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M. Abdoulaye BARRY, Procureur général : “Le nombre de dossiers pendants a considérablement diminué...”

Publié le vendredi 16 décembre 2005 à 07h24min

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Abdoulaye Barry

Le 7e anniversaire du drame de Sapouy s’est déroulé dans le recueillement pour les uns, la marche pour les autres. Comme il est de coutume depuis un certains nombre d’années le dossier Norbert ZONGO et bien d’autres s’invitent dans le débat socio politique à l’approche du 13 décembre.

Pourtant bien d’effort sont accomplis par les hommes de justice et à tous les niveaux pour que ces affaires dites pendantes connaissent leur dénouement.
Nous avons rencontré le Procureur général près de la Cour d’appel de Ouagadougou, M. Abdoulaye BARRY , pour en savoir plus.

Monsieur le Procureur général, comme il est de coutume depuis maintenant quelques années, chaque 13 décembre, les questions sur les dossiers dits pendants s’invitent dans les débats sur la situation socio-économique et politique de notre pays. Quel bilan pouvez-vous faire sur l’évolution de ces dossiers ?

Abdoulaye BARRY (A.B) : Je vous remercie de me donner cette opportunité de revenir sur certains points évoqués dans mon point de presse. Il faut d’abord dire qu’au niveau de la justice, nous avons décidé depuis quelques temps de communiquer régulièrement avec la presse. La justice a décidé de communiquer, ce qui manquait dans le temps, ce qui permet aux magistrats de donner de temps en temps des informations sur les dossiers qui retiennent l’attention du public.

Cette année nous n’avons pas eu l’occasion de rencontrer la presse immédiatement après la rentrée judiciaire. Naturellement, à chaque fois que nous rencontrons la presse, il y a des dossiers sur lesquels nous revenons régulièrement, les dossiers dits pendants. Fort heureusement, le nombre de ces dossiers a considérablement diminué ; aujourd’hui on cite quelques dossiers seulement, bien sûr le gros dossier est là, celui de Norbert ZONGO. En dehors de ce dossier, on cite le dossier Flavien NEBIE, et dans une moindre mesure, le dossier Michel CONGO.

C’est en gros ces trois dossiers, là qui peuvent être considérés aujourd’hui comme des dossiers pendants. Il faut dire que pour ces dossiers, celui de Michel CONGO a déjà connu une clôture de l’information, à savoir qu’à ce niveau le dossier est bouclé, il est actuellement dans la procédure interne, donc sera conduit devant la chambre criminelle et l’on peut d’or et déjà dire que l’essentiel est fait puisqu’il nous reste juste la phase de jugement. Pour les autres dossiers, Norbert ZONGO et Flavien NEBIE, ceux-ci sont toujours en cours d’instruction.

Le premier, celui de Norbert ZONGO est, vous le savez, avec le juge Wenceslas ILBOUDO, qui mène son enquête. Il a entendu au moins 200 personnes jusqu’ici. Au cours de l’année 2005, il a fait d’autres auditions notamment concernant Babou NAON, concerné dans la tentative ce coup d’Etat et qui a fait des déclarations lors du procès au niveau du tribunal militaire. Il a dû entendre également le Directeur de publication de l’Indépendant, M. Liermé SOME, qui avait fait un dossier spécial sur le sujet.

Mais toutes ces déclarations n’ont pas abouti au niveau du juge instructeur à des conclusions sérieuses. D’autre part, la maladie de Marcel KAFANDO, seul inculpé dans ce dossier, ne lui a pas permis de le réentendre, mais selon les informations, ce dernier se remet un peu de sa maladie et si tout va bien, le juge pourrait le réentendre.

Pour l’instant, la maladie de Marcel KAFANDO fait que l’instruction est un peu ralentie, elle ne s’est pas arrêtée car l’état de l’intéressé ne peut nullement l’empêcher de poursuivre son cours normal quand bien même celui est au centre de l’information. Cela n’empêche donc pas l’instructeur de poser des actes en attendant de revenir sur l’inculpé lui-même.
Voilà en gros comment ces dossiers sont traités au niveau de la justice et ce sont ces informations que nous avons jugé utile de donner à l’opinion publique.

Outre les dossiers criminels, il y a aussi des dossiers qui concernent des détournements de deniers publics. Où en êtes-vous avec les cas de la construction du barrage de la Bougouriba, de l’hôpital Sourou SANON, etc ?

