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Albert Ouédraogo, président du Tocsin : "La morale agonise au niveau de la classe dirigeante et politique"

Publié le vendredi 30 décembre 2005 à 09h13min

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Albert Ouédraogo

"La morale n’agonise plus au Burkina. Elle agonise au niveau
de la classe politique et dirigeante". L’homme n’est plus à
présenter, car connu pour ne pas avoir la langue dans la poche.
Albert Ouédraogo, président du Tocsin, une association de la
société civile, née au lendemain de la crise ivoirienne qui a
causé d’énormes torts aux Burkinabè de Côte d’Ivoire, fait ici un
tour d’horizon de la situation politique, sociale et culture au
Burkina.

En tant qu’acteur de la société civile, quel est l’événement qui
vous a le plus marqué au cours de l’année 2005 ?

Albert Ouédraogo : Il serait difficile de parler d’un seul
événement, mais je mettrai l’accent sur l’élection présidentielle
telle qu’elle s’est déroulée, dans la mesure où, dans un Etat
démocratique, l’élection constitue un moment phare. C’est du
choix de nos dirigeants que dépendra la façon dont le pays sera
géré. La condition des hommes, des femmes de la société
civile, des institutions dépend de celui qui sera élu.

Quand des
gens sont mal élus, on a un pays mal dirigé et c’est en cela que
l’élection présidentielle constitue un élément très important.
Mais il y a aussi la famine et l’expulsion des Burkinabè (ndlr : de
Côte d’Ivoire). Ce sont autant d’éléments qu’il faut prendre en
compte, mais je citerai en premier lieu l’élection présidentielle.

Quelle conclusion majeure tirez-vous de cette élection
présidentielle ?

Aujourd’hui, les institutions burkinabè fonctionnent. Nous
jouissons d’une certaine stabilité, en dépit de troubles, de
remous, de récriminations.

Comparaison n’étant pas raison, il
faut toujours regarder autour de soi, pour pouvoir apprécier le
peu qu’on a. Le Burkina revient de très loin ; pendant longtemps,
il était impossible de faire des passations (ndlr : de pouvoir) de
façon pacifique. Les coups d’Etat étaient le principal
dénominateur de la vie politique au Burkina. Mais depuis
quelques années, des changements positifs s’opèrent, même
si, à y regarder de près, on s’aperçoit dans les détails, que le
Burkina a encore du chemin à faire quant à la maturité politique,
à la possibilité de créer une alternance crédible et de voir des
acteurs politiques dépasser leur ego afin de créer un
mouvement de manière à rassembler le maximum de
personnes qui ne se retrouvent pas dans la politique en place.

De ce point de vue, je ne suis pas de ceux-là qui accusent le
parti au pouvoir. Si le parti au pouvoir est incapable de diviser
l’opposition, je ne sais pas à quoi il sert. C’est aux partis de
l’opposition de tout mettre en oeuvre pour ne pas se laisser
diviser.

Vous adhérez donc au principe du diviser pour régner,
notamment donner 30 millions à un parti ?

Ce n’est pas exactement ce que je dis. C’est comme si vous me
disiez que je suis sur un terrain de football où le camp adverse
n’a pas à marquer de buts. Un parti est fait pour conquérir le
pouvoir d’Etat. Et dans cette compétition, vous n’imaginez quand
même pas que les uns déroulent un tapis vert pour les autres !

Qu’il y ait des embûches, je ne dis pas non. Mais que tout se
passe dans le respect des règles et dans le fair-play. Plus le
pouvoir mettra des embûches, plus il se positionnera. C’est
pourquoi l’opposition doit travailler à exploiter les failles du
pouvoir. Si le parti au pouvoir a la possibilité d’acheter les
consciences et qu’elles s’y prêtent, je dirais, à la limite, tant pis
pour l’opposition. Si on veut tenir compte de l’aspect moral,
qu’est-ce qui amène un électeur à voter pour un candidat ? La
plupart du temps, c’est au regard de la capacité de ce candidat à
charmer cet électeur et à le faire rêver.

