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Gestion de l’après 13 novembre : L’équation des récompenses

Publié le vendredi 16 décembre 2005 à 07h29min

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Après la victoire à la présidentielle, les différents soutiens à Blaise se bousculent au portillon. Chacun attend fièvreusement sa part du gâteau. Mais pour beaucoup, les espoirs semblent s’envoler en fumée.

C’est enfoncer une porte déjà ouverte que d’affirmer que les ABC vouent à la limite un culte à Blaise Compaoré. En effet, pour Salif Dolbzanga et ses camarades, il est le " grand espoir ", le " principal visionnaire et organisateur du développement au Faso ".

Créée en 1991, l’association des Amis de Blaise Compaoré se réclame de la société civile. Ses adhérents sont issus des organisations politiques soutenant le chef de l’Etat et des leaders de couches sociales, coutumières et religieuses. Les grands opérateurs économiques y sont également représentés. Dans leur Bulletin, les ABC ne font pas mystère de leur objectif : assurer à leur " ami ", " la base sociale nécessaire pour l’accompagner sereinement dans l’exercice de ses mandats".

C’est pour cette raison qu’ils ont battu le pavé pour réclamer à cor et à cri sa candidature. Ils ont ensuite incité les populations à retirer leurs cartes d’électeurs. Pour finir, les ABC ont chauffé les esprits à blanc en vue du choix de Blaise Compaoré. Ils ont essentiellement déployé leur énergie en direction des jeunes, forces vives et surtout, frange importante de l’électorat. Pour cela, de grands moyens ont été mis à leur disposition (motos, mégaphones...)

En réalité, les ABC ont été créés pour combler un vide : celui de l’animation constante. Il est de notoriété publique qu’au Burkina Faso, la plupart des partis politiques ne sont réellement visibles que pendant les échéances électorales. Mais avec cette structure, Blaise Compaoré est au moins assuré d’être plus proche des populations et surtout de se faire passer pour celui qui prend le mieux en compte les préoccupations des jeunes.

C’est justement à ce niveau qu’il y a hiatus. Cela, parce que la dimension "société civile " des ABC n’est pas clairement circonscrite. Beaucoup d’ABC, et pas des moindres, professent ne travailler que pour Blaise Compaoré. Il s’en suit par moment des prises de bec avec certains caciques du méga parti. Le phénomène est d’autant plus perceptible que certains ABC étaient dans un passé récent, militants CDP. N’y ayant plus droit au chapitre, l’association devient ainsi pour eux comme une espèce de " base arrière " pour pouvoir mieux rebondir un peu plus tard. Comment alors éviter les jeux de chaises musicales en pareilles situations ?

De plus, vu la spontanéité des soutiens (tontons, tanties, jeunes, anciens...) , Blaise Compaoré apparaît pratiquement comme un " otage ". Tous se réclament de lui. Lui, il est censé coordonner les troupes afin de maximiser le profit. Pour son image personnelle, Blaise Compaoré aurait sans doute souhaité que les ABC se cantonnent à leur statut d’organisation de la société civile. Rien de plus. Toutefois, l’exercice paraît périlleux. Du reste, on se sépare difficilement de ses vieilles habitudes. C’est donc dire que ce quinquennat, si l’on s’en tient à la volonté de Blaise Compaoré, d’œuvrer davantage à l’ancrage de la démocratie, devrait connaître une restructuration profonde des ABC.

L’ADF/RDA : la croisée
des chemins

Lors de son dernier congrès avant la présidentielle, le président de l’ADF/RDA, Gilbert Ouédraogo, avait été très clair. Son parti ne soutenait pas le CDP, mais Blaise Compaoré. En son temps, cette formule avait fait rire plus d’un. Au lendemain de la victoire, le parti de l’Eléphant s’attend légitimement à la mise en œuvre de l’accord programmatique conclu avec Blaise Compaoré. On se rappelle que le président de l’ADF/RDA, alors chef de file de l’opposition, s’était débinée afin de faire de Blaise Compaoré son candidat. Gilbert Ouédraogo estimait que les conditions étaient plus qu’exécrables pour une victoire de l’opposition à la présidentielle de 2005.