A.B : Au cours de l’année 2005, la justice a été saisie pour des affaires de détournements, ou de malversations qui peuvent être considérées comme assez importantes puisque cela concerne plusieurs centaines de millions de francs. Il y a tout d’abord le dossier de la Croix-rouge où des détournements et des malversations de plusieurs centaines de millions nous ont été rapportés par les services de l’inspection d’Etat. Ce dossier fait l’objet d’une information et le juge a posé déjà des actes concrets puisque il y a des personnes qui ont été déjà placées sous mandat de dépôt.

Il y a également le dossier du barrage de la Bougouriba, là aussi il y a eu détournement et pour lequel, une information a été ouverte. Il y a enfin le dossier de l’hôpital Sourou SANOU de Bobo-Dioulasso où une information a été ouverte parce qu’il y a eu des malversations à ce niveau également. En plus de ces dossiers, nous en avons d’autres dossiers, cette fois pas financiers, mais de vivres. Vous avez certainement entendu parler de ce cas où l’ex-haut commissaire de l’Oudalan ainsi qu’un certain nombre de préfets ont été interpellés et se trouvent aujourd’hui en détention au niveau de la MACO.

Ce dossier cependant n’est pas géré au niveau du parquet, mais au niveau de la Cour de cassation parce qu’en ce qui concerne les hauts-commissaires et les préfets, il y a une procédure spéciale. Ces affaires sont donc traitées actuellement au niveau de la Cour de cassation. Il s’agit là aussi d’une information puisque c’est un magistrat de cette cour qui a été désigné pour instruire le dossier.

Le Collectif a annoncé une descente sur le palais de justice pour dit-il « demander le bilan de l’instruction du dossier Norbert ZONGO ». Votre réaction.

A.B : Nous estimons qu’on ne peut pas admettre, en l’état actuel des choses et même en dehors de cet état du reste, que des individus s’organisent pour venir demander des comptes à un juge d’instruction. On n’a jamais vu ça dans les annales judiciaires, ici au Burkina, encore moins ailleurs dans le monde.

Par principe et selon la procédure pénale, le juge d’instruction ne communique jamais parce qu’il y a ce qu’on appelle le secret de l’instruction. Le juge n’a même pas, également, le droit de donner des éléments d’informations sur son dossier. Donc, sur le plan légal ce n’est déjà pas possible. Sur le plan simplement même des revendications, je pense qu’on ne peut pas permettre à ces individus-là de venir au palais de justice pour obliger les juges d’une certaine manière à donner l’état d’avancement des dossiers.

C’est la pire forme de pression qu’on puisse exercer sur la justice. Il y a quelques années de cela, nous avons subi ces types de pressions voire même des agressions, puisque, à l’occasion du procès des étudiants, des individus sont rentrés comme ça au palais où ils ont cassé des portes, menacé des juges, injurié des agents ; aujourd’hui encore, les traces de ce passage-là sont visibles au niveau du palais. Je crois que cet état des choses ne peut plus être accepté et en tout cas, nous avons pris toutes les dispositions pour que cette marche sur le palais de justice n’ait pas lieu et nous sommes restés ferme à ce sujet.

Le thème retenu par la rentrée judiciaire 2005-2006 est : « la déontologie du magistrat ». Qu’est-ce qui a motivé le choix d’un tel thème et quels sont les objectifs poursuivis ?

A.B : En ce qui concerne le thème de la rentrée judiciaire, je pense qu’il faut le lier à l’actualité judiciaire en général. Vous savez que la justice depuis quelques temps a fait l’objet de critiques, on lui reproche notamment d’être corrompue, si bien qu’au niveau du Conseil supérieur de la magistrature, la décision avait été prise de mettre en place un comité chargé de faire un rapport sur la question.

Ce rapport a été fait, et le Conseil supérieur de la magistrature en a tiré les conclusions. Vous voyez que la déontologie du magistrat devant être discutée après un tel constat n’était pas un fait innocent ; il fallait que dans la même lancée, les magistrats puissent se rappeler des règles déontologiques qui gouvernent leur profession.
L’objectif poursuivi est de faire en sorte que le magistrat puisse se comporter comme le dicte la déontologie c’est-à-dire en digne et loyal magistrat comme il est dit dans le serment.

Quel bilan pouvez-vous tirer de l’année judiciaire 2004-2005 ?

