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Adoum Younoussi, ministre d’Etat tchadien à Sidwaya : “ Il n’y a pas de crise au Tchad... ”

Publié le vendredi 30 décembre 2005 à 08h56min

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Les accusations portées par le Tchad contre le Soudan. La politique intérieure et extérieure du régime Déby. Le pétrole et l’argent du pétrole tchadien... Quel état des lieux, à l’heure où le président Idriss Déby fait face à une rébellion, forte du ralliement de certains de ses proches, qui menacent de le destituer ?

A travers une interview exclusive accordée à Sidwaya lors de l’investiture du président du Faso, à Ouagadougou, M. Adoum Younoussi, ministre d’Etat, ministre des Infrastructures de la République du Tchad lève un coin du voile sur « ces interrogations... ». Il commence par nous dire ce qui a motivé la présence d’une délégation tchadienne représentant le président Déby à l’investiture de Blaise Compaoré le 20 décembre 2005.

M. Adoum Younoussi (A.Y.) : Les deux chefs d’Etat entretiennent depuis plusieurs années des relations très intenses et les deux pays ont également des relations séculaires. Il était donc normal que le président Idriss Déby qui est “ empêché ”, en raison d’un calendrier chargé, puisse se faire représenter à l’investiture de son “ frère Compaoré ” .

Les relations politiques entre le Burkina Faso et le Tchad sont excellentes. Nous avons même érigé notre consulat de Ouagadougou en ambassade. Cela démontre la qualité des relations qui existent entre nos deux pays.

S. : Vous avez parlé de “ calendrier chargé ” qui a empêché le président Idriss Déby d’être présent à l’investiture de “ son frère Compaoré ” ; ne serait-ce pas plutôt la rébellion à laquelle il fait face qui l’a empêché de se rendre au Burkina ?

A.Y. : Il faut relativiser la portée de cette rébellion (...). Effectivement, nous avons un problème sécuritaire à la frontière Est de notre pays , depuis plusieurs années, avec la crise du Darfour. Cette donne a entre autres comme conséquence l’afflux de quelque trois cent mille (300 000) Soudanais au Tchad.

Notre pays étant le principal médiateur dans cette crise qui mine le Soudan, le chef de l’Etat est effectivement très pris par la mise en œuvre des stratégies adoptées par la communauté internationale pour sortir le Soudan du bourbier. D’autant plus que la région du Darfour devient de plus en plus un « no man’s land ». Malheureusement, au moment où nous travaillons à éteindre cette crise au Soudan, ce pays a initié et entretient actuellement une rébellion tchadienne pour s’en prendre à notre pays. Toute chose que nous condamnons vigoureusement, étant donné que dans la crise du Darfour qui mine le Soudan, nous avons travaillé à sortir ce pays de plusieurs situations sécuritaires dramatiques. Voilà pourquoi, nous estimons que notre pays est payé en monnaie de singe par son voisin (...).

Nous ne comprenons pas les motivations du Soudan, à armer des dissidents tchadiens...

Nous avons été attaqué par des forces de plus de six cents (600) personnes, puissamment armées par le Soudan, avec 50 véhicules neufs.

Il se trouve fort heureusement que nous sommes respectueux des textes internationaux, que nous sommes respectueux des relations de bon voisinage qui ont toujours existé entre le Soudan et le Tchad. Mais si la communauté internationale ne prend pas ses responsabilités, nous serons obligé de nous défendre vis-à-vis de ceux qui arment les “ ennemis du Tchad ”. Autrement, nous ne comprenons pas l’attitude du Soudan et nous pensons que nous avons à faire plus au Soudan qu’à une rébellion tchadienne.

S. : Auriez-vous réellement des éléments de preuve contre le Soudan ?
A.Y. : Evidemment. Déjà dans le cadre de ces attaques du 18 décembre, nous avons fait des prisonniers que nous avons du reste présentés à la presse. Il y a des éléments armés soudanais, des encadreurs militaires soudanais que nous avons arrêtés. Nous avons en notre possession, des photos officielles montrant que le président El Béchir a reçu des responsables de la rébellion dans son palais de Khartoum. Nous avons aussi des photos qui montrent que des éléments de l’armée soudanaise entraînent régulièrement des rebelles, d’autres documents tenant lieux de preuve sont aux mains de nos services secrets... Nous avons par ailleurs une panoplie de preuves irréfutables sur les ingérences soudanaises dans les affaires intérieures tchadiennes.