Aujourd’hui, il se réjouit du score de Blaise Compaoré et trouve même que " les votes étaient pliés avant le 13 novembre ". Mais bien avant, au moment même du " deal " historico-politique, c’est Gérard Kango Ouédraogo, le vieil Eléphant, qui signait un véritable " coup fumant ". La stratégie consistait à placer son fils dans les allées du pouvoir, quitte à ce qu’il soit le successeur putatif et démocratique de Blaise Compaoré, le moment venu.

Pendant la campagne, l’ADF/RDA s’est donc échinée à défendre le " progrès continu pour une société d’espérance ", le programme de gouvernement de Blaise. Elle a surtout travaillé à convaincre les électeurs du choix de son candidat. Aujourd’hui, le résultat est là. Sans doute, à la hauteur des attentes. Maintenant, quel sera le sort de l’ADF/RDA ?

Grande inconnue. Ses responsables se contentent de dire qu’ils souhaitent que leur candidat applique le programme sur la base duquel il a été élu. L’Eléphant joue alors son avenir politique. Et à propos, la formation du futur gouvernement sera très déterminante pour ce parti qui était la deuxième force politique du pays après les législatives de 2002. Pour les municipales à venir, l’ADF/RDA sera face à ses électeurs.

Le discours va certainement changer. Ce discours ne peut pas non plus changer sans remettre quelque peu en cause la gestion des communes par le parti majoritaire. Il risque alors de se produire un double langage. La conséquence immédiate sera la perturbation de l’électeur. Comment peut-on s’en prendre au parti avec lequel on partageait la même vision il y a si peu de temps ? Il y a bien là une logique politique que la grande majorité des électeurs pourrait ne pas comprendre.

L’ADF/RDA joue également son avenir politique dans la mesure où ce parti n’est plus le même. Il faudra nécessairement tenir compte de la scission de 2003 pour évaluer la force de frappe réelle du parti de l’Eléphant. Des rencontres sporadiques ont certes eu lieu, mais est-ce vraiment suffisant ? Plus que jamais, la bataille risque d’être rude. L’issue incertaine.

L’AMP veille au grain !

Pour cette présidentielle, une évidence s’impose : Blaise Compaoré a ratissé large. En sus des nombreuses sections, coordinations... 27 partis, associations et formations politiques se sont ligués autour de lui. Il en a résulté l’AMP, l’Alliance pour la Mouvance Présidentielle, le 20 avril 2005. Durant la campagne, l’AMP a donné de la voix. Le tout a été couronné le 1er novembre dernier par le grand meeting de la Maison du Peuple. Mais pourquoi tout cet engouement pour Blaise Compaoré ? La vocation originelle d’un parti politique n’est-elle pas la conquête et l’exercice du pouvoir d’Etat ?

A ces questions, l’AMP a donné des réponses le 23 novembre dernier lors d’une conférence de presse. Elle estime agir par conviction. Son coordonnateur, Pierre Tapsoba, précise qu’il s’agit d’aider Blaise à stabiliser son régime et à réaliser son programme. A l’AMP, on insiste sur le fait que le soutien n’a pas été monnayé. Toutefois, on ne cracherait pas sur une ou des propositions ministérielles. Mais là où le couac subsiste, c’est que de nombreux responsables des partis de la mouvance sont de ceux qui n’étaient plus en odeur de sainteté avec le CDP. Ils ont donc opéré un repli stratégique pour ne travailler désormais que pour Blaise Compaoré.

Assurément, Blaise apparaît de plus en plus comme l’homme que tous veulent, à tout prix séduire. La prouesse pour le chef de l’Etat au cours de ce mandat sera alors de prouver qu’il est capable de se mettre au-dessus de la mêlée.
Pour les municipales, les partis de la mouvance iront en solo. Le CDP devra alors faire face à ses alliés d’hier et à ses opposants de toujours. Les dernières législatives avaient vu l’expérimentation de la proportionnelle au plus fort reste. Cela avait eu pour effet d’atténuer sérieusement le " tuuk guili ".

La résultante en a été un parlement multicolore. Pour les échéances à venir, le CDP a vite fait d’adopter la proportionnelle à la plus forte moyenne. Les petits partis seront écrasés. Sans pitié.

