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Moumini Fabré : “Les municipales de 2006 représentent un enjeu important pour l’avenir des partis politiques”

Publié le mercredi 28 décembre 2005 à 07h25min

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Moumouni Fabré

Le Burkina Faso passera à la communalisation générale en mars 2006 avec la mise en place de conseils municipaux dans plus de 350 communes rurales et le renouvellement de conseils municipaux dans une cinquantaine de communes urbaines. Dans la foulée, le pays se dotera pour la première fois également de son histoire de conseils régionaux.

C’est une véritable accélération que connaît donc le processus de décentralisation au pays des Hommes intègres. Pour en connaître les tenants et les aboutissants, nous avons rencontré le « maître d’œuvre » de toute cette « mécanique ». Moumini Fabré dit tout sur le sujet et assène ses vérités sur les enjeux du processus. C’était juste quelques heures après le report du scrutin pour les municipales de 2006, dans son cabinet. Lisez plutôt.

Sidwaya (S.) : Quelle appréciation faites-vous du processus de décentralisation et qu’est-ce qu’une commune rurale ?

Moumini Fabré (M.F.) : Je fais une bonne appréciation de la communalisation intégrale parce qu’elle correspond aux prescriptions de la constitution.

La constitution en ses articles 143, 144 et 145 dit que le Burkina est divisé en collectivités. Ce qui revient à dire que l’ensemble du territoire doit être communalisé. C’est à ce processus que nous nous attelons en couvrant l’ensemble du territoire de communes urbaines et rurales.

La commune rurale se distingue de la commune urbaine, uniquement par le fait des activités qui y sont menées. La spécifité de la commune rurale est qu’elle correspond à un mode d’activité qui, en principe, diffère des activités qui sont menées dans une commune urbaine. La vocation essentielle de la commune urbaine est le secteur tertiaire et accessoirement le secteur secondaire.

L’activité de la commune rurale, elle, est celle de la production agricole, animale et un espace de protection de l’environnement.

La commune rurale est caractérisée par des activités du secteur primaire et souvent des activités du secteur artisanal. Pratiquement, 80% de la population de notre pays vit dans les milieux qui ont une vocation d’activités à caractère de production. La commune rurale est donc la forme de commune qui correspond aux activités qui y sont menées.

S. : Où sommes-nous avec la délimitation de ces communes rurales ?

M.F. : Le code général des collectivités territoriales qui a été adopté le 21 décembre 2004 stipule que, à l’étape actuelle, l’ensemble des circonscriptions administratives que sont les départements vont être transformés en communes rurales et que les limites de ces départements correspondent aux limites de la collectivité, commune rurale. C’est dire que d’ores et déjà, nous avons une description générale des limites de la commune rurale. Nous allons par la suite procéder à une délimitation beaucoup plus précise pour que chaque commune rurale puisse connaître avec précision les contours de son territoire.

A l’occasion de la délimitation des communes urbaines en 1999 par la loi 30, effectivement, on avait simplement indiqué les quatre points cardinaux qui constituaient la limite de la commune urbaine à telle enseigne que certaines de ces communes ont débordé sur d’autres territoires qui n’étaient pas les leurs. C’est le cas de Boulmiougou qui a débordé sur le département de Komsilga et Bogodogo qui a débordé sur le département de Saaba. Pour éviter ces cas de figure, les pourtours des communes rurales seront bien précisés pour minimiser les difficultés lors de la gestion.

Nous allons faire de sorte qu’il n’y ait pas de conflits en ce qui concerne la gestion du patrimoine foncier et nous venons, à cet effet, de discuter d’un document qui concerne l’aménagement du territoire et qui est le document d’accompagnement de la mise en œuvre de la décentralisation. Ce document va permettre le rééquilibrage d’un certain nombre de choses qui permettront aux zones défavorisées de rattraper les zones les plus favorisées.

S. : Des difficultés avaient été constatées dans l’opération de délimitation des communes rurales, peut-on dire qu’il n’y a plus de nuages ?

M.F. : Difficultés ! non, certains chefs coutumiers pensaient que du fait de leur statut de chef, il pouvaient avoir des influences au-delà de la limite administrative et nous devions donc tenir compte de l’étendue de leur pouvoir coutumier pour fixer les limites des territoires communaux.

Nous ne pouvons pas faire cela parce que l’administration moderne n’a rien à avoir avec l’administration traditionnelle. Il s’agit de deux types de structures avec des gestions différentes qui ne peuvent ni se juxtaposer, ni se superposer. Ensuite, il s’est posé le desiderata d’un certain nombre de localités qui pensent relever d’autres circonscriptions parce que leurs populations sont originaires de ces zones. Cela a posé parfois des difficultés à l’administration dans la mesure où il y a des territoires qui sont entre ces localités et on ne peut pas les sauter pour les rattacher à ces zones.

