LeFaso.net, l'actualité Burkinabé sur le net
Proverbe du Jour : “Vous n’empêcherez pas les oiseaux de malheur de survoler votre têtе, mаis vοus рοuvеz lеs еmрêсhеz dе niсhеr dаns vοs сhеvеux.” Proverbe chinois

80,35% pour Blaise, 11 chefs d’Etat à son investiture : Après les honneurs, les devoirs

Publié le mercredi 28 décembre 2005 à 07h43min

PARTAGER :                          

Blaise Compaoré peut ne pas faire l’unanimité au Faso. Et il ne fait pas l’unanimité. Fort heureusement pour la démocratie au Burkina. Mais nul ne pourra contester le dynamisme de sa diplomatie. Il est vrai que ses adversaires ne voient pas, dans ce rayonnement diplomatique, les mêmes motivations que ses supporters. Mais ainsi va la démocratie.

En effet, réussir l’exploit de faire se déplacer onze chefs d’Etat (Mathieu Kérékou du Bénin, François Bozizé de Centrafrique, John Kuffor du Ghana, Joao Bernardo Vieira de Guinée-Bissau, Ellen Sirleaf Johnson du Liberia, Amani Toumani Touré du Mali, Ely Ould Mohamed Vall de Mauritanie, Mamadou Tandja du Niger, Paul Kagamé du Rwanda, Omar El Béchir du Soudan et Faure Gnassingbé du Togo), trois premiers ministres (Charles Konan Banny de Côte d’Ivoire, Driss Jettou du Maroc et Cellou D. Diallo de la Guinée Conakry), l’ancien président ghanéen, l’inusable John Jerry Rawlings, et le patron de l’Union africaine, Alpha Omar Konaré, ne peut avoir été l’œuvre d’un apprenti diplomate.

Le coup est d’autant plus remarquable que quelqu’un comme JJR du Ghana n’était pas connu pour son empressement à participer à une pareille cérémonie sous Blaise Compaoré, à cause de l’épisode du 15 octobre 1987, au cours duquel son ami Thomas Sankara a trouvé la mort. Et que dire d’un pays comme la Guinée Conakry, dont les dirigeants vouaient, il n’y a pas si longtemps, le premier des Burkinabè aux gémonies ?

La force d’un être humain réside surtout dans le talent qu’il a à transformer les problèmes qu’il rencontre sur le chemin de la vie en défis à surmonter. Dans cet exercice, Blaise Compaoré a réussi là où beaucoup ont échoué.

En tant que Burkinabè, il faut s’en énorgueillir, quand on sait que la terre qui a accueilli cette belle brochette de personnalités tout aussi importantes les unes que les autres n’a (pour l’instant ?) ni richesses minières, ni ressources forestières susceptibles d’inspirer sinon le respect et l’admiration du moins l’envie et la convoitise.

La conceptualisation de cette approche des relations internationales sous la forme de la diplomatie de développement par Ablassé Ouédraogo, alors ministre des Affaires étrangères, a ainsi fini de prouver son efficacité.

Cela, l’évidence du poids diplomatique de notre pays, ne doit pas nous enivrer à cause d’un certain nombre de réalités dont la prise de conscience et le solutionnement des problèmes sous-jacents sont les seules sources de satisfaction véritable du peuple et de légitimation du régime de Blaise Compaoré.

La précarité de la "ressource minière"

Certes, le respect que nous inspirons (d’abord du fait de Blaise Compaoré) dans la sous-région et face auquel il ne faut pas faire la fine bouche est dû aux solides amitiés qui lient le premier des Burkinabè à celui des Français, Jacques Chirac, et à celui des Libyens, Moammar Al Kadhafi.

Il est de notorité publique que depuis la disparition de Félix Houphouët-Boigny de Côte d’Ivoire, c’est sur le "petit" Burkinabè que la France a jeté son dévolu dans la sous-région ouest-africaine au grand dam de Feu Gnassingbé Eyadéma, qui croyait que les services rendus à l’ancienne métropole et le droit d’aînesse joueraient en sa faveur. Que nenni ! Or, Jacques Chirac, en tant que président français, est suffisamment persuasif à l’endroit de ceux qui sont tentés de chercher noise à son protégé.

Quant à Moammar Al Kadhafi, on le sait, en tout cas jusqu’à une date récente, efficacement dissuasif vis-à-vis des ennemis (ou simplement des adversaires) de ses amis envers qui il se montre très généreux au moment où ils ont besoin de lui.

C’est dire donc que si les autres chefs d’Etat ne respectaient pas Blaise Compaoré parce qu’ils l’adorent tout particulièrement, ils composeraient avec lui, car il peut non seulement être utile auprès de Jacques Chirac, mais aussi il serait moins disposé à utiliser ses amitiés avec le guide libyen ou son propre talent militaire pour leur nuire.