Mais, bien sûr, tout
dépend de l’individu. Si on pousse très loin, on peut dire que tout
choix électoral est quelque part provoqué. A ce moment-là, il
appartient à ceux qui compétissent de voir comment attirer vers
eux le maximum de personnes, mais toujours dans le respect
des règles, des principes et de l’éthique. C’est en cela que je
trouve immoral de remettre 30 millions de F CFA, tout comme il
est immoral de les recevoir.

Il est vrai qu’il y a une faillite, une immaturité, comme vous le
dites, de la classe politique burkinabè. Mais la conscience
citoyenne, si elle avait été bien en éveil, n’aurait-elle pas pallier
ces insuffisances ? Autrement dit, la société civile travaille-t-elle
à renforcer cette conscience citoyenne pour que les populations
puissent faire un choix responsable ? Qu’avez-vous fait, en tant
que société civile, à votre niveau ?

J’ai l’impression qu’en matière de démocratie, nous avons mis
la charrue avant les boeufs. Il est difficile de faire autrement, il
est vrai.

Mais comment peut-on parler de démocratie avec un
peuple à plus de 75% analphabète, non éduqué, vivant
pratiquement avec les valeurs et les repères de la tradition qui
indiquent que le chef est le référent par excellence, et qu’un chef
doit être inamovible, qui doit avoir toujours raison, même quand
il a tort ? Dans ces conditions, le travail est très ardu et à la
limite, on pourrait obliger les autorités à faire en sorte que
l’éducation soit l’élément phare de la démocratie parce que c’est
l’éducation qui fera que demain, les individus opéreront un choix
conscient. Aujourd’hui, combien de Burkinabè sont conscients
de leurs droits ?

Je suis sûr qu’il n’y a pas 10% qui en sont
conscients ; qui sont conscients que ce qu’on leur fait n’est pas
de l’ordre de la fatalité ; qu’ils peuvent se plaindre contre la
municipalité s’ils tombent dans un fossé ; que s’ils sont
malades et vont à l’hôpital, que les urgences n’agissent pas vite
et qu’ils décèdent, un procès peut être intenté contre l’hôpital.
Encore moins que tous les citoyens ont le droit de vote.
C’est dire qu’il y a beaucoup de choses à faire, mais qu’on ne
peut les faire avec une population à plus de 75% analphabète.

C’est la raison pour laquelle la société civile joue également sa
partition. Elle est multiple. Il y a celle qui s’inscrit dans
l’éducation, dans l’alphabétisation, dans le développement rural,
et il y a la société civile qui s’inscrit dans le domaine des droits
humains. Mais il se trouve que les droits humains deviennent un
luxe quand les fondamentaux ne sont pas réglés. On ne peut
pas parler de droits humains à quelqu’un qui a faim. Dans un
Etat qui se veut démocratique, des obligations incombent à
l’Etat.

Le tout n’est pas de dire qu’on n’a pas les moyens. Il faut
chercher les moyens et surtout faire en sorte que la distribution
de ces moyens soit la plus équitable possible. Le Burkina n’est
pas un pays fondamentalement pauvre. Son problème, c’est
d’avoir des poches de richesses excessives et des poches de
misère excessive. Il est du devoir de l’Etat de faire en sorte qu’il y
ait une régulation pacifique, sinon c’est la population elle-même
qui va se décider à faire la régulation de façon violente. Et c’est
cela, l’intérêt d’un Etat. Il doit faire la violence "civilisée" afin
d’éviter à la population de se livrer à la violence sauvage.

Le Tocsin, dans une modeste mesure, à travaillé à faire en
sorte que l’on prenne conscience que les Burkinabè de
l’extérieur sont avant tout des Burkinabè. Et par conséquent, qu’
ils ont les mêmes droits et les mêmes obligations que ceux qui
sont à l’intérieur, et qu’ils doivent être considérés comme des
citoyens. Beaucoup de Burkinabè de l’intérieur, avant que nous
ne sonnions le tocsin, ne s’imaginaient pas que les Burkinabè
de l’extérieur ne votaient pas. Certains pensaient que cela allait
de soi. Certains partenaires, comme certaines ambassades,
sont ahuries d’apprendre que les Burkinabè de l’extérieur n’ont
jamais voté depuis que le Burkina est Burkina.