A l’analyse, Blaise Compaoré a toujours voulu être le maître du jeu. Dans cette optique, il a énormément misé sur Salif Diallo et son frère cadet François Compaoré. Le premier a mis l’Action des jeunes pour la candidature de Blaise Compaoré (AJCBC) sur pied. Le dernier est le parrain des ABC.Au-delà du CDP, Blaise a donc voulu montrer qu’il dispose d’une solide assise sociale et populaire. Maintenant que la présidentielle est derrière nous, chaque acteur se pose la lancinante question : les fruits porteront-elles les promesses des fleurs ?

Franck Aimé Bazié


Les ABC, le machin de la famille présidentielle

La Révolution a eu ses CDR, le Front populaire ses CR. La IVe République a, elle, ses ABC. A la différence des premiers qui étaient au service des pouvoirs publics, les " nouveaux CDR " du Burkina sont au service exclusif d’une famille, sinon d’un individu.

La création des ABC (Amis de Blaise Compaoré) en 1991 procède de la volonté du président du Front populaire de tourner la page d’un passé récent, celui de la Révolution et de la Rectification. Les ABC viennent donc comme le couronnement du processus de liquidation des structures populaires de la révolution. Ce processus, commencé dès le lendemain du 15 Octobre 1987, a consisté d’abord à " restructurer " les Comités de défense de la révolution (CDR). En réalité, il s’agissait de les " déstructurer " progressivement.

L’objectif n’étant plus la défense de la révolution, mais sa liquidation, les rectificateurs suppriment le " D " des CDR qui deviennent ainsi des "CR" ou "Comités révolutionnaires". Contrairement aux CDR qui avaient un pouvoir de décision considérable, les CR verront leurs tâches dégraissées à tel point qu’au fil des ans, leur rôle s’est réduit à ne produire que des comptes rendus aux préfets.

L’adoption de la constitution en juin 1991, qui marque le retour au multipartisme, va donner l’occasion de se débarrasser définitivement de ces comités devenus encombrants. L’explication officielle est que l’Etat de droit s’accommode mal de l’architecture organisationnelle d’un régime révolutionnaire. Blaise dit donc adieu aux CR. Toutefois, ils ne seront pas totalement rejetés dans la poubelle de l’histoire. Bien qu’étant des " reliques " de la révolution qu’on abhorre, ils seront le soubassement du parti présidentiel, l’ODP/MT dont la création s’est faite dans la douleur.

En effet, l’ambition de Blaise de fédérer les groupuscules de gauche et les partis de droite réunis dans le Front populaire va échouer. La conscience idéologique n’avait pas déserté encore tous les esprits. L’échec du " large rassemblement " souhaité par le chef sera imputé surtout au Groupe des démocrates révolutionnaires (GDR). Celui-ci va payer fort son insoumission. Une répression terrible va s’abattre sur ses principaux animateurs.

Moctar Tall échappe de justesse à la mort, mais ne se remettra jamais de ses blessures. Son camarade Ludovic Tou a plus de chance car absent de chez lui quand les fameux " visiteurs " se sont signalés à son domicile. D’autres vont subir l’ostracisme. Emile Paré dans la grande interview de Sidwaya de juillet 2005 dit qu’il a été affecté à Gaoua, donc très loin de Ouagadougou et a été invité à adhérer à l’ODP/MT de son secteur. Pour lui, c’était l’humiliation car on lui demandait de se soumettre à un " farfelu " qui était sous ses ordres quand il était dans la grande Coordination des structures populaires.

Ces sanctions qui se sont abattues sur les responsables du GDR et d’autres anciens camarades entrés en dissidence ouverte avec le régime comme Oumarou Clément Ouédraogo étaient un message envoyé à tous ceux qui seraient tentés par l’aventure d’une opposition franche au nouveau parti émergeant. C’est ainsi que bon gré, mal gré, la plupart des anciens animateurs de la Révolution vont rejoindre le parti.

Mais cela n’était pas suffisant car, si Blaise était en passe de gagner la bataille du contrôle de la super structure étatique avec ses démembrements (l’élimination de Lingani et de Henri Zongo en septembre 1989 procédait de cette logique), la bataille de l’image était certainement la plus difficile à gagner. La tragédie du 15 Octobre 1987 était encore vivace dans les mémoires. Malgré la difficulté de la tâche, il fallait quand même commencer à se construire une image polie, un peu sympathique. Les ABC sont le fruit de ce désir presque obsessionnel de reconversion.