Par ailleurs, il y a une troisième catégorie de pays qui entretiennent de bons rapports avec le Burkina Faso afin de rompre l’isolement diplomatique dont ils sont aujourd’hui prisonniers : c’est le cas du Soudan. Au regard de tout cela, on comprend aisément pourquoi et comment les organisations internationales et l’Administration américaine sont attentives à Blaise Compaoré.

A n’en pas douter, c’est notre ressource minière que toutes ces relations. Pour autant, nous ne devons pas perdre de vue le fait que :

les Etats n’ont d’amis que ceux qui peuvent servir leurs intérêts ;

Ni Tonton Chirac, ni le frère Kadhafi ne sont éternels même si les systèmes qu’ils ont mis sur pied ont des chances de leur survivre ;

dès que surviendront des problèmes internes, Blaise Compaoré restera seul face à son peuple. Espérons qu’il a encore en mémoire l’isolement dont il a fait l’objet au plus fort de la crise consécutive à l’assassinat de Norbert Zongo et de ses trois compagnons ;

ses frères et amis qui ont assisté et honoré de leur présence son installation sont d’autant plus disposés à nous ravir cette ressource qu’elle n’est ni enfouie dans notre sous-sol, ni répandue sur notre territoire.

Et nous aurions tort de leur en vouloir pour cela. Du reste, Blaise Compaoré lui-même n’a-t-il pas poussé l’outrecuidance jusqu’à ravir à Eyadéma cette place qui devait lui revenir en Afrique de l’Ouest ? N’a-t-il pas, dans cette lancée, inquiété même O. Omar Bongo ?

Tout est question de rapport de forces à un moment donné de l’histoire. Lequel rapport est tout sauf irréversible. Ce qui explique à l’envie le fait que les apogées préparent nécessairement les déclins.

Les premières peuvent durer cinq, dix, vingt, trente ans, mais n’étant pas éternelles, elles finiront par faire place aux seconds.

Les dures conditions de vie du peuple

Le même peuple qui a fait trembler Blaise Compaoré en 1998, 1999, 2000 est le même qui l’a élu à plus de 80% dès le premier tour. C’est dire s’il n’est rancunier ni vindicatif. Il souhaite seulement qu’on l’écoute, qu’on le respecte, bref, que l’élu pose des actes dans lesquels il se reconnaît.

Dans ce domaine, il faut se rendre à l’évidence que quelque chose a été fait en matière de liberté, de démocratie ; sur le plan économique, des efforts indéniables sont quotidiennement constatés : croissance moyenne de 5% durant les dix (10) dernières années, amélioration des équilibres macro-économiques, augmentation de la production de coton, bonne mobilisation des ressources financières internes et externes.

Cependant, les bons points ne doivent pas faire oublier que la liberté et la démocratie en elles-mêmes ne donnent ni à manger, ni à boire au peuple. Autrement dit, autant le gouvernement œuvre à garantir les libertés, autant il devrait faire davantage pour que la famine, qui hante les cases des Burkinabè disparaisse à jamais.

Par exemple, si le nombre de barrages a connu une augmentation notable, il reste encore en deçà de ce qui aurait pu permettre aux populations de pratiquer des cultures de contre-saison, susceptibles de pallier les mauvaises récoltes de la saison pluvieuse.

Pour nous, cela n’est pas impossible. Soit, le budget national ne peut financier ces gros travaux, mais l’audience du régime de Blaise Compaoré est telle qu’avec un peu plus d’insistance auprès des partenaires bilatéraux et multilatéraux au développement, ça n’est pas chose impossible.

D’autre part, les Burkinabè ressentent très peu les conséquences concrètes de la bonne santé économique de leur pays. Selon la plupart d’entre eux, c’est une infime minorité qui profite de ces progrès.

Blaise, engage-toi au lieu de souhaiter !

Ces ressentiments ont certainement joué en faveur de la mobilisation massive des salariés, des commerçants et des travailleurs du secteur informel en faveur des deux derniers mots d’ordre de grève lancés par les syndicats de façon unitaire. D’abord l’aspect unitaire du mouvement signifie qu’une plate-forme minimale a été rédigée et signée par l’ensemble des parties.

Ce qui revient à dire que les centrales syndicales et les syndicats autonomes perçoivent globalement le pouvoir de la même manière : négativement. Ensuite, l’importante participation des acteurs concernés atteste leur adhésion aux revendications et aux critiques adressée au gouvernement. En outre, si le Collectif contre l’impunité a mobilisé plus de personnes que l’an passé à l’occasion du 13-Décembre, ce n’est pas le fait du hasard.