C’est
extraordinaire ! Aujourd’hui, aucune institution publique, aucun
homme politique ne peut dire qu’il n’est pas conscient de cet
enjeu. Si les politiques n’agissent pas, ce n’est pas qu’ils ne
savent pas car, il se trouve que ceux-ci, surtout ceux qui sont au
pouvoir, n’aiment pas gérer les problèmes. Ils n’aiment pas les
regarder en face.

C’est pourquoi, la société civile doit prendre
les problèmes et les "amener à leur porte". Maintenant, si ces
politiques détournent le regard, l’opinion publique le saura.
Nous organisons des sorties annuelles et cette année, nous
étions au Mali, et un des axes de notre discours était d’inviter les
Burkinabè du Mali à réclamer le droit de vote. Nous leur avons
dit de poser le vote des Burkinabè au Mali comme une condition
à leur participation à vie nationale. En cela, nous revendiquons
notre "subvention positive".

Pensez-vous que l’impossibilité actuelle pour eux de voter, n’est
pas liée au fait que le pouvoir en place pense qu’ils sont encore
insaisissables ?

Bien sûr. Mais à qui la faute s’ils ne "maîtrisent" pas les
Burkinabè de l’extérieur ? J’accuse la Haute Volta, jusqu’au
Burkina d’aujourd’hui, de n’avoir pas pris en compte la
dimension "Burkinabè de l’extérieur". Le seul bémol que je peux
faire, c’est par rapport à la première République. C’est elle, à un
moment donné, malheureusement, au soir du pouvoir de
Maurice Yaméogo, qui a demandé, puis introduit à l’Assemblée
nationale la possibilité de la double nationalité.

Malheureusement, on a rejeté le bébé avec l’eau du bain. Ne
voulant plus d’un pouvoir moribond, on a rejeté les différentes
propositions de ce pouvoir. Mais après la première République,
plus jamais la question de la citoyenneté des Burkinabè de
l’extérieur n’a été une préoccupation de nos différentes
institutions, aussi bien démocratiques que des Etats
d’exception.

Le premier devoir d’un Etat, c’est de commencer à
connaître le nombre de la population qu’il gère. Or, notre élite
politique ne sait pas combien de Burkinabè sont à l’extérieur.
Elle ne peut donc pas prévoir, donc gérer. C’est archi-faux de
dire qu’on est 12 millions de Burkinabè. Combien y a-t-il à
l’extérieur ? Le chiffre réel des Burkinabè tourne autour de 20
millions. C’est cela, la réalité. M

ais nous fonctionnons avec des
paramètres et des projections en nous fondant toujours sur les
12 millions. Il est ahurissant que nous n’ayons pas de
statistiques pour les sorties et les entrées de ces Burkinabè de
l’extérieur. Pour un pays comme la Côte d’Ivoire, les autorités
burkinabè sont incapables de dire exactement combien de
Burkinabè il y a.
Je comprends que lorsqu’on ne s’est pas suffisamment occupé
d’une population on ait peur de son vote.

Le Conseil supérieur des Burkinabè de l’étranger doit être en
mesure de fournir des statistiques...

Je ne veux lancer un défi à personne. Je vous invite à rencontrer
ses membres pour voir s’ils sont capables de donner avec
précision, le nombre de Burkinabè de l’extérieur.

Quels sont justement vos rapports avec cette structure ?

Au début, cela n’a pas été facile parce que certains
fonctionnaires de cette administration ont vécu notre présence
comme une rivalité. Malheureusement, ceci a nui, dans un
premier temps, à une possibilité de collaboration. Mais j’avoue
que depuis deux, trois ans, les choses ont quand même évolué.

Mais je pense que cela est lié généralement au climat. A
quelque chose, malheur est bon. N’eût été la crise ivoirienne,
beaucoup se demanderaient à quoi sert une association
comme le Tocsin. On m’a même posé la question de savoir
pourquoi avoir choisi un nom aussi effrayant. J’ai répondu que
nous avons décidé de la nommer Tocsin pour ne pas avoir à
sonner un jour le glas. Nous travaillons à ce que nos
préoccupations soient prises en compte par les politiques.