S. : Comment comptez-vous trouver solution à cette implication supposée du Soudan dans la crise de la frontière soudano- tchadienne ?

A.Y. : Pour l’instant, nous faisons de la diplomatie, mais nous allons tôt ou tard, si l’agression dont nous sommes victime persiste, user de notre droit de poursuite pour pouvoir traquer les bases de la rébellion, qu’elles soient au Tchad ou sur le sol soudanais. Nous en avons les moyens et les possibilités. Le Tchad ne souhaite pas être un Etat belliqueux. C’est la raison pour laquelle nous souhaitons d’abord utiliser des voies diplomatiques pour que tous les pays africains rappellent à l’ordre le Soudan, pays qui compte d’ailleurs organiser le prochain sommet de l’Union africaine.

L’un des principes cardinaux de l’Union africaine n’est-il pas fondé sur le respect de l’intégrité des autres Etats ? Pour sûr, nous allons nous battre pour que le Soudan soit condamné puis forcé à désarmer “ ses rebelles anti-tchadiens ”. Chaque fois qu’une rébellion soudanaise franchit notre territoire nous l’avons désarmée, remis ses armes et matériels aux autorités soudanaises, rendu les rebelles au HCR. Cela a été fait plusieurs fois. Nous ne comprenons pas que le Soudan, qui a ses propres problèmes de sécurité intérieure à gérer, puisse s’ingérer dans nos affaires au point de vouloir nous déstabiliser.

S. : Pensez-vous que vos pairs de l’Union africaine, voire des Nations unies vous suivront dans cette volonté de condamner le Soudan ?

A.Y. : En tout cas, l’histoire a montré que c’est le Tchad qui s’est opposé à toute condamnation du génocide, de l’épuration ethnique au Soudan pour la simple et bonne raison que nous pensions que ce n’était pas une solution de condamner un pays, de le mettre sous embargo. Le président Déby a personnellement fait le tour du monde pour expliquer que c’est un problème qu’on peut résoudre au niveau africain, entre pays voisins. Le président Déby s’est impliqué corps et âme dans cette affaire et comme vous le savez, il a failli même perdre sa vie à cause de cette crise (...). Inacceptable, inexplicable est donc l’agression actuelle dont les institutions républicaines tchadiennes font l’objet.

S. : Ne serait-ce pas trop facile de crier à l’envahisseur en accusant le Soudan, alors que la crise politico-militaire en cours dans votre pays apparaît comme la résultante d’une mal gouvernance interne ?

A.Y. : Cela, c’est vous qui le dites ! Le Tchad n’a pas de problèmes internes ! Ce que vous appelez “ problème interne ”, est en fait une désertion de quelques éléments de l’armée nationale depuis le mois d’avril. Ceux-ci sont en fait en déphasage avec la nécessaire refondation de l’armée tchadienne engagée par notre chef d’Etat, afin de donner à tous les tchadiens, une armée forte de son engagement à servir la République et non à se servir de la République. Certains officiers et sous-officiers nostalgiques des Etats d’exceptions et de leurs pratiques ne sont pas d’accord avec cette évolution démocratique de notre armée. Ils ont donc cru bon de déserter les rangs de l’armée, au profit de petites rébellions. Ils sont encouragés en cela par ceux qui ne veulent pas d’un Etat de droit démocratique comme le projette le processus en cours au Tchad, à leur frontière.

S. : Comment expliquez-vous alors que, ce que vous voulez présenter comme une agression externe, ait l’appui de certains membres influents de la famille du président Déby ; ses deux neveux par exemple ?

A.Y. : Non (...) ! Il n’y a pas de proches du président qui ont rejoint la rébellion. Le chef de l’Etat étant un président démocratiquement élu du Tchad, si deux individus ou trois individus qui se sentaient proches de lui ou qui ont occupé de hautes fonctions à un moment donné de l’Histoire de notre pays s’en vont, il n’y a pas à pâlir pour cela. Sachez qu’au Tchad, la présidence d’une République, ce n’est pas une affaire de famille ; c’est plutôt la gestion démocratique d’un Etat.

Et dans un Etat, il peut y avoir des parents, d’un chef d’Etat, compétents pour occuper des postes de responsabilités, comme tout autre Tchadien ! Cela ne confère nullement à notre pays, “ un caractère dynastique ”. On ne peut pas considérer le départ de parents d’un homme politique de la légalité républicaine, comme fondement d’une crise interne dans la gestion de la République. Idriss Déby est un président qui a été élu démocratiquement par deux fois et je crois que les règles de l’Etat de droit démocratique n’ont rien de familiales (...).

