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Côte d’Ivoire : Un bicéphalisme difficile

Publié le vendredi 30 décembre 2005 à 08h59min

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Gbagbo et Banny

Exit le gouvernement Diarra, voilà celui de Charles Konan
Banny. Depuis le 28 décembre, la Côte d’Ivoire a un nouvel
exécutif de transition. Il est composé de 32 membres, mais que
l’accouchement fut difficile ! Il a fallu plus de trois semaines de
négociations pour y arriver.

Et ce n’était qu’une entrée en matière
pour l’ex-argentier de la BCEAO, plus habitué à maintenir les
équilibres financiers de l’Union qu’à gérer les humeurs d’une
classe politique versatile et de mauvaise foi. Pour Charles
Konan Banny, le plus dur commence.

Il s’agit pour lui d’éviter les obstacles multiformes qui vont surgir
çà et là au cours de son très court mandat. Plus que dix mois
pour mettre tout le monde d’accord et aboutir aux élections
d’octobre 2006. Comme dans une course de haies, Banny doit
aller le plus vite possible, tout en évitant les obstacles. Ils ont
pour noms : Gbagbo et les Forces nouvelles de Guillaume Soro.

Ces deux-là ont toujours une capacité de nuisance
potentiellement dangereuse pour le processus actuel.
Le premier a déjà donné le ton lors des négociations pour la
formation du gouvernement. Il n’a voulu rien céder, surtout pas le
poste de l’économie et des finances et celui de la défense. Il a
donc fallu tout le talent du banquier pour convaincre le clan
Gbagbo.

Ainsi, sur le papier , Charles Konan Banny est le
véritable patron du gouvernement. Il cumule avec son poste de
Premier ministre, les portefeuilles de l’économie et des finances
et celui de la communication. Mais ce que Gbagbo a cédé d’un
côté , il le reprend de l’autre. La publication de la liste des
membres du gouvernement a donc dû subir une modification
capitale aux yeux du clan Gbagbo. Les mentions ont été revues
pour éviter la "confusion". C’est à Gbagbo de nommer par décret
les membres du gouvernement et c’est ce qui a été fait.

Cela
est un signal que les pleins pouvoirs concédés au Premier
ministre par la résolution 1633 de l’ONU sont à déterminer avec
précision.
La Constitution ivoirienne est toujours en vigueur et elle précise
que l’autorité habilitée à valider la liste du gouvernement est le
chef de l’Etat. Ce petit incident avant l’annonce de la liste du
gouvernement en dit long sur le conflit d’autorité qui se prépare.

Mais, il faut espérer que Banny aura assez de flair pour se sortir
des pièges du clan du chef de l’Etat dont le mandat doit prendre
fin en octobre avec l’élection présidentielle. Il était important,
voire vital, pour ce dernier, d’avoir ses hommes de main tel
Bohoun Bouabré dans le gouvernement pour lui permettre de
préparer sa campagne. Car, malgré la crise et toutes les
conséquences qu’elle fait subir à la Côte d’Ivoire, l’homme de
Mama n’est pas prêt à abdiquer le fauteuil présidentiel.

Et il
usera de tous les artifices juridiques pour y rester ou, au besoin,
retarder l’échéance des élections. C’est à ce tournant que
l’usage des "pleins pouvoirs" que confère la résolution
onusienne au Premier ministre devra prendre tout son sens.
Celle-ci prévoit que le Premier ministre a autorité sur tous les
ministres et qu’il doit disposer de toutes les ressources
nécessaires, en particulier dans les domaines de la sécurité, de
la défense et du processus électoral.

Que va en faire Banny
dans un tel contexte ? Son programme est simple. Organiser
les élections en octobre 2006. Mais avant, il doit pacifier le pays,
désarmer, démobiliser les belligérants, démanteler les milices
et identifier les électeurs. C’est dans la mise en oeuvre de ce
programme, qui ne diffère pas de celui que le gouvernement
Diarra avait à son menu, que les écueils vont se présenter.

Les
rebelles qui ont jusque-là gardé les armes au pied dans la
moitié du territoire qu’ils contrôlent vont-ils les ranger ? Si oui, ce
serait alors un grand pas vers la paix . Car cela voudrait dire
qu’ils ont enfin confiance au processus qui va conduire aux
élections. Mais le chef rebelle acceptera-t-il de jeter à la rivière
toutes les revendications qui ont fondé le coup du 19 septembre
2003 avant de se lancer dans un désarmement qui peut s’avérer
suicidaire pour son clan ? Rien n’est moins sûr.

Mais, en tout état de cause, Guillaume Soro est le N°2 du
gouvernement et occupe le département de la reconstruction et
de l’insertion. Tout un symbole ! De toute façon, la résolution
1633 dont le premier acte vient d’être mis en oeuvre avec la
nomination d’un Premier ministre et la formation d’un
gouvernement, est claire en son paragraphe 14. Elle exige des
Forces nouvelles qu’elles appliquent sans délai le programme
de désarmement, démobilisation et réintégration, afin de faciliter
le rétablissement de l’autorité de l’Etat sur l’ensemble du
territoire.

Mais tout ce beau monde sera surveillé par le Groupe de travail
international qui devra rendre compte au Conseil de sécurité de
l’évolution de la situation sur le terrain. Il aura notamment à
vérifier si le Premier ministre dispose des pouvoirs et des
ressources nécessaires à sa mission, et relever les blocages et
leurs origines pour permettre aux Nations unies de décider en
matière de sanction.

Somme toute, ce bicéphalisme permettra-t-il réellement à
Banny de préparer la bonne alchimie pour la Côte d’Ivoire ?
C’est un homme à forte personnalité qui doit cohabiter avec un
autre homme de caractère, roublard et versatile, tout entier
accroché à ses privilèges. Ce sont deux personnalités très
antagonistes dont il faut souhaiter que le choc profite à la paix.
Et c’est là tout le problème.

Le Pays

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