C’est
cela, en réalité, l’action de la société civile. Elle doit savoir
mourir pour que ses idées prospèrent. Si, aujourd’hui, d’une
manière ou d’une autre, les Burkinabè de l’extérieur ont le droit
de vote, en aucune manière, le Tocsin ne va se taper la poitrine
pour dire que c’est grâce à lui.

Et chaque fois que nous chercherons à revendiquer la paternité
d’une d’idée, les politiques se montreront réticents, car l’homme
politique aime toujours à dire : c’est moi, c’est moi ! C’est sa
raison d’être. Il doit pouvoir monnayer cela sous forme de
bulletins de vote. A la société civile, nous devons avoir la
modestie de mourir pour nos idées, quand elles prospèrent, de
nous battre pour qu’elles puissent voir le jour, et dès qu’elles
voient le jour, de cesser de revendiquer la paternité de ces
idées.

Aucune raison ne justifie que les Burkinabè de l’extérieur ne
puissent pas voter, sauf la raison qu’on n’avance pas. Le
Burkina organise avec succès, le vote des étrangers sur son
sol. Je reproche souvent à notre diplomatie, son incapacité à
réclamer la réciprocité. Le Burkina n’est ni plus, ni moins que
les autres pays, sur le plan moral. Si nous sommes à même de
permettre aux Maliens de voter au Burkina, je vois mal que les
Maliens trouvent une difficulté à permettre aux Burkinabè du Mali
de voter. Pour la dernière élection présidentielle, nous venons
de rater une occasion en or de montrer aux Burkinabè de
l’extérieur qu’ils comptent pour la Nation. Il faut attendre encore 5
ans. 5 années donc de perdu.

En dehors des pesanteurs que vous évoquez, qui handicapent
le travail de la société civile, n’y a-t-il pas d’autres facteurs ? En
fait, jusqu’à présent, on n’a pas réussi à dire exactement qui est
de la société civile et qui ne l’est pas. Il y a aussi le phénomène
d’infiltration de la société civile.

Je suis d’accord avec vous que la société civile est une
nébuleuse dans laquelle on retrouve du tout. Une étude a été
faite pour essayer de classifier la société civile. On est arrivé à
11 composantes. Mais en dehors de cette catégorisation, il y a
de grands distinguos qu’on peut faire. Comment on arrive à la
société civile et comment se positionne-t-elle par rapport à l’Etat
et au pouvoir politique ?

Au Burkina, il y a des sociétés civiles qui sont des pendants des
partis politiques, des sécrétions de partis politiques, aussi bien
de la majorité que de l’opposition. Exactement comme dans
certains pays où chaque parti a son journal. Au Burkina, presque
tous les partis politiques travaillent à avoir une société civile qui
leur est affiliée. Il y a des sociétés civiles qui sont créées pour
des raisons alimentaires. Des sociétés civiles sécrétées en
relation avec les fonds que l’on met en place. A ce propos,
j’accuse certaines institutions nationales et internationales où
l’on met des fonds et où les agents de ces organisations
travaillent à sécréter leur propre organisation de la société civile
pour pouvoir bénéficier de ces fonds.

Quand des Burkinabè sont emprisonnés, assassinés, et que
personne ne lève le petit doigt, il y a quelque chose qui ne va
pas ! Que faut-il faire ? A qui faut-il s’adresser ? C‘est dans ce
sens que nous avons commencé à dire qu’une partie de la
Nation a été oubliée dans le processus de développement.

On
ne se souvient de cette population que lorsqu’on veut faire des
cotisations massives. Si nos préoccupations venaient à être
entièrement prises en charge par l’Etat, nous serions prêts à
nous saborder. Et puis, il y a une troisième catégorie de la
société civile qui se crée sur la base de conviction et d’une faille
de l’Etat par rapport à un secteur, et qui cherche à combler cette
faille. Le Tocsin se situe dans cette catégorie-là.

Certains estiment que la pléthore des partis politiques au
Burkina est synonyme de démocratie. Votre opinion ?

La pléthore des partis politiques est une des conséquences
du fonctionnement de nos propres instituions. Elle est le fait des
dispositions qui ont été votées par notre Assemblée nationale.
C’est nous qui sommes responsables de la pléthore des partis
politiques, et non les partis politiques eux-mêmes. Car, il est
plus facile de créer aujourd’hui un parti politique qu’une
association. C’est une conséquence de notre gouvernance. Si
l’on veut changer les choses, il suffit de prendre des
dispositions réglementaires en la matière.