Pour la circonstance, ce sont les jeunes qui seront mis au devant de la structure. A l’époque, les lycées et collèges étaient le vivier principal pour le recrutement des militants. Il fallait montrer que le chef n’a pas que des contempteurs, il est " aimé ", même par les jeunes. Ils sont associés aux voyages du président à l’intérieur du pays. On les montre souvent à la télé saluant chaleureusement le " grand ami ". Pour ratisser large, ils sont invités occasionnellement au palais présidentiel de Ziniaré avec son parc de rêve.

Du folklore au politique

A leur création donc, et cela jusqu’au milieu des années 90, les ABC étaient davantage une structure plus folklorique que politique. La mutation interviendra juste après les " primaires " du nouveau parti au pouvoir en vue des élections législatives. Le "large rassemblement " avait atteint son summum en 1997 avec la création du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) et le choc des ambitions ne pouvait faire que de nombreux mécontents.

Les ABC ont vu alors leur rôle passer de l’agitation juvénile à celui d’agit-prop sinon de marche-pieds pour certains. Entre temps, François Compaoré, " le petit président " a pris en main les ABC. Officiellement, il est le " parrain ", le président étant toujours le " bien aimé" Salif Dolbzanga. La mission de François avec les ABC était de garder tous les " mécontents " dans le giron du régime, et d’en recruter d’autres soutiens, "élargir la base sociale du régime".

De ce fait, les ABC seront désormais la courroie de transmission ou d’allégeance entre certains leaders et Blaise Compaoré. Des têtes couronnées et des responsables religieux qui ont encore du scrupule à s’afficher CDP utilisent le canal des ABC pour montrer qu’ils sont derrière " le grand chef ". Il en est de même pour certains opérateurs économiques ou de jeunes cadres aspirant à des fonctions de directeur de société ou de projet.

Toutefois, les ABC restent un pis-aller des hommes politiques. Ceux qui sont en difficulté dans le parti vont recourir aux ABC comme un refuge, un bastion pour reconquérir la place perdue. A Ziniaré, François Vokouma en a fait les frais à la mairie. Il a été débarqué l’an dernier de son poste de maire avec la bénédiction de la petite sœur du président, la véritable patronne des ABC de la localité.

Mais les cas typiques d’affrontement entre les " gens du parti " et " ceux des ABC " viennent de Gourcy et de Dori. Dans la première localité, le beau-père de François, le député Tasseré Ouédraogo est en conflit ouvert avec le coordonnateur régional du Nord du parti qui n’est autre que Salif Diallo, n°2 du CDP. N’ayant pas eu le contrôle de la section locale du parti, " l’intouchable " député (personne n’oserait proposer sa sanction dans le parti ) s’est rabattu sur les ABC pour continuer sa fronde.

A Dori, la querelle entre Kader Cissé et le chef du Liptako a tourné à l’avantage du premier. Le chef débarqué en 2000 de la mairie de Dori par le clan du ministre Cissé avait entre temps rejoint les rangs de l’ULD, un parti de la mouvance présidentielle. Mais, il s’est rendu compte que le salut n’est pas de ce côté. Pour la présidentielle passée, on l’a vu au devant des ABC apporter son " soutien indéfectible au candidat Blaise Compaoré ". On laisse croire qu’il viserait la reconquête de la mairie de Dori ou le poste d’ambassadeur du Burkina au Canada où il réside depuis lors.

Ces deux cas montrent bien que les ABC peuvent être souvent l’instrument de contre pouvoir à la disposition de la famille présidentielle pour atténuer les ambitions démesurées de certains barons du parti. Les ABC apparaissent alors comme le contrepoids de leur grand poids politique dans les régions qu’ils régentent. Toutefois, le chef ne se fait aucune illusion sur les amitiés de ces nouveaux ABC.

Tous sont conscients qu’il n’y a pas d’amitié inconditionnelle en politique. Ceux qui espèrent des récompenses après cette élection sont donc ces hommes politiques et ceux des affaires. Quant aux " ABC originels ", les Salif Dolbzanga et autres, ils se contenteront des " v’loppes " et des gadgets de la campagne. La juste récompense de leur travail d’agitation ? En tout cas, de la pré campagne à la victoire de Blaise, ils ont joué leur rôle de " machin " pour emprunter le mot de De Gaulle à propos de l’ONU

Idrissa Barry

L’Evénement

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