S. : Est-ce alors la bataille pour le contrôle du pouvoir de l’après Déby qui a commencé à travers cette rébellion, ces désertions d’officiels ?

A.Y. : Ecoutez, si ceux qui se disent être proches du président et qui aujourd’hui se retrouvent de l’autre côté pensent que c’est un contrôle du pouvoir ou que c’est une façon de se positionner pour un après Déby, c’est leur droit, mais le Tchad est un Etat démocratique.

Le président Déby est une personne, donc il est mortel comme tout autre personne, il va à un moment donner, laisser le pouvoir mais il le fera dans le cadre des institutions de l’Etat. C’est frapper à une très mauvaise porte que de croire que la conquête du pouvoir d’Etat tchadien se fait ou peut se faire en dehors de nos règles constitutionnelles.

S. : Le débat en cours sur la gestion de la manne financière provenant des revenues du pétrole tchadien n’est-il pas également en rapport avec la crise actuelle dans votre pays ?

A.Y. : Certains ont toujours affirmé que l’exploitation du pétrole en Afrique est source de malédictions, mais je ne pense pas que ce soit le cas pour le Tchad. Vous êtes certainement au courant qu’une loi sur la gestion des revenus pétroliers est en cours de modification. C’est une loi qui a été initiée par le Tchad, votée par notre Assemblée. Certaines organisations, comme la Banque mondiale, s’y opposent parce que nous supprimons ce qu’on appelle les fonds des générations futures. Mais qui d’autre que les Tchadiens savent mieux que le bien-être des futures générations sera la résultante de celui des générations d’aujourd’hui ? La crise actuelle n’a donc rien de pétrolier. Du reste, le pétrole tchadien est bien géré.

S. : Mais pourquoi vous rendez vous compte subitement de cela au moment où il y a une crise qui s’engage à vos frontières ?

A.Y. : (L’air tendu...) Non ! Non ! Non ! Je vous dis clairement que le processus qui a été engagé pour la révision date de plus d’une année et respecte les règles de droit en la matière : consultations techniques, consultations de la société civile, consultations des corps de l’Etat, etc.

C’est donc un processus qui date de plus d’un an. Dès son adoption, une grande frange de la population ne l’avait d’ailleurs pas acceptée parce qu’elle estime que si le Tchad a du pétrole, ses populations doivent en bénéficier dès aujourd’hui. Tout souverain, le Tchad loin de se soucier d’une rébellion ou de pressions quelconques a décidé de modifier cette loi, conformément aux attentes, aux droits à plus de bien-être de notre peuple.

S. : Les revenus mis à la disposition de l’Etat du Tchad, par cette nouvelle loi ne vont-ils pas servir aux achats d’armes pour lutter contre la rébellion plutôt qu’aux tchadiens d’en bas pour vivre mieux ?

A.Y. : Cet argument a été développé par nos détracteurs qui sont à court d’arguments. D’ailleurs, les comptes du collège de gestion, de contrôle des revenus pétroliers sont sur internet. Tout l’argent qui est venu au Tchad dans le cadre des ressources pétrolières, son utilisation sont sur le net. Nous avons une gestion très transparente et même trop transparente. Nous faisons montre, tous les jours, de transparence à ce niveau-là. Et cela, sans que personne ne nous y oblige. Les investissements issus du pétrole sont visibles. Rien que pour les routes, nous avons en deux ans construit trois cents (300) kilomètres de routes sur les revenus pétroliers. Dans les autres secteurs de réduction de la pauvreté, nous construisons des centres de santé, des écoles... Il est évident qu’aujourd’hui les résultats sont là et c’est ce qui gène un peu nos détracteurs, qu’ils soient des rebelles ou pas.

S. : M. le ministre d’Etat, on a l’habitude de dire que la transparence amène tous les détracteurs à la soupière mais on constate que pour ce qui concerne votre cas, malgré la transparence, il y a toujours des détracteurs, une situation de non confiance. C’est ce que peut expliquer cette situation ?