Lesquelles, concrètement, pour limiter le nombre de partis ?

Je ne suis pas pour des limitations arbitraires et dictatoriales.
On peut donner des marges permettant aux organisations de se
retrouver. On peut, par exemple, demander que toute formation
politique, avant sa création, puisse recueillir un certain nombre
de signatures de personnalités ou de groupes sociaux sur
l’ensemble du territoire national, et qui sont des partis
politiques. A la limite, qu’ils deviennent des organisations ou
des mouvements.

Un parti politique dont l’ambition réelle est la
conquête du pouvoir d’Etat, doit pouvoir rayonner sur l’ensemble
du territoire national. Quand des partis politiques ne veulent
même pas du pouvoir d’Etat, je me demande si ces partis ont
compris ce qu’est un parti politique. S’ils veulent accompagner
l’autre, qu’ils se mettent dans son sillage, puisqu’il a déjà une
organisation.

Ce sont là les iniquités de notre système de gouvernance qui
ont facilité ce genre de mélanges. Il faut revenir à l’orthodoxie
politique indiquant les modalités de création d’un parti politique.
Un parti politique se crée dans la perspective de la conquête du
pouvoir d’Etat avec un programme de société défini sur des
critères objectifs de reconnaissance par un certain nombre de
personnalités d’institutions. Et cela, sur la base de signatures
vérifiables. Vous verrez que la faune politique sera beaucoup
plus clarifiée.

Vous parlez de poches de richesse excessive, de poches de
misère excessive et de problèmes des Burkinabè de l’étranger.
Est-ce que, selon vous, la politique de développement du
Burkina est un échec ?

Non ! Moi, je suis plutôt de tendance optimiste. J’ai tendance à
voir le verre à moitié plein plutôt qu’à moitié vide. Et quand je
critique, ce n’est pas pour dire qu’il n’y a rien à faire, mais plutôt
pour dire qu’on a encore du chemin à faire ; pour ne pas qu’on
dorme sur nos lauriers. Un pays ne peut pas être 173e sur 175
et dormir. Si les autres dorment 6h, le Burkinabè devrait dormir
3h pour combler son retard. C’est comme dans une salle de
classe. Le premier peut se permettre de ne pas passer plus de
temps à bosser.

Le dernier qui a des lacunes doit travailler 3
fois plus. Un peu comme le criait Toussaint Louverture : "Je
demande beaucoup aux Nègres, j’estime que je ne demande
pas suffisamment aux Nègres. Il faut leur demander plus parce
que nous avons du chemin à parcourir". Sinon, quand on
regarde objectivement le Burkina, toute proportion gardée, il y a
des moments où on est fier d’être Burkinabè, parce que le peu
qu’on a permet à ce pays de lever la tête. Il y a des pays qui sont
potentiellement riches mais qui sont gérés de façon
catastrophique au point que vous êtes sidérés.
Mais ceci ne doit pas nous amener à l’autosatisfaction. Le
Burkinabè est un individu exigeant. Il est exigeant envers les
dirigeants et envers lui-même. De ce point de vue, il appartient
aux autorités d’impulser cette exigence.

Je dirai que le peuple burkinabè est un peuple facile à gérer,
comme le disait le Larlé Naaba Abga. Mais cela dépend tout
simplement de la manière dont nos autorités se comportent.
Quand le pays est pauvre, nous l’avons vu pendant la révolution
quand les ministres roulaient avec les R5, et que le président
était obligé de faire de "l’avion-stop", le Burkinabè était capable
de laisser réduire son salaire jusqu’à une extrémité. Quand le
sacrifice est partagé par tous, nous sommes prêts à le faire.
Quand il n’est pas partagé et ceux qui sont les premiers à devoir
faire ces sacrifices n’en font pas, on ne peut pas accepter.