A.B : Le bilan qu’on peut faire, c’est que, dans son ensemble, la justice a fonctionné normalement. En janvier 2006 par exemple les Assises criminelles ont permis de juger Saul TRAORE, l’égorgeur des filles, ce dossier était extrêmement important au regard de la psychose et de l’émoi qu’il avait provoqué en son temps chez beaucoup de Burkinabè. Dans l’ensemble, la justice a fonctionné normalement et je pense que si nous continuons comme ça à travailler dans la sérénité, la justice pourra redorer son blason.

Que répondez-vous à ceux qui demandent l’abrogation de la peine de mort ?

A.B : Vous savez, la peine de mort en tant que sanction est une question d’actualité, et c’est un sujet qui a fait l’objet de débat dans beaucoup de pays. Il y a des pays où elle a été supprimée, il y a aussi des pays où elle demeure et c’est le cas de notre pays. Elle a certainement son fondement juridique, aujourd’hui pour des raisons philosophiques, sociales, pour des raisons de protection des droits humains, certaines personnes estiment que la peine de mort doit être supprimée au Burkina Faso.

Mais il y a aussi de l’autre côté ceux qui souhaitent qu’elle soit maintenue et surtout qu’elle soit exécutée. Je rappelle d’ailleurs que la peine de mort n’a pas été exécutée au Burkina depuis 1978. Face aux agressions multiples où des citoyens perdent la vie, où les gens coupent les routes dans les campagnes, tuent sans vergogne, tirent sans sommation, est-ce qu’il faut maintenir cette sanction et l’appliquer effectivement à ces délinquants ? Voilà la question. Moi personnellement, en tant que magistrat j’ai mon point de vue personnel et je pense que chacun a son appréciation de la question.

On parle de plus en plus de l’application de peines de TIG (Travaux d’intérêts généraux) dans notre pays. En quoi cela consiste et comment cela se fera-t-il sur le terrain ?

A.B : Les TIG, sont des peines que nous avons conçues dans l’arsenal judiciaire et qui vont être expérimentées dès janvier 2006. Ce sont des peines alternatives qui vont se substituer aux peines de détentions dans les maisons d’arrêt et de correction.

Comme son nom l’indique, le TIG va consister à condamner un individu qui a commis une infraction de moindre importance, un petit délit, à un travail d’intérêt général selon son profil professionnel. Pendant un certain temps (durée de la peine) l’individu sera amené à accomplir des tâches selon ses compétences dans un endroit désigné par le juge afin de s’amender. Il est avec sa famille, mais il a l’obligation d’accomplir un certain nombre de tâches au profit de la communauté, une façon de réinsérer l’individu dans la société en lui évitant le carcan de la maison d’arrêt.

M. le procureur général, s’il est un débat qui intéresse beaucoup aujourd’hui dans la sous-région, c’est celui relatif au dossier Hissen HABRE. Quels sont vos opinions sur les différentes facettes de cette affaire :la question de l’incompétence des juridictions sénégalaises, de l’extradition vers la Belgique ?

A.B : Sur ce point, il m’est un peut difficile je l’avoue, de faire une appréciation technique du dossier puisque je ne le connais pas. Comme vous le savez, nous, nous travaillons sur des pièces et il est difficile d’apprécier cela techniquement parlant. Maintenant, de façon générales, quand on parle de l’extradition, c’est une procédure judiciaire prévue par les textes, que ce soit les législations nationales, internationales, des relations bilatérale, etc... Ce sont des dispositions qui existent. Cela dépend également des engagements que chaque Etat a conclus avec les autres Etats.

Certainement que le Sénégal a dû signer des conventions à partir desquelles on estime qu’il doit pouvoir extrader Hissen HABRE. Si je dois faire une appréciation personnelle en tant qu’Abdoulaye BARRY... Vous voyez, tout le monde est embarrassé au Sénégal, que ce soit le politique ou le judiciaire, et aujourd’hui ça semble être l’Union africaine qui va trancher sur la question. Je pense que le cas Hissen HABRE repose le problème de rapports entre l’Afrique et l’Europe et à partir de ce moment, on peut se poser des questions.

Que se serait-il passer si c’est un Etat africain qui demandait l’extradition d’un ancien chef d’Etat européen ? Cela est-il faisable ? Cela est-il envisageable ? De mon point de vue, Hissen HABRE est ce qu’il est, mais il reste avant tout un ancien chef d’Etat et quand on va l’extrader, c’est quand même un ancien chef d’Etat qu’on va livrer à une justice étrangère !

Par Frédéric ILBOUDO

L’Opinion

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