A. Y. : Nous, nous sommes très sereins au niveau du gouvernement, pour la bonne gestion de notre pays. Et puis, sur cette question, soyons un peu sérieux :

comment comprendre que des Tchadiens qui hier s’opposaient au principe même de l’exploitation du pétrole sous prétexte de considérations environnementales puissent aujourd’hui se muer en donneur de leçons, en défenseurs ardus de la bonne gestion du pétrole ? Il y a là assurément de la mauvaise foi et personne n’est dupe : l’on comprend que ces Tchadiens sont certainement en mal de publicité, en mal de popularité ! Non, je crois qu’on fait un procès d’intention au gouvernement tchadien.

S. : Pourtant, le pétrole tchadien, de sources bien informée, est mal vendu ; le gouvernement tchadien, ne recevant que des miettes parce que pris dans le piège d’un mauvais contrat de mise en œuvre du processus d’extraction du pétrole ?

A.Y. : Ce n’est pas qu’il est mal vendu ! Il est vendu au cours international du marché. Mais, il faut reconnaître que nous avons deux problèmes. D’abord celui lié à la basse qualité du brut tchadien. Chaque fois qu’on le met sur le marché par rapport au brut de référence, il y a une décote entre notre brut et celui-ci. Deuxième difficulté, nous sommes un pays enclavé, un oléoduc de 1070 km relie le champ de pétrole au port de Kribie au Cameroun.

C’est un investissement de 3,7 milliards de dollars. Le plus gros investissement jamais réalisé en Afrique subsaharienne. Pour avoir l’appui des bailleurs de fonds, nous avons dû pour un départ, faire certaines concessions pour les rassurer d’investir dans notre pays, considéré par certains comme un Etat à risque.

C’est vrai, certains Tchadiens ne comprennent pas aujourd’hui qu’on ait seulement 12,5 % des revenues de notre pétrole ? Mais sachez qu’au final, notre pays sortira gagnant après ces quelques premières, années mises à profit pour apurer les dettes contractées pour mettre en marche l’exploitation de notre pétrole.

S. : Pour revenir aux problèmes politiques du Tchad, qu’est-ce qui explique le référendum récemment organisé quand on sait que le président Déby veut modifier la Constitution ?

A.Y. : Le président de la République n’a jamais demandé la modification de la Constitution. Ce sont les Tchadiens qui l’ont voulu avec la volonté que cela se fasse à travers les règles de l’Etat de droit. En décidant de permettre par là au président Déby de solliciter le suffrage universel de ses compatriotes, nos compatriotes veulent démocratiquement s’assurer qu’il ait la possibilité d’achever les nombreux chantiers en cours de réalisation pour le bien-être de tous les Tchadiens. Le Tchad n’est pas le seul pays à ne pas limiter le mandat présidentiel. Nous avons décidé souverainement de modifier la nôtre et c’est le peuple souverain en dernier ressort, qui a tranché.

S. : Oui, mais cela est-il bon pour la démocratie ?

A.Y. : Là aussi les gens sont libres en démocratie de dire ce qu’ils pensent, ce qu’ils veulent. En démocratie, c’est la loi de la majorité par les urnes. Nous jouons le jeu à ce niveau et le président de la République est élu démocratiquement. Il appartient à tous les Tchadiens qui jouissent de leurs droits politiques de se présenter et de le battre, s’ils ont un meilleur projet à proposer à notre peuple.

S. : La révision de cette Constitution à un moment où le président serait malade ne viserait-elle pas plutôt à “ imposer ” le fils de Déby comme si on était dans une monarchie ?

A.Y. : Dans la Constitution tchadienne, il n’est nulle part prévue une délégation de pouvoir à un fils. Notre pays, je le répète, n’est pas une monarchie. Le président n’est pas malade.

Il est un homme comme tout autre et peut avoir par moment, ses petites faiblesses en matière de santé. Rien de plus. En ce qui concerne vos allusions relatives à son fils, je vous informe que dans la Constitution tchadienne, il est dit qu’en cas de vacance du pouvoir, c’est le président de l’Assemblée nationale qui assure l’intérim et qui organise les élections. Son fils n’est ni député encore moins président de l’Assemblée nationale. Il n y a donc pas à dire que le président prépare son fils... Ce sont là des procès d’intention.

S. : Auriez-vous foi en l’avenir de la démocratie tchadienne ?

A.Y. : Absolument, mais pas seulement en l’avenir de la démocratie tchadienne, mais j’ai foi en l’avenir de l’Afrique, foi en la jeunesse africaine.

Interview exclusive réalisée par El Hadj Ibrahiman SAKANDE (ibra.sak@caramail.com)
Sidwaya

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