C’est
par exemple le cas de la question des indemnités des députés,
de l’augmentation des frais de session. Pourquoi cela irrite la
population ? Parce que nous estimons qu’ils font partie des
privilégiés et que ce ne sont pas les privilégiés qui souffrent. Et
s’il y a des choses à faire en priorité, il faut les faire en direction
de la masse la plus nécessiteuse. Ce sont donc ces choix
politiques et stratégiques qui posent problème.

Ce n’est pas parce que vous avez des gens autour du pouvoir,
et qui, par moments, font écran de manière même à ce que
celui qui est au pouvoir ne voie plus ceux qui sont derrière...
Celui qui est au pouvoir doit avoir un escabeau pour dépasser
l’écran et voir plus loin ceux qui ne peuvent pas accéder à lui
parce que c’est à cause de ceux-là qu’il est là. Et c’est ceux-là
qui ont voté pour lui massivement.

Que pensez-vous du Cadre stratégique de lutte contre la
pauvreté au Burkina ?

Ce sont des termes que l’on crée à longueur de journée à
chaque fois qu’un terme a montré ses insuffisances. Et que l’on
a réussi à montrer que c’est bonnet blanc - blanc bonnet. On est
passé par l’ajustement structurel, maintenant on est au Cadre.
Et tout ce qui parle du Cadre est un carcan. Pourquoi ceci n’est
valable que dans les pays comme les nôtres. Ceci est lié aussi
au fait que nos dirigeants portent une grande responsabilité.

C’est qu’on estime quelque part que si on ne met pas nos
pays-Etats dans des Cadres, ils ne peuvent pas s’en sortir.
On nous met dans des cadres. Où pouvons-nous aller ? Je fais
partie de ceux-là qui sont contre cette stratégie et cette
dénomination. On ne lutte pas contre la pauvreté. C’est un peu
comme Don Quichotte qui lutte contre les moulins à vent. La
lutte, c’est pour l’enrichissement. C’est pour l’accumulation de
biens.

Que doit-on faire donc ?

On lutte pour s’enrichir, pour se développer mais pas lutter
contre la pauvreté. C’est comme si on parle de lutter contre la
mort. On doit lutter plutôt pour la vie. Je pense que les gens ont
bien réfléchi. Ils nous ont mis dans le Cadre. Et nous allons
lutter contre la pauvreté pour rester dans la pauvreté.

Alors que
si on doit lutter pour permettre un meilleur devenir et un meilleur
développement, si on mène le combat contre l’OMC, contre les
prix qu’on nous impose, contre le dumping de l’agriculture
européenne et américaine, l’industrialisation trouvera sa place.
Mais si on se contente de lutter contre la pauvreté, on sera dans
la pauvreté, on luttera contre la pauvreté jusqu’à demain.

Votre analyse de la méthode de lutte contre l’insécurité au
Burkina.

C’est vrai qu’on se pose des questions par rapport à
l’insécurité. Je ne parle pas de la petite insécurité, mais plutôt
de celle qui est organisée. Celle qui consiste à voir des gens en
armes agresser à longueur de journée, sur tous les grands
axes. Pourquoi ce type d’insécurité est structurelle. N’importe
quel Burkinabè n’a pas accès à une arme de guerre. C’est en
cela que l’on devrait être beaucoup plus vigilant à l’égard de
ceux qui sont chargés de notre sécurité qui, d’une manière ou
d’une autre, ont préparé le lit de notre insécurité.

C’est-à-dire ?

Personnellement, je n’ai pas été surpris d’apprendre que
plusieurs de ces malfrats étaient du corps habillé. Mon intuition
me disait qu’il n’est pas possible pour un quidam d’agresser
des gens, de tirer sur des flics, d’aller arroser de balles un poste
de gendarmerie sans problème. Mon intuition me disais qu’il n’y
avait que les militaires à pouvoir le faire car, de façon
psychologique, ce sont les éléments de ce corps qui ont
tendance à minimiser les policiers et les gendarmes. C’est ce
réflexe qu’on a retrouvé sur le terrain.

Un voleur "normal" fuit
devant le gendarme. S’il ne le fait pas, c’est qu’il est plus que le
gendarme. Il appartient à notre système de sécurité de regarder
à l’interne d’abord. Le vrai danger n’est pas à l’extérieur.

