général, mais en organise le transfert à des intérêts commerciaux. Il ne s’agit plus de délégations de services publics, mais de cession du service public, catégorie juridique jusque-là inconnue du droit public (...).

Dans la pratique, dès 2003, lorsque les cours mondiaux s’installaient dans une baisse durable, au détriment des producteurs, les autorités n’ont pas mis en oeuvre les instruments de régulation comme prévu par les textes.

Depuis, les planteurs, dont la situation se détériore non seulement à cause des conflits qui règnent dans leur zone d’exploitation mais aussi à cause de la baisse des revenus des récoltes, sont entrés dans un cycle de revendication récurrent (...). Les commerçants sont assujettis à de nombreux prélèvements fiscaux, dont certains sont directement destinés à garantir un prix minimum aux producteurs en adéquation avec la fluctuation des cours mondiaux (...).

Mais les instruments financiers mis en place en contrepartie des prélèvements ne sont pas utilisés pleinement par les institutions en charge de leur collecte et de leur gestion (...). Au total, si l’on disposait de tous les éléments, l’examen du cadre juridique des organisations de la filière cacao, par ses dysfonctionnements et surtout par ses incohérences fondamentales, pourrait faire le bonheur d’une armée de juristes. »

Libération (www.liberation.fr)

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Vos commentaires

  • Le 18 janvier 2006 à 22:32, par Yapo (citoyen libre ) En réponse à : > Côte-d’Ivoire : Gbagbo fait son beurre avec le cacao

    Moi , je dirais, le président Gbagbo fait le beurre des ivoiriens avec du cacao !grâce à cet homme , les paysans gèrent eux -mêmes leurs produits .parlons de l’achat des armes:tous ces espions français installés en côte-d’ivoire pour la cause , n’arrivent plus à faire profiter de la mane de ce produit à la france comme , il ya 50 ans !alors, ils écrivent des rapports négatifs à l’endroit de Gbagbo.avec quel argent CHirac a financé les armes nucléaires en France ? je me passe des détails parceque j’ai de la réserve en matière grise ! ne croyez pas que l’être noir restera toujours à votre vue , le pleutre des cinq-continents ? le président Gbagbo , vient de valoriser le peuple noir souillé par l’esclage ! Gbagbo est seul contre tous , mais, il gagnera son combat .

    • Le 26 janvier 2006 à 18:17, par Dodgo jean En réponse à : > Côte-d’Ivoire : Gbagbo fait son beurre avec le cacao

      Tout simplement dément de voir quelqu’un qui prétend avoir de la matière grise en réserve dire de telles énormités. Que ce monsieurs aillent sur le terrain et il saura que les paysans font pitiés. Et puis encore et toujours la guerre et la vielle chanson de l’occident qui réduit les peuples noirs en esclavage. écoutez quand on n’aime pas les blancs il ne faut aller faire le rang devant leur ambassade, il ne faut pas voler l’argent du caccao des paysans pour aller s’offrir des appartements sur la Côte d’Azur en France, il ne faut pas brader le port à Bolloré, il ne faut pas vendre nos bois et nos puits de pétrole à tour de bras aux mêmes blancs etc...
      La Côte d’Ivoire s’est libérée dans la dignité avec Houphouet Boigny, et il faut arrêter de faire croire que c’est par des actes de violence idiotes dont nous sommes les premiers à en souffrir que nous allons nous liberer. Quand on casse des entreprises d’expatriés européens et qu’on fait perdre à des milliers de cadres ivoiriens leurs emplois, ce n’est pas les liberer,mais les plonger dans l’indignité.

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