Il y a des cas où des localités qui sont à 20 km du chef-lieu souhaitent être rattachés à un autre département qui se situent à 40 ou 50 km plus loin. Je pense que l’administration a pour vocation de se rapprocher de l’administré et quand des incongruités de ce genre se présentent, nous n’allons pas dans ce sens. Mais quand dans une localité, deux entités souhaitent leur fusion dans l’intérêt de la paix sociale comme c’est le cas de Napalgué et Koussouka, cela ne nous pose pas de problème.

Au vu de la masse de travail qui a été entrepris et qui a montré l’adhésion de la population à la spatialisation à savoir la division des chefs-lieux en secteurs, les problèmes que vous évoquez apparaissent comme périphériques.

S. : N’est-ce pas la spatialisation qui a conduit à la récente révision du code général des collectivités territoriales ?

M.F. : Une fois que la spatialisation a été faite, nous l’avons transmise à la CENI pour sa prise en compte dans le fichier électoral. Au Burkina, c’est la division administrative qui constitue toujours la circonscription électorale. La CENI devait de ce fait prendre en compte les secteurs dans les chefs-lieux de département parce qu’il y a des chefs-lieux qui avaient été divisés en secteurs mais qui ne reposaient sur aucune base juridique. C’est le cas de Tintilou et Koudiéré qui sont des villages administrativement reconnus et que Tanghin-Dassouri avait intégré comme secteurs de sa ville.

Lorsque nous avons fini la spatialisation, la CENI nous a dit qu’elle était dans l’incapacité de prendre en compte la division en secteurs car la spatialisation est arrivée après l’informatisation du fichier électoral. Il fallait que la CENI reparte sur le terrain, procède à un recensement pour se conformer à la vision en secteurs faite dans les chefs-lieux de départements afin de faire une nouvelle informatisation du fichier électoral, chose qui nécessite un certain temps, au moins six mois. Ce qui devait entraîner le recul de la date des élections municipales et la dotation d’un budget additionnel.

Le gouvernement a donc demandé à l’Assemblée nationale d’introduire une disposition transitoire au code général des collectivités qui dit que les élections de 2006 vont se dérouler dans les chefs-lieux comme s’ils étaient des villages à part entière sans tenir compte de la division en secteurs.

Chaque chef-lieu de département aura deux conseillers plus un conseiller supplémentaire s’il atteint cinq mille habitants ou plus. Cette situation est transitoire et ne s’appliquera qu’aux élections municipales de 2006.

S. : La communalisation intégrale est en route, qui va supporter la facture car cela nécessite sans doute beaucoup de moyens ?

M.F. : Le premier bailleur de fonds est l’Etat burkinabè car il s’agit d’une volonté politique affichée par les premières autorités de ce pays. Cela, parce qu’elles sont persuadées que c’est la voie royale pour sortir le Burkina de son état de sous-développement. Ensuite, les partenaires techniques et financiers sont prêts à nous accompagner. Pour preuve, notre première démarche qui a été la communication autour du processus a été entièrement financée par ceux-ci. La Banque mondiale est également décidée à nous accompagner pour peu que nous allions à la décentralisation qui permet aux populations à la base de prendre en charge leur développement.

Dans le budget 2006, le ministre des Finances a déjà prévu près de 2 milliards de F CFA pour l’équipement des collectivités à venir. Une étude sur les possibilités de financement de la décentralisation a été menée, son objectif est de mettre en place un fonds d’investissement des collectivités locales. Une table ronde des bailleurs de fonds sera incessamment organisée pour exposer sur ce fonds et voir quelle va être l’accompagnement et la participation des uns et des autres. La décentralisation est toujours accompagnée de la déconcentration pour renforcer les capacités managériales des collectivités territoriales. Les ministères vont se déconcentrer dans les 13 régions du Burkina pour résoudre les problèmes sur place afin d’éviter de recourir à Ouagadougou à tout moment.

Dans le même processus, l’Etat va mettre à la disposition des collectivités, des secrétaires généraux et du personnel qualifié. Un accent particulier sera mis sur la formation des premiers acteurs à savoir les maires, les adjoints aux maires, les présidents des commissions et l’ensemble des conseils pour que chacun joue sa partition. La Fonction publique territoriale est en chantier, il s’agit d’une Fonction publique des collectivités. Tous les agents qui vont être recrutés peut-être dans 5 ou 10 ans seront gérés par cette Fonction publique territoriale pour que les collectivités jouent véritablement leur rôle. Il s’agira d’une Fonction publique productive et il y aura un certain nombre d’incitations qui leur permettront d’évoluer plus vite afin qu’il y ait un attrait pour ceux qui veulent y travailler.

S. : Les infrastructures posent également problème. Va-t-on déloger les préfets ?

M.F. : Les préfets ne seront pas délogés. Dans un premier temps, des locaux provisoires seront trouvés en attendant de réaliser des mairies propres dans chaque département. Un plan général pour l’ensemble du territoire a déjà été prévu avec des aménagements selon que le département est électrifié ou pas. Il y a des plans de construction, d’équipement (équipement minimum) pour l’ensemble des collectivités. Quand nous mettions en place les gouverneurs, il n’y avait rien de réaliser, mais d’ici fin décembre, l’ensemble de leur résidence sera réalisé. La coopération allemande a décidé de réaliser l’ensemble des mairies, de ses zones d’intervention et c’est le cas aussi pour la coopération danoise.