Cela
est de la petite délinquance. La grande délinquance, c’est à
l’interne. Il faut revoir sur quelle base les personnels de la
police, de la gendarmerie, de la douane et des forces armées
sont recrutés. Quels sont les mécanismes mis en place pour
les voir évoluer, quels sont les mécanismes mis en place
lorsqu’ils partent prématurément à la retraite, pour ne pas qu’ils
tombent dans ces facilités ? Chaque fois qu’un corps n’est pas
contrôlé, c’est la porte ouverte aux dérives. Il doit avoir une police
des polices et même un contrôle de cette police des polices.

Quel commentaire faites-vous de la situation de la corruption au
Burkina. Tout le monde est unanime à reconnaître que la morale
agonise au Burkina. Qu’est-ce que la société civile, notamment
le Tocsin, préconise comme solution pour que le pays des
Hommes intègres revienne sur le droit chemin ?

J’ai constaté depuis plusieurs années que de moins en moins,
sinon pratiquement plus, aucune autorité burkinabè n’utilise le
terme "pays des hommes intègres". Il y a que les amis du
Burkina, les autorités extérieurs qui nous rappellent que notre
pays est un pays d’Hommes intègres. Les hommes politiques
ne l’utilisent plus. Une devise est différente du nom qu’on vous
impose. Mais la devise est un choix conscient et volontaire, qui
indique que c’est une ligne de vie qu’on s’est soi-même donnée
et malheureusement, le Burkina se trouve aujourd’hui, dans sa
classe politique et dirigeante, en porte-à-faux avec les devises.

Et c’est pourquoi je dis, la morale n’agonise pas au Burkina
Faso. Mais la morale agonise au niveau de la classe dirigeante
et politique au Faso. Car, si vous prenez le Burkina dans son
entièreté, vous retrouvez beaucoup de poches d’intégrité. Et c’est
ce qui nous donne de l’espoir. S’agissant de la corruption, on
disait, il y a quelques années que le Burkina n’a pas la palme
d’or de la corruption. Autrement dit, il faut attendre d’avoir la
palme d’or pour commencer à agir. Je crois qu’on n’est pas très
loin maintenant d’avoir la palme d’or.

La lutte contre la corruption
n’est possible qu’à travers un engagement politique fort. Et je le
dis, si le Burkina veut véritablement lutter conte la corruption, en
dehors de toutes les institutions qu’on crée, qui peuvent être
budgétivores et inopérationnelles, parfois il suffirait que le
président du Faso s’engage exactement comme il s’est engagé
vis-à-vis du Sida. Qu’il s’engage à être le premier responsable
de la lutte contre la corruption au Burkina.

Je donne six mois
pour voir des gens commencer à restituer par eux-mêmes des
choses qu’ils ont volées. A partir de ce moment, on aura une
cagnotte suffisante pour impulser notre développement.
Le grand inconvénient de la corruption, c’est qu’elle prône la
médiocrité et tue les initiatives. Aucun corps ne sera sain dans
dix ans au Faso. Ou bien vous entrez dans la corruption ou bien
vous disparaissez

Beaucoup parlent de tractations pour la composition d’une
nouvelle équipe gouvernementale. Avez-vous été contacté pour
participer à cette équipe ? On dit que vous avez créé le Tocsin
pour être ministre un jour...

(Rires). Pour rassurer les uns et les autres, je n’appartiens à
aucune chapelle politique et je n’envisage pas de créer un parti
politique.

Intégreriez-vous le futur gouvernement si on vous appelait ?

Si on m’appelle, je dirai non.

Pourquoi ?

Parce que j’estime que c’est brader le combat que je suis en
train de mener .

On peut être autant utile en politique que dans la société civile...

Non, j’estime qu’il y en a qui sont plus performants dans la
société civile.

Quelles sont vos craintes et vos angoisses pour cette nouvelle
année ?

Il y a la crise ivoirienne. La crise en Côte d’Ivoire est plus qu’une
crise ivoirienne. Elle est burkinabè. Le Burkina n’est pas
vraiment préparé à gérer la crise ivoirienne si elle venait à
exploser plus que cela. On a vu les tâtonnements qui ont été les
nôtres pour faire face à un retour de seulement 500 mille
Burkinabè. J’encourage le nouveau Premier ministre ivoirien
Charles Konan Banny car ce n’est pas un cadeau que d’être
Premier ministre en Côte d’Ivoire, et je lui souhaite beaucoup de
succès.