Blaise Compaoré ferait mieux d’en prendre conscience et d’agir en conséquence : soit en permettant à chacun d’améliorer son revenu (augmentation des salaires, réfection du marché Rood Woko, etc.), soit en réduisant les inégalités, car la pauvreté est d’autant plus difficile à supporter qu’on a en face de soi des voisins pourris de fric, mais qui, au sein de la société, ne sont pas forcément plus méritants.

Au lieu donc de dire dans son discours d’investiture, que "Je souhaite, dans l’accomplissement de ce programme, ne laisser aucune force sociale sur le bord de la route", il aurait fallu qu’il s’engageât à ne laisser personne "sur le bord de la route" ou trouve une autre formule pour relativiser sa pensée.

En effet, pour nous, il ne peut parler en termes de souhait dans la mesure où il est le magistrat suprême. Autrement dit, c’est vous et nous qui pouvons dire que "Je souhaite que le président du Faso ne me laisse pas sur le bord de la route". Lui devrait s’engager à associer tout le monde à des degrés divers même si certains citoyens vont se démarquer de lui. Il devrait également s’engager à faire profiter le maximum de Burkinabè des fruits de son mandat.

Adieu anticipé ou début d’une ère nouvelle

Elu à plus de 80% au premier tour et honoré par onze chefs d’Etat et trois Premiers ministres (pour ne citer que ceux-là), Blaise Compaoré doit comprendre (si ce n’est déjà le cas) que c’est un appel du pied de son peuple pour qu’il fasse mieux et plus ; qu’il envisage même le miracle. De la part de ses pairs, c’est officiellement le témoignage de leur reconnaissance vis-à-vis de Blaise Compaoré.

Effectivement, de manière discrète, mais non sans efficacité, ce dernier à contribué à dénouer bien de crises ouvertes ou latentes dans la sous-région ; même si ses contradicteurs voient sa silhouette derrière les Forces nouvelles de Côte d’Ivoire.

Seulement voilà : Blaise Compaoré doit mieux faire pour qu’à la fin de son mandat, la cérémonie d’au revoir ou d’installation pour un autre mandat de cinq (5) ans (au cas où il se représenterait pour un autre mandat de cinq ans) qu’il organisera enregistre un meilleur succès. Sinon ce bon coup diplomatique serait, par anticipation, synonyme d’adieu ou d’éclaircie furtive sans prise sur les réalités.

Pour cela, Blaise Compaoré n’a qu’un allié, mais un allié de taille : le peuple, dont il est le produit et dont il tire sa légitimité. Mais à condition qu’il puisse s’affranchir, ne serait-ce que de temps en temps, du carcan que constitue l’étroitesse d’esprit de la plupart de ses courtisans. Le voudra-t-il et le pourra-t-il ? Nul autre que lui ne peut y répondre.

Zoodnoma Kafando
L’Observateur

P.-S.

Lire aussi :
Blaise Compaoré

PARTAGER :                              

Vos commentaires

  • Le 28 décembre 2005 à 17:46, par septik En réponse à : La liberté et la democratie en elles-mêmes ne donnent ni à manger, ni à boire au peuple !

    Les 80,35% des burkinabès qui viennent de voter le PF ne mangent pas à leur faim ! Alors qu’un peuple qui a faim n’est pas un peuple libre ! donc ce taux record n’est ni un signe de liberté d’expression ni de democratie ; Mais une invite à plus d’egard envers une majorité silencieuse qui ne sait ni lire, ni ecrire et qui aspire cependant à une vie digne et saine !
    Mon president : Pour ce mandat qui commence je vous demande une chose : Composez avec des hommes discrets et efficaces !Vos equipes passées (ministres, elus nationaux et locaux) ont brillé par leur manque d’efficacité et aussi par leur arrogance ! Plus Jamais ça !

  • Le 29 décembre 2005 à 18:56, par KGB En réponse à : > 80,35% pour Blaise, 11 chefs d’Etat à son investiture : Après les honneurs, les devoirs

    belle analyse. Malheureusement ni vous ni personne ne semble s`indigner qu`on puisse passer plus de 20 ans au pouvoir. Il n ya que dans les democraties rurales que l`on peut tolerer ce genre de pouvoir a vie. Cette reelection d`un pourvoir corrompu jusqu`au coup qui n`est meme pas capable de gerer une petite histoire de route mal goudronnee par magouille est une honte. C`est une veritable catastrophe d`elir des gens comme ca qui prefere etouffer des affaires de corruption en conseil des ministres coupant l`herbe sous le pied de la justice de peur que ca ne les eclabousse. Applaudissez. Apllaudissez toujours, chacun payera.

 LeFaso TV
 Articles de la même rubrique