S. : Que vont devenir exactement les préfets ?

M.F. : Les préfets, pour le moment, demeurent. Ils n’ont pas les mêmes attributions que les maires. Il y a un décret qui fixe les attributions du gouverneur, du haut-commissaire et du préfet. A l’inverse, c’est le code général des collectivités territoriales qui détermine avec précision les attributions du maire et du Conseil municipal. Dès que les communes rurales seront mises en place, le préfet n’établira plus d’actes de naissance, ne lèvera plus de taxes ni d’impôt. Cela relève de la compétence des collectivités. Le préfet, lui, sera en quelque sorte l’œil du gouvernement auprès des mairies pour leur indiquer ce qui est permis et interdit. Mieux, lorsqu’un maire d’une commune rurale a besoin des compétences d’un fonctionnaire quelconque, il est obligé de passer par le préfet qui a compétence de s’adresser à l’agent en question et de l’autoriser à servir le maire et le Conseil communal.

S. : Il semble que les communes urbaines devront prendre en compte les villages des départements, qu’est-ce qui explique cette disposition ?

M.F. : Prenons le cas de Boromo. Vous avez, dans l’ancienne formule, la commune de Boromo qui est la ville de Boromo. En plus, vous avez le département de Boromo qui est constitué de l’ensemble des villages qui sont dans la circonscription administrative de Boromo. Si vous voulez créer la commune urbaine de Boromo à part, ensuite aller créer la commune rurale de Boromo, où mettrez-vous le chef-lieu de la commune rurale ? Si on choisit arbitrairement un village pour en faire le chef-lieu, les autres villages pourraient se plaindre ! Pour éviter ces problèmes, la commune urbaine de Boromo a été étendue au département pour faciliter aussi bien la gestion de la commune urbaine et rurale de Boromo.

Mais quand ces premières générations de communes seront mises en place, nous procéderons par la suite à une étude économique pour voir s’il n’est pas plus bénéfique de diviser le territoire en deux ou trois communes. Cela ne pourra être fait qu’à l’issue d’études. Il y a même des situations incongrues comme à Ouagadougou où des villages sont rattachés aux arrondissements. Là, les gens se plaignent parce qu’ils se disent ne pas être des secteurs et ne sont pas non plus traités comme des villages car ils ne reçoivent pas des investissements comme c’est le cas des villages se trouvant dans des départements. Ils se sentent abandonnés d’où la nécessité de les intégrer à l’arrondissement. Ils sont pris en compte désormais et auront leurs conseillers qui vont porter leur voix au Conseil municipal.

S. : Avec la communalisation intégrale, c’est aussi une multiplication des problèmes dans les mairies. Des mesures ont-elles été prévues pour freiner les déboires ?

M.F. : Les crises dans les conseils, c’est normal. Il s’agit d’un nouveau processus auquel les gens ne sont pas habitués et sont en apprentissage. Parfois, ces crises sont dues à des problèmes de leadership politique et de gestion. Pour pallier cette situation, nous allons mettre en place des instruments de veille, c’est-à-dire outiller les hauts-commissaires de sorte qu’ils puissent suivre minutieusement le fonctionnement des communes rurales. La perspective est de créer 13 inspections régionales qui ne sont pas là uniquement pour sanctionner, mais aussi pour apporter des conseils et un appui aux collectivités. Aussi, faut-il dire qu’on va sévir à chaque fois qu’il y aura des déviations, cela est pédagogique et permettra aux maires de savoir qu’il ne suffit pas d’être élu pour être un électron libre. On appartient à un système qui a ses règles et sa discipline propre.

S. : Après la communalisation intégrale du Burkina Faso, ce sera le tour des conseils régionaux. A quand ces conseils régionaux ?

M.F. : Une fois que nous aurons élu les Conseils municipaux sur l’ensemble du territoire, un mois après, nous procéderons à l’élection des Conseils régionaux. Il s’agit d’une élection indirecte, c’est-à-dire que chaque collectivité, commune rurale ou urbaine, va élire deux représentants en son sein qui seront chargés d’élire les Conseils régionaux. La loi dit qu’un mois après les élections municipales, tous les Conseils régionaux doivent être mis en place. Donc, si les élections municipales ont lieu en mars 2006, nous espérons qu’au plus tard en mai 2006 tous les Conseils régionaux seront mis en place. Nous demandons à tout le monde de prendre à cœur la communalisation intégrale parce que le renouvellement de la classe politique s’y fera. Lorsque des maires ruraux, des Conseils ruraux vont travailler à la satisfaction de leur population, il sera difficile que quelqu’un vienne d’ailleurs s’imposer à eux sur des listes électorales dans le futur. Chaque parti politique devrait se jeter dans la bataille pour la conquête de ces mairies car c’est en leur sein que les choses de demain vont se décider.

Victorien A. SAWADOGO,
Ali TRAORE

Sidwaya

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