La deuxième angoisse que j’ai, c’est par rapport au
score de l’élection du président du Faso. Plus de 80% de voix,
cela peut créer une euphorie, amener le responsable à ne plus
faire attention. Et c’est cela ma grande crainte. Le peuple est
versatile. Le même peuple qui, aujourd’hui, a dit oui, peut
demain dire non. Ce n’est pas un chèque en blanc qu’on donne
au pouvoir quand on dit oui. Et c’est pourquoi je voudrais attirer
l’attention de toute la classe politique qui a gagné, pour qu’elle
gère sans triomphalisme, avec beaucoup de circonspection, et
éviter certaines erreurs. C’est à cette seule condition que l’on
pourra aller vers un Burkina apaisé. Elle doit gérer sans
ostracisme.

Ne pas penser que ceux qui ont perdu ne sont pas
des Burkinabè. Bien au contraire. L’homme fort est celui qui est
capable de tendre la main à ceux qui semblent faibles. Le
Burkina a les ressources pour cela. Si le Burkina Faso gère
avec cet esprit, nous pourrons aller de l’avant. Une grande
attention vis-à-vis des pauvres est très importante. Et je
souhaiterais qu’on commence à mettre en oeuvre la véritable
solidarité nationale qui n’a pas besoin d’attendre les périodes
de catastrophes pour s’exprimer. Et que cette solidarité
nationale commence par les premiers responsables.
Qu’on impose aux directeurs généraux, députés, ministres, etc.,
un impôt de solidarité nationale pour que nous puissions aider
tous ceux qui vivent dans des situations de précarité.

Le Pays

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Vos commentaires

  • Le 31 décembre 2005 à 01:17, par Nogo En réponse à : > Albert Ouédraogo, président du Tocsin : "La morale agonise au niveau de la classe dirigeante et politique"

    Un entretien d’assez grande qualité ! Il dit ce que beaucoup de monde semble méconnaître ou fait semblant en tout cas : si le Président veut combattre la corruption, on en a que pour quelques mois pour qu’elle disparaisse à jamais. Sinon, on a beau crée des commissions c’est jueste pour faire semblant. Mais je trouve que c’est trop facile aussi d’accuser la "classe politique" parce que tout burkinabè doit s’impliquer dans la gestion politique et doit avoir une opinion politique. C’est facile de parle comme si c’était les autres qui allaient mener le combat pour soi.

    • Le 31 décembre 2005 à 16:27 En réponse à : > Albert Ouédraogo, président du Tocsin : "La morale agonise au niveau de la classe dirigeante et politique"

      > Albert Ouédraogo, président du Tocsin : "La morale agonise au niveau de la classe dirigeante et politique"
      j’apprécie la clairvoyance et l’objectivité de albert Ouédraogo. Voilà quelqu’un qui dit quelque chose de bien à chaque fois q’il prend la parole. C’est déjà une bonne chose que de le faire. Son combat consiste à éveiller, à conscientiser et à inciter les uns et les autres à la réflexion. Je crois que sa volonté manifeste de neutralité justifie le fait qu’il ne descendra pas dans l’arène pour l’invitation au combat que vous lui proposez ici. La société a besoin de tout. Lui il agit en ce qui le concerne, c’est ce combat qu’il mène. il est crédible car il est impartial. On en a vu d’autres, jugez-en vous même.
      Aujourd’hui je reste convaincu que son combat a beaucoup compté dans la tentative de mobilisation que les autorités nationales ont cru devoir prendre lors du rapatriementy forcé de nos compatriotes de la Côte d’Ivoire.
      Au Burkina nous avons très souvent tendance à tout confondre. Ne cherchez pas forcement à coller une étiquette politique à tout le monde. L’intellectuel est au dessus du politique. Si vous êtes jeune, alors ouvrez l’oeil et le bon car c’est maintenant que l’avenir du pays se prépare. Ne continuons pas dans les complaintes. Soyons des